nº 1 : Carte à lire
nº 1 : Carte à lire
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Les contributions sont ici présentées par ordre alphabétique du nom d’auteur.
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—— Benito, “Le vieil homme et l’amour”
—— Laurie Boussat, “CRI (poème-photo 1)”
—— Camille Brantes, “Mutineries”
—— Firmin Caspiet, “3Amour Exit”
—— Maximilien Cézanne, “Lisier fabuleux”
—— Maximilien Cézanne, “Gaz propane liquide”
—— Acelime Devans, “Maras de Salvador”
—— Emmanuelle Gallienne, “L’amour existe”
—— Jean-Baptiste Lagadec, “Plastic Sea”
—— Camille Pourchet, “La clef du champ”
—— Siamak Shoara, “Lecture de Sebastián Tobón, conférencier à B.”
—— Max Wilkinson, “Calendar Girls”
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J’ai vu un vieil homme qui ne s’est jamais remis de son premier amour. Il a refusé tout baume aux blessures de ses mains qui tremblent encore depuis son premier et dernier bond. Sa fidélité respire encore… Contre toute logique. Contre tout bon sens. L’existence lui réclamait de tout rendre mais lui tient l’assaut des vagues depuis le début des âges, dans sa peine altière et magnifique, en fidélité à l’aube. Jamais, de sa pure jeunesse jusqu’à sa solitude de vieillard, ses mains ne se sont arrêté de trembler. Vous comprenez ? Elles ont tremblé toute sa vie. Du fond de leurs crevasses noueuses, elles n’ont pas souhaité livrer le dernier bout. Il était l’Homme.
Descriptions pour l’exemple — Pour Jean-Michel Espitallier
« Pourvu que j’aie ma peau, le reste m’est égal. »
« Faites-moi fusiller mais je ne monterai pas […],
d’ailleurs ça revient au même. »
Tout ça pour dire partout, tout ça pour dire toujours :
1
Une épaule ouvre l’image sur un long défilé militaire. Un homme serre dans sa main les deux doigts, index et majeur, d’une jeune femme. Celle-ci le regarde bouche béante et tient la paume d’un deuxième soldat. Il la regarde en même temps qu’un camarade derrière lui : c’est son jumeau mais avec une plus fine moustache, il lui manque des dents aussi – caractéristique qui semble commune à l’ensemble de la troupe. Un doute émerge du visage des deux femmes mais c’est l’uniformité des coiffes qui frappe davantage chez elles : masse de foin tenue, balai de fortune. Une troisième bouche barbue s’agrandit vers la seconde femme – la brune, celle qui ramène son coude vers elle comme avant une mauvaise chute, son œil gauche suit son regard tandis que le droit lorgne sur ses seins. Plus loin, un autre couple de jumeaux – décidément – regarde la scène sans sourire. Cependant, ils font corps avec le reste de la troupe, crosses en l’air, marchant au pas sur cette route tranchée par un rail. Le ciel n’est pas noir. Ce sont des platanes. Tout d’un coup, on remarque des guêtres.
2
Des hommes sont sur un toit. Il semble immense et eux si petits. Une antenne de télévision et quelques cheminées structurent la vue de manière à créer un sentiment de radeau. Il manque des tuiles et les hommes vont par petits groupes. Il y a aussi des solitaires, ceux-ci sont accroupis. D’un coup, une croix de chapelle s’installe sur le bord gauche, on voit alors les pans troués de la toiture. Par grappes, les hommes – et ce ne sont que des hommes – s’assoient au bord du précipice. En bas, quatre fenêtres en dévers signent le haut de la bâtisse. Le ciel est gris, les arbres n’ont pas de feuilles, il doit faire froid. Sur le sommet de la charpente mise à nu, un groupe regarde aux alentours. Il n’y a pas de spectateurs.
3
Un homme tire sur un canot. On a sorti une épée, un chapeau est tenu haut. Par-delà les cordages, on devine un pin. Depuis le gaillard d’arrière, un homme vêtu de bleu regarde la chaloupe s’éloigner. Derrière lui, une tête décapitée flotte sur un pic. On lance dans l’embarcation un vieux drap blanc et quelques mousquets. De sa main gauche, un homme à l’agonie tente de s’en saisir. L’eau est ridée, hideuse, ce n’est qu’une huile bleue. La panique règne sur le rafiot. Un homme au chapeau ridicule désigne un autre en pyjama blanc. Le teint blafard, il tend sa main vers le navire comme pour dire au revoir ou je suis désolé. Tenant la barre, un homme au veston olive est allongé. On dirait Goethe devant les ruines de Rome mais il n’y a que l’océan et on entend les cris.
4
Le sol est désert. Pas une trace de végétation. Le sable a soif. Des hommes en rouge et en casque blanc, ce ne doit pas être une bonne idée avec cette chaleur, ont aligné des canons, on en dénombre cinq. Leurs roues ressemblent à de grands gouvernails mais ce sont bien des roues malgré tout. À la pointe de chaque canon, c’est-à-dire là d’où sort le boulet, un homme est attaché. Ils font dos à la gueule de l’artillerie et leur tenue blanche, et non pas leur barbe blanche, rappelle Jésus sur la croix. Alors qu’ils se convulsent – ceux du boulet – les hommes en rouge, qui n’enlèvent pas leur casque blanc, demeurent immobiles, eux. Le ciel est bleu et rose, au loin, une brume matinale se lève sur un campanile blanchi à la chaux. Une rangée d’arbustes, ce sont bien des arbres mais nous sommes très loin, abrite quelques spectateurs. Des hommes rouges, eux aussi. Boom.
5
Treize hommes sont autour de l’objectif. Deux seulement ne le regardent pas. Le premier est ventru, il porte un chapeau melon, une redingote, c’est ce qu’on dit au théâtre, et une barbichette. Le second est au centre. Bras croisés, de trois quarts, petit matelot, pull presque breton, casquette blanche. Son visage parle moins que ses jambes – elles semblent disproportionnées : ses bottes noires, forçant le trait, remontent au-dessus des genoux. Ses pieds forment une équerre, le gauche empiète sur une barre de fer. Il semble aimé. Pas d’indication météorologique.
6
C’est une affiche à cinq médaillons, en fait cinq matelots à pompons. Le premier dit : je suis fier et j’vous l’dis. Le second : pourquoi moi ? Le troisième à gauche semble ne pas comprendre alors qu’en fait oui. Le quatrième, logiquement en bas à droite, nous lance : bande de salauds. Au centre, le dernier regarde vers l’est ; sur son chapeau, on peut lire ÉQUIPAGES.
7
Photo de studio, studio photo. Il y a deux drapeaux des États-Unis : un grand avec passementeries et un petit écusson thermocollé sur l’épaule. Le globe terrestre tenu entre les jambes du personnage central capte la lumière car bleu, oblique, figurant le continent américain. Une main caresse l’océan Pacifique et l’Atlantique paraît minuscule en comparaison. Il y a maintenant trois personnages. Leur sourire illustre une santé exemplaire, leur col roulé marron sert de datation. L’air est à la fête même si la présence d’une maquette de satellite souffle sur la scène un mauvais présage. Les deux hommes encadrant le globe posent leur pied sur des fauteuils Jefferson d’époque. Ils n’ont pas ôté leurs chaussures et ne se parlent pas.
8
Il y a six pendus. On en a installé deux par potence. Vu la file qui s’installe, l’exécution ne fait que commencer. Il fait chaud malgré l’air maritime. Deux personnages, chapeau entre les mains, circulent sur une colline, certains pourraient dire monticule, butte ou même élévation, mais disons colline ou à la rigueur collinette pour ajouter de la douceur. La première potence a peu de succès : il n’y a que trois spectateurs. La deuxième, grâce à son échelle, attire le regard. La dernière, donc troisième, a les faveurs de la foule. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à l’amputation des mains. Sous les ordres d’un personnage estimable, le bourreau s’active au burin : vingt doigts déjà jonchent le sol au pied du billot. Au large, un trois- mâts lutte contre les vagues.
9
Un homme monte sur un cordage. Un deuxième lève un gourdin. Un troisième tient un quatrième qui lève sa main gauche et crie à l’aide. Un cinquième lève un gourdin et avec lui un sixième. Un septième porte une toge et regarde la scène à l’écart. Un huitième, lui, semble vouloir participer. Un neuvième fuit sans détourner le regard. Un dixième se tient dans l’ombre en retrait. Un onzième se dirige avec un gourdin vers celui qui fuit. Un douzième essaye de le raisonner. Il y a quatre gourdins, deux assistants, deux spectateurs, un grimpeur, un fuyard, un moraliste et un mort à venir. Disons deux en fait.
10
La neige dans les arbres, sur le muret, au sol. Au sol aussi, dans la neige encore, un homme est à genoux, ses yeux sont bandés. Le linge est blanc. Se tient à trois mètres de l’homme une rangée de soldats. Ils pointent leur fusil sur lui et vont bientôt tirer à l’unisson. Sur un petit promontoire, deux hommes coordonnent l’ensemble. Le premier lève son sabre et le second son pistolet. On ne sait qui décide ni qui tire mais l’homme sait qu’il va mourir. Il ne voit rien, il entend simplement une branche se briser sous le poids de la neige.
Là tout n’est qu’ordre et silence.
Les goélands n’y peuvent rien,
Dont les rires jaunes et rances
Épargnent cet homme peu serein.
Car l’océan a ce pouvoir
D’éteindre en lui la voix plaintive
De ses regrets à la dérive,
À l’origine de ses cauchemars.
Voix qui hoquette de stupeur
Puis s’évanouit en sanglots longs.
Tel est le refrain de ses peurs
Depuis sa nuit aux Buttes-Chaumont,
Durant laquelle il a séduit,
Dit-il, à son corps défendant,
D’une pagode d’où l’on voit Paris,
Une Italienne aux yeux brillants.
Notre homme s’est laissé griser
à jouer sur deux tableaux,
Mais a fini par s’enliser
Dans le bruit long des sanglots.
Pour ne plus les supporter,
Et enfin les faire taire,
Il raconte la vérité
Sur ses quelques adultères.
Sa copine l’a quitté,
L’Italienne aussi.
Et sa morne liberté
Fait silence en lui.
Partie 015322 : instructions de jeu
1 : vrombissant, soyant, sectionnant, sordide, point.
Autre hypothèse : Le joueur portait un casque de façon à ce que celui-ci recouvrât la surface du crâne dans son ensemble, de façon à ce que celui-ci fût pour l’intérieur du crâne un casque lui-même – l’intérieur du crâne étant tu car échappant au regard. Ainsi l’enveloppe biologique semblait parfaitement calquée sur l’enveloppe artefactuelle, poussant le spectateur non averti à s’émerveiller d’un tel miracle de la nature, poussant ses congénères du coude pour mieux admirer la scène.
Le joueur portait en bandoulière un ? de forme allongée aux multiples détails de type cylindriques ou pluricylindriques et accessoirement des ornements de type croches. ?-contenant pour des éléments sphériques de plus petite taille et de quantité élevée. Le terme ? s’applique à des jouets de morphologie variée, allant du jouet d’épaule au jouet de poing, avec bien souvent des crosses pliantes pour s’adapter à tous les usages. Matériel qui permet notamment la mobilité, la rapidité et l’adaptabilité des mouvements. Le joueur est tenu à l’utilisation exclusive de sphères en caoutchouc souples sans aspérité aucune et de diamètre suffisant pour empêcher tout risque de pénétration dans le globe oculaire, propulsées à très grande vitesse.
Qu’est-ce qu’une Forme ? Une Chose découpée dans le Réel. Là, un pied. Là, une main. Un œil. Ici tout le corps.
Zone sensible considérée : les limites du Réel : la peau.
Qu’est-ce que l’Homme ? Soit une Forme (Chose découpée dans le Réel) répondant à la loi définissant l’objet-Homme, soit la loi d’Homme. S’applique en première instance aux corps en mouvement. Loi qui énonce la friction de ces corps dans le fluide aérien. Partant, loi énonçant la résistance d’un corps à l’espace qui lui est attribué.
La loi définit des cas sous-jacents de collision d’un corps contre un autre corps. Nous intéresse en priorité la collision d’un corps-Homme avec un corps autre, de type non-Homme, de type balle en caoutchouc.
Soit la définition d’un carré de 4 mètres de côté, au moyen d’un unique trait de craie sur le sol. Définition du cadre légal. La loi définissant la collision d’un corps autre, de type balle en caoutchouc, et d’un objet-Homme ne peut s’appliquer que dans le cadre ainsi défini. Si la balle de caoutchouc rebondit sur la chair-Homme et ressort du cadre ainsi fixé, le joueur perd son tour.
Considérant un groupe d’ectodermes rassemblés en proie à une grande agitation verbale. La discussion les porte à réaliser de légers déplacements circulaires. Le joueur les fixe à travers son viseur de qualité. Quand la discussion pousse l’un des ectodermes à franchir le seuil du cadre légal, il tire.
Soit l’écriture d’un mouvement par fragments rigides de 9,3 grammes chacun s’enfonçant dans 5 centimètres carrés de peau à une profondeur de 2. Soit deux unités fondamentales : 0 et 1. Le poème s’écrit donc comme suit :
(0, 1, 0, 0, 1, 0, 1, 1, 1, 1, 0, 1, 0, 0, 1, 1, 0, 1, 0, 0, 1, 0, 1, 0, 1, 1, 0, 0, 1, 0, 1, 1, 1, 0,…)
Quelques instants plus tard, ci-gisent certains des ectodermes anciennement en mouvement. Le reste continue la discussion ; elle est moins agitée qu’au début.
Le joueur est satisfait qu’aucune balle n’ait rebondi.
Un des ectodermes dit : « À y bien penser, il semble que l’existence se divise en deux parts égales. D’un côté, le Réel, de l’autre, le Tout. »
Les autres acquiescent par secouements de têtes vigoureux. Le joueur se gratte la tête.
Il continue : « À y bien penser, il semble que le Tout soit égal à la somme des Parties du Réel. Il faut donc poser : le Tout égale le Réel. Considérant que Tout et Réel sont deux termes distincts, considérant donc que le Réel est réfractaire à toute réduction en tant que Tout, il faut donc poser : le Tout est différent du Réel, ce que le principe de non-contradiction interdit. Il faut donc que le Réel soit ramené au Tout selon deux sous-ensembles de possibilités : par voie diplomatique ou par la force. »
Nouveaux acquiescements.
« Nous devons donc immédiatement et par décision collégiale acter que si le Réel ne se soumet pas à la Loi dictée par les nécessités de la Raison, il sera ad consequentiam déclaré hors-la-Loi et par voie de conséquence s’exposera aux sanctions en vigueur. »
« Considérant que le Réel n’a jusqu’à maintenant émis aucun signe en faveur d’un rapprochement avec le Tout, il découle que cela entérine une volonté manifeste de velléités hostiles à son égard. »
Un vote s’ensuit durant lequel les ectodermes s’adonnent à des calculs algébriques poussés et à des poses obscènes.
« Est adoptée la circulaire DIE NACHT:meure-la-Nuit à une large majorité. S’ensuit que le Réel est ainsi mis en échec et hors d’état de nuire. »
Addendum : L’Œil, organe de la vue contenu dans l’orbite, est constitué de la rétine, de la cornée, de la pupille étant rétive au sel. La Bouche, quant à elle, est faite de muqueuse, salive de pH 7,1 à 7,4, dents. Étant entendu que l’Œil voit, que la Bouche dit, il n’y a pas lieu de postuler un quelconque lien de ces organes entre eux.
Les ectodermes entonnent maintenant un chant traditionnel, sorte d’hosanna à la victoire devenue inéluctable du Tout sur le Réel :
« Tout ne sera bientôt plus que lumière. Les ombres mortes. Meure la Nuit, Meure. Tout sera
1 : Blanc sauf
0 : Noir de l’Œil et
0 : Noir de la Bouche. La
Bouche est faite de muqueuse, salive de pH 7,1 à 7,4, dents.
sale bouche, tais-toi, mais enfin tais-toi.
Il faudrait pouvoir lécher le blanc de l’Œil jusqu’au Noir,
se délecter du Noir de l’Œil comme du jaune de l’œuf
fragile instant que le reflet d’un lac immobile à la surface de
l’Œil mobile le paysage est froid de plus d’images sous les cils
seul vacillant .soleil sec vieux
soleil sec. »
Depuis quelque temps, le joueur est morose. Il a beau avoir à son actif un CV tout à fait respectable, 15 ectodermes sur 22, dont un en pleine face, c’quand même pas mal – c’est ce que le joueur se dit pour se rassurer. Sûr que quelqu’Chose le tracasse, à moins qu’sa déontologie ne l’titille. Je ne suis pas fou, je sais qu’il y a du Réel sous vos ongles, un peu de Réel coincé entre vos dents, se dit-il gravement. Sûr qu’ce s’rait plus efficace avec des projectiles de plastique, de cire ou de bois, plutôt qu’du caoutchouc, sûr – c’est ce que se dit le joueur.
Taktaktaktaktakatakataktak pense le joueur, ou peut-être est-ce le jouet du joueur qui pense Taktaktaktaktakatakataktak.
Trous de blancs partout. La lumière s’engouffre. C’est beau. Les ectodermes encore debout admirent la scène. Il y a des taches de blanc partout. Des lignes, des points qui se confondent.
À un moment, une voix : « Aaaaaah. » C’est juste assez pour qu’un ectoderme s’y glisse avant qu’elle ne se referme. Un espace noir en forme de creux.
Taktaktaktaktakatakataktak
A+ et A–, polarités du son.
On reprend la partie. On dit que l’Œil est pour voir, la Bouche pour dire.
Quelque part se cachent. Deux ordres de matières.
(1,0,0,1,0,0,0,1,0,1,1,0,1,1,1,0,0,1,1,…)
L’Œil est pour voir la Bouche dire.
Lorsque les ectodermes sont dans une situation telle que leur disparition est jugée inévitable, on dit qu’ils sont morts. Au contraire, des ectodermes qui sont impossibles à disperser sont dits vivants. La règle stipule que les disputes sur le statut vivant ou mort des groupes d’ectodermes peuvent être résolues en continuant à jouer jusqu’à ce que la marge d’erreur se rapproche de 0.
Le joueur transpire à grosses gouttes. Je-tu. Je-tue. Jeu-tue. Je-te-tue. Quel beau poème. Il faudrait pouvoir filmer la scène. Le monde doit savoir la beauté qu’il recèle qu’il est responsable d’une telle beauté que la beauté du Réel c’est la beauté du poème quand il taktaktaktaktakatakataktak comme ça le joueur pourrait voir ensuite qu’il est pleinement partie prenante d’une telle beauté ou du moins qu’il fut car le moment où il verrait se situera dans un futur non encore advenu car pour l’instant il est là et il est pleinement conscient de la responsabilité qui lui incombe bien que sa visibilité soit en partie réduite par les éclaboussures d’ectodermes sur sa visière de qualité et les reflets des rayons du soleil de seize heures quand ils viennent percuter doucement la surface du lac immobile le joueur ne sait pas s’il peut porter en lui toute cette beauté c’est vraiment lourd cette responsabilité qui pèse sur ses épaules mais on ne faillit pas à l’appel de l’Histoire c’est une responsabilité qui vous convoque vous commande il faut encore en dégommer quelques-uns et là ce sera vraiment beau un tableau merveilleux.
Un des ectodermes – disons celui cité plus haut – s’exprime ainsi, malgré la sphère en caoutchouc coincée dans sa carotide : « Dans le cas d’une situation pré-insurrectionnelle, les précautions à prendre sont les suivantes :
- ruban adhésif
- respect des consignes de sécurité sauf cas de litige qu’il conviendrait de définir très strictement… »
Un deuxième ectoderme s’avance pour proposer un conciliabule afin de statuer sur les cas de litige qu’il conviendrait de définir très strictement mais il est arrêté dans son élan par une deuxième sphère qui vient se loger dans son plexus et perfore maintenant son poumon gauche en un long chuintement déplaisant.
« … - jouets de dimensions et calibres multiples, de type PLMP, CM5/CM6, MP7, GLI-F4, DBD/DMP, OF F1
- selon la disposition des corps dans l’espace qui leur est attribué, l’issue varie selon une oscillation régulière de… »
Taktaktaktaktakatakataktak.
Encore 1,0 pour le joueur qui se demande s’il a bien respecté les 7 mètres de distance minimale de tir.
« … à trente décibels par seconde. »
Le joueur rassemble son tableau de chasse (les ectodermes font une ronde) et décide alors que c’est le moment d’en dire un peu plus du fond de sa pensée : « Je ne peux m’empêcher de croire, malgré tous les signes évidents tendant à prouver le contraire, que ce que l’on appelle… à savoir la Mort, la Vie, ou l’Art… à savoir le désir incessant d’apparaître et de disparaître sans que… Cela dit, l’issue la plus certaine est probablement… La conscience manifeste d’un reflet à la surface d’un lac immobile… Sachant bien pourtant que…
Taktaktaktaktakatakataktak.
À l’autre que jamais n’arrête la longue agonie du temps, il doit pouvoir être dit… etc. »
La Nuit est revenue, rien ne luit. Les ectodermes solitaires sont comme des insectes cherchant leur soleil artificiel, aveugles et affamés. Un grésillement, lointain. Les spectateurs sont ravis.
Il faut l’hiver un sol battu qu’il y neige
Fièvre t’aurais-je eue sans ciller
La croix en terre monte aux nues
Des allongés
Voyez Seigneur, le converti inoccupé
Son chant est de l’air que Vous faites, et ce que fait sa main
Cela est pour Vous comme déjà sa main
Ô mince fruit de la glèbe reçue est un très vieux swing un kyrie déçu
Ainsi je ne peux rien Seigneur, à celle qui va mourir
Que le blanc meilleur des feuilles noircies
Le récit de son récit
Ou la curée
S’il faut pour Dieu mes deux yeux bleus au monde
Pourquoi ne font que refléter
Le souvenir blond des fumées
Pour Vina comme déjà le Monde
Je mangerai ton film
ton ordinateur
les fils de ton ordinateur
le transformateur du quartier
la centrale nucléaire qui fournit de l’énergie
et je boufferai le béton, l’uranium
oui tout l’uranium
dans les mines je boufferai l’uranium
et les Africains qui extraient l’uranium
et je mangerai
l’Afrique
l’Europe
l’Asie
toute la terre
les montagnes
les déserts
je boirai les océans et les mers
je dévorerai chacun des êtres vivants et morts
des cadavres, des enfants, des chiens, des méduses immortelles
je flotterai dans l’espace
tellement gros et rond
seul
un homme planète
et puis je vais tout chier dans le cosmos
il y aura une grande explosion
et tout recommencera.
Petit tourbillon cotonneux qui danse dans la brume.
Les musiques d’ascenseur calment les esprits et dé-chauffent les cœurs.
Alors qu’entre deux grésillements la radio intergalactique aboie des ordres sous une couche de miel. Et de vernis pour les ongles.
Un homme qui marche sur l’eau loin dans le brouillard, il tient un enfant du bout des doigts. Dans tout ce blanc. Tout y est si blanc. Pendant qu’il remue le noir atrabilaire de son spleen millénaire.
Faudrait arrêter de bouffer du prémâché, on va s’user les molaires.
— Bon ben on va s’asseoir là.
— Oui. Excusez-moi, allez-y, du moment que vous vous sentez bien.
— Bon, alors, qui commence ?
— Pourquoi croyez-vous avoir besoin d’un traitement ?
— J’ai pas besoin d’un traitement, qu’est-ce que j’viens d’dire, il s’agit de mon ami !
— Pardonnez-moi.
— Est-ce que j’ai pas dit ça ? On m’a toujours dit qu’vous savez écouter les gens et vous vous rappelez même plus de c’que j’viens d’dire ! Faut que j’vous dise, j’suis de moins en moins convaincu d’vos compétences, Doc !
— Bon, je crois qu’on pourrait recommencer. Parlez-moi de votre ami.
[…]
— Il est possible que ça vous surprenne, mais je crois que cet ami, c’est vous.
— Vous avez un don, Docteur, vous avez un don ! Ça m’a fait du bien de vider mon sac. Merci. Vous êtes bon, Doc ! Mais si j’vous raconte tout et qu’vous faites de moi une fiotte… J’vous bute.
Mafia Blues
* * *
Il fait nuit noire. Enfin presque, phares jaunes d’une vieille Renault 205 rouge éclairent l’entrée du garage avec circonspection. Deux yeux de gros lynx sans pupille. Ça pue la pisse, un sapin à gauche de la baraque en brique. Depuis ici, on ne le voit pas, le sapin. Mais il est là. Au fond du garage, au fond à gauche, un grand et gros type est ficelé à une chaise. Il a la tête baissée. Des cheveux bouclés et sales lui tombent sur le front. Il se dit que putain, malgré cet endroit pourri et sa position de merde, Mobb Deep arrive à lui tourner en boucle dans la tête. Il aura été Black dans une autre vie. Basket-ball et block parties, gros muscles avec un tank top blanc comme ta coke.
— C’est quoi ton nom putain ?
— My name is Biggy Dog.
La gifle part. Mobb Deep rappe plus fort dans le crâne qui sonne creux.
— Te fous pas d’ma gueule connard, C’EST QUOI TON NOM PUTAIN ?!
— Biggy Dog, j’te dis…
Elle est plutôt mignonne, elle. Maigre comme un haricot vert, pommettes saillantes et menton haut, on voit les petits tétons qui pointent sous son tee-shirt rose sale. Elle a des bleus au creux des coudes, longues jambes. Juchée sur des chaussures moches à talons hauts. Si seulement la corde lui entaillait pas les poignets, il l’enverrait valser d’un revers de main. Elle tremble.
— Redis-le et j’te défonce !
— Biggy Dog.
Elle prend la barre de fer sur la table branlante, le percute avec force. Il perd une dent. Ça saigne abondamment. La connasse.
— Tu t’prends pour qui avec ta face de déterré ? T’as cru que tu pouvais jouer avec moi ?
— …
— On joue pas avec la Nuit. Ton nom putain !
— …
— TON NOM PUTAIN !
— Xavier.
— Xavier quoi ?
— Delaverge.
Elle pousse un juron. C’est bien lui. Et elle lui a pété une dent. Merde. Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir en faire maintenant ?
* * *
There’s a war goin’ on outside no man is safe from
You could run, but you can’t hide forever
From these streets that we done took
You walkin’ with your head down, scared to look
You shook, ’cause ain’t no such things as halfway crooks
They never around when the beef cooks in my part of town
It’s similar to Vietnam
Now we all grown up and old and beyond the cops’ control
They better have the riot gear ready
Tryin’ to bag me and get rocked steady
By the MAC one-double, I touch you
* * *
Il se souvient. Chien errant dans la ville crasseuse. Banlieue de San Salvador, encore un hangar pourri. Les rails de coke sur les faux papiers. Toutes ces filles qui passent. L’odeur de peur et de sueur. Les camions qui partent à intervalles réguliers. Journées de chaleur et nuits moites. Le temps est inversé. « Le jour c’est la nuit et la nuit c’est les ténèbres. »
Devant le café de Rosamaria, les vautours attendent les cadavres. Ces vautours-là n’ont ni bec crochu ni griffes. Ils ne déploient pas leurs ailes. Ces vautours-là attendent en sirotant une can de Coca-Cola, sifflotant joyeusement. Ce sont des hommes comme les autres, avenants, cordiaux. Ils s’enjaillent de retrouver bientôt femmes et enfants, après une journée de labeur à mettre en boîte les corps couverts de tatouages à la peau tannée. Ils vendent parfois à la famille endeuillée le cercueil et le service de corbillard. Parfois il n’y a personne. Le corps vient tout seul, avec la voiture de la morgue de San Cristobal. Le bois des boîtes pour les abandonnés est de moins bonne facture, il reste des échardes qui piquent le bout des mains. Ils ont déjà la chance d’être arrivés jusque-là. Ces corps esseulés ne seront pas ensevelis oubliés, dans un cimetière sauvage au bord d’un terrain vague. Une balle dans le dos.
Johanna avait 16 ans quand il l’a rencontrée. Elle venait de livrer son frère à Marco Avilas. Et il avait été décapité, comme les autres. Johanna était folle, le cerveau retourné par la politique des gangs, elle ne pensait plus qu’au travers d’un voile rouge sang, embrumée par la drogue et les ténèbres sans sommeil. Quand il l’a vue pour la première fois, elle buvait une gaseosa orange fluo avec une paille rouge et blanche. C’était sur une place inondée de soleil. Geste d’enfant dans un monde de brutes.
Il lui a parlé, doucement.
Je dois m’ajouter à la fin de vos mots sans jamais m’imposer. C’est cela que j’ai appris et c’est cela que vous m’avez enseigné. Être là sans être réellement présente ou assister à la fête sans être réellement invitée. Je tente d’être et de mettre le doigt sur qui je suis mais me perds à chaque fois que j’essaie de me prononcer car tous ces mots ne sont pas les miens. Ils sont à la fois pleins et vides. Comme un regard sur un verre de whisky. Comme un regard sur un corps aux multiples fautes d’orthographe.
Là-bas, je dois sonner pour être entendue. Élever ma voix parmi toutes les autres et ouvrir la bouche en souriant. C’est cela que j’ai vu et c’est cela que j’ai imité. Crier pour exister mais être à jamais une voix au singulier. Et quand je ne sais pas, quand je ne suis plus sûre de rien, je n’ai qu’à ajouter un A strident à la fin des mots. Pour témoigner de ma présence en leur crachant mon sexe au visage. Comme ça AAAA. Comme une onomatopée de terreur ou d’horreur. Comme un trop-plein d’ivresse ou de désespoir au bord d’une voie ferrée.
Mais comment pourrais-je me réinventer ? Comment me réinventer saurais-je ? Et comment Je saurait comment être Lui et Moi et Elle tout à la fois ?
Je n’entends tends plus vers rien. Je n’écoute coûte que coûte.
Je réinvente Moi dans chaque langage mais toujours avec la même langue qui patine piétine poutine de froid qui m’effraie me défait un peu plus comment suis-je arrivée ici en passant par là et pas là et la-la l’endroit où nous allons où je suis allée où je vais où j’irai je ne sais pas sans doute partout et nulle part à la fois et me voici ici et là en même temps au milieu de l’indicible et si blême je suis et si belle je suis été en été avant ave oye je fantasme sur tout ce que je ne désirais pas quand je pouvais l’avoir car tout prend de la valeur quand tout disparaît comme l’amour qui subsiste que lorsqu’il n’est pas partagé oui ici au milieu du rien il n’y a place que pour les fantasmes et les fantômes j’aurais donc dû et je voudrais donc des frites avec du paprika là-bas ils l’appellent poivron sucré c’est plus mignon non oui je ne sais pas ce que mignon veut dire je ne sais rien et ne suis sûre de rien j’ai fabuleusement vécu mais je demeure encore trop niaise avec prononciation du S comme un Z car il est entre deux voyelles mais au E pas comme un É car le E n’a pas d’accent oui je suis sans accent dans toutes les langues et personne ne devine d’où je viens car je suis sans doute de nulle part et je me défais des frontières comme des pointillés sur papier censés me ponctuer me pondérer me mesurer car les deux m’ont pas de fois effacée et émiettée je suis émiettée comme ces biscuits trop cuits au fond du moule que je décrasse avec une spatule en me rappelant comment j’enlevais la glace épaisse de ces pare-brise un jour autrefois hier ou aujourd’hui car ici au milieu d’un Moi nullipare le temps n’existe plus on l’a ficelé et on le rôtit autour du feu comme ces porcs qui dégoûtent qu’on égoutte jusqu’à la dernière goutte dans un pays chaud à l’hiver encore trop long pour moi et émoi autour des mois lorsque l’on témoigne d’un présent court et d’un passé qui court toujours quoi qu’est-ce que vous dites qu’est-ce que tu dis je ne sais pas ce que présent veut dire che je ne chais pas ce que chela veut dire chut tais-toi ne prononce pas les LL ou les Y en CH car on saura où tu as appris à parler cette langue avec ta même langue coulante le soir et pâteuse le matin cette langue qui te déguise en tout donc en rien à tout jamais car il faudrait tellement être une chose et seulement une car être plusieurs est synonyme de vide je suis vidée de vous de nous d’eux et il ne reste que Moi que des multiples Je qui s’affrontent et se coupent la parole dans toutes les langues avec la même langue qui se muscle peu à peu de tous ces accents appris et pastichés et sur mon front en times new roman 27 cómo carajo llegué acá pas de panique car d’ici j’aperçois le Pacifique et je n’attends que d’être bercée par ses vagues pas si tric pas si vite ma p’tite te voici au bout du monde the end of the world el fin del mundo mais ici tout le monde parle japonais on a commercialisé la fin du monde et toi tu ne sais pas comment dire fin du monde en japonais tu devras te rendre apprendre et désapprendre une fois de plus car personne n’aime le gris et on te force a choisir entre le noir et le blanc mais toi tu es grise à jamais car tachée de tout et attachée à rien et te voilà masse pigmentée spectre olfactif et vomitif mais de ton émétisme surgit enfin ta catharsis ton Moi curatif et te voilà qui respire. Qui respire enfin.
* * *
Je suis vivante
survivante vantée et éventée
et J’arrive
moi aussi
moi aussi
J’arrive
mes Je arrivent
nulle part
* * *
Sauvée par la beauté et le silence du monde.
Je me réveille avec l’estomac noué comme ce polypropylène qui vieillit mes mains et effrite l’amertume de mon corps salé.
J’ai tant de fois crié que j’en ai perdu ma voix et craché mes cordes vocales. Et même si je sais que j’ai tout à raconter, je sens à la fois que plus rien ne vaut la peine d’être dit.
Devant moi, une fine ligne horizontale séparant le monde en deux parties égales, en deux hémisphères bleus et non figés, deux entités, deux infinités, deux infinis de rien d’une lumière éclatante et immaculée où tout reste à créer et à réinventer ; des infinis de beautés aux couleurs à la fois vives et pastellisées.
Ici et là j’avance sous le poids duveteux des nuages plus étincelants que les neiges de mon enfance perdue et retrouvée a coups de jambes et de bras angéliques du haut de ces montagnes patagoniques. Je me laisse porter par un soleil au zénith ou par la légèreté des ciels les plus complexes et les plus simples à jamais créés, à jamais réinventés, à jamais éphémères, extraordinairement éphémères et à jamais gravés dans ma mémoire. Mais le présent est long et le passé court. Je ne me souviens pas du féminin muet ajouté ni de toutes ces règles qui nous concisent dans le trou noir d’une mémoire oubliée.
Ici et là il n’y a que les albatros qui prennent le temps de m’écouter et de me regarder. Un silence comme unique réponse. Je les admire d’être sereins à jamais dans leur solitude beau temps mauvais temps au milieu d’un soleil glacé dans le quarantième parallèle et des vents endiablés de l’hémisphère sud. Et je suis seule au milieu de ces oiseaux seuls. J’ai tant de fois cherché à savoir si les albatros avaient un cri. Maintes fois j’ai jeté des pierres à notre solitude partagée ou leur ai vomi des mots bien ficelés au bec pour finalement comprendre qu’ils n’en avaient pas, qu’ils n’en avaient tout simplement pas besoin car ils étaient seuls à longueur d’année. Et je me souviens de ce regard qui me disait « à quoi me servirait de crier si je suis seul ». Et je me suis sentie sotte, là, seule au milieu d’un monde aqueux trop grand pour moi.
Je me suis tue et je partage désormais leur silence. Nous partageons la même existence en dehors de mots, de phrases, de raisonnement ou de rhétorique. Comme eux, je m’élance dans le vide à remplir, je flirte avec l’inconnu. Je suis excessive et démesurée et mes paroles libérées sont emportées par des vagues de huit mètres de haut.
Car ici, au milieu de toute part, il n’y a aucune place pour les dires ou les non-dits.
Car ici, au milieu de l’océan, mes Je ne font qu’un et ont cessé de crier.
la moitié de l’année
les heures de liberté sont dans la nuit
mais tous les matins
c’est la hantise du retard
— Maurice Pialat, L’amour existe, 1960 —
On arriverait et le portail s’ouvrirait à deux battants. L’allée apparaîtrait blanche sous le halo brillant de la lune, invisible le tronc des platanes, leurs branches en voûte obscure très haute au dessus de nos têtes. Sur le sol pavé de lueurs les ombres minces, bras secoués en tous sens par le vent, font grandir et diminuer la lumière à toute allure.
On verrait passer les soixante-quinze fauves hachés de blanc par la lune trottant souplement, pas un son, seulement le vent et le vent. À la file disparaissant dans les buissons, les palmes, entre les arbres, sous l’ombre remuée des feuillages les silhouettes ocellées clignotent.
On avancerait sans crainte dans l’allée. Entre les bourrasques – ou bien apporté par elles ? le son de plusieurs voix nous parviendrait, intermittent, ce son agirait comme un charme, comme un aimant.
Où
Où êtes-vous ?
Ohé
On arriverait et on serait salués par une femme, une tache blanche bouge au bout de son bras – un chapeau – la clarté de sa robe sous la lune la faisant paraître noire, la démarche tranquille de quelqu’un qui est familier du lieu la désignant comme notre hôtesse.
Allons, quelles nouvelles apportez-vous ?
Avez-vous croisé les bêtes ?
À la nuit elles sont partout,
il ne faut pas s’en effrayer.
Nous vivons dans leur enclos.
Et vous ?
– Nous râpons nos paumes contre ces murs depuis des siècles, serions-nous tentés de répondre, nous y écorchons nos genoux et lorsque nous nous glissons dans les fentes, nous ne trouvons que le silence et les ténèbres.
Mais ce n’est pas ce que nous dirions.
– Nous nous promenions sur la route et nous avons vu de la lumière, le portail était ouvert, le parc nous a paru si beau et nous étions las de marcher, nous sommes entrés.