( r e ) t r a n s c r i p t i o n s
(RE)TRANSCRIPTIONS revue moltogone volume deux 2020 livre collectif trente-six créations en dialogue
TITRE Retranscription(s), revue moltogone volume deux ÉDITEUR Moltogone LIEU D’ÉDITION Paris DATE D’ÉDITION 2020 NOMBRE DE PAGES 278 TEXTES DE Léa Arson, Hugues Barra, Natol Bisq, Alexandra Boilard-Lefebvre, Laura Boullic, Thomas Carré, Maximilien Cézanne, Thomas Coster, Emmanuelle Gallienne, Fanny Garin, Auréliane Gillet, Antoine Girault, Jean‑François Guillon, Clémence Hallé, Diane Hequet, Jeanne-Marie Huet, Leïla Izrar, Armand Koestinger, Céline Lafon, MC Circulaire, MDO, Philippe Ngo, Elsa Novelli, Sam O’Hana, Antoine Ormeaux, Julien Pascal, Phylo, Nicolas Pintea PHOTOGRAPHIES ET DESSINS DE Simon Arcache, Geoffrey Delhaye, Auréliane Gillet, Leïla Izrar, Elena Kaufmann, Jean-Baptiste Lagadec, Lorraine Lefort, Caroline Peyronel, Bernadette Vercoustre MUSIQUES, SCULPTURES ET PERFORMANCES DE Duncan Evennou, MC Circulaire, Dimitri Toloton, Yoann Ximenes DIRECTION Philippe Ngo COMITÉ ÉDITORIAL Samira Nedžibović, Auréliane Gillet CONCEPTION GRAPHIQUE David Bartolo MOLTOGONE REMERCIE Hugues Barra, Elsa Defiez-Boulay, Sophie Ngo, Paula Saint-Hillier, Édouard Audoux, Nathalie Boulay, Gaétan Vernier, Jacques Cappy, Cécile Gauthier, Hélène Estèves, Paul Defiez,Victor Calmettes, Florian Joubert, Thibault Flurin, Capucine Truong, Djamel Khattab, Marion Gingembre d’Arctic Paper, Priscilia Ketzler de Procop, Stéphane Pommeret de Relicoil, Hervé Claeyman de Nord’imprim, Tristan Pernet du Paris Print Club, le D’Anger, la PY Sphère, le café PAS-SI-LOIN, les librairies Meura, L’Odeur du book, Le Rideau rouge et maelstrÖm reEvolution. DROITS Tous les droits liés aux textes, images, vidéos et musiques retranscrits ou référencés dans ce livre appartiennent à leurs auteurs respectifs. COPYRIGHT © Moltogone, 2020 ISBN 978-2-490565-04-7 ISSN 2648-1790 DÉPÔT LÉGAL mars 2020
(RE)TRANSCRIPTIONS : d’où vient ce thème, qui relève de la technique, pour une revue de création contemporaine ? Du croisement des intérêts de recherche de la maison Moltogone, pardi. Il y a d’abord la sociologie qualitative et son lot d’entretiens retranscrits. Inspiré par un travail d’Hugues Barra (présent dans ces pages) portant sur les poètes contemporains, dans lequel il reproduisait de façon brute ses conversations avec des poètes, Moltogone s’est tourné vers la retranscription littérale. S’y exprime une richesse de l’oralité – cafouillages, bégaiements, contradictions – habituellement cachée. Un constat similaire s’impose quand on retranscrit des enregistrements : entretiens, débats, minutes à synthétiser et retravailler en vue d’une publication. Quel travail de réécriture ne faut-il pas accomplir pour que ce qui a été dit soit ‹ publiable › ou même ‹ lisible › ! Ce travail de l’ombre, nous souhaitons l’exposer. Il donne à voir la différence fondamentale qui existe entre deux ordres du langage : la parole et l’écriture. Une distinction savamment entretenue par les professionnels de l’écriture, qui cultivent des ‹ styles oraux › tout en gardant le discours original éloigné de la page imprimée. De même, certaines paroles sont rarement enregistrées et encore moins souvent écrites : celles des sans-voix, celles qui sont exprimées dans des langues mineures à l’orthographe incertaine – patois, verlan, registre ‹ familier ›, langues d’exilés. Ces paroles et ces gens sont ainsi rendus invisibles ; ils ne laissent pas de traces, c’est comme s’ils n’existaient pas. D’où l’approche politique de la langue au cœur du thème. La poésie contemporaine semble prendre le contre-pied de cette double dichotomie réel / langage, oral / écrit. La volonté d’objectiver, la recherche de littéralité ou encore l’écriture non créative traduisent un changement dans la présence linguistique du poète. D’autres cherchent à fusionner la parole et l’écriture, donnant une place centrale à la lecture en tant que performance. Ainsi le souffle incarné, la parole émise par un corps, deviennent l’œuvre, dont le texte vient ensuite entretenir la mémoire. Le recueil de poésie se fait alors partition de lecture. Les blancs sur la page, les majuscules et la ponctuation prennent de nouvelles valeurs, et la mise en page elle-même devient œuvre poétique. Puisque les ‹ paroles ailées ›, comme les appelle Homère, une fois fixées sur le papier, perdent leur élan, leur ‹ aura ›, il faut lire les mots à voix haute. En vocalisant, on retrouve l’intention et l’émotion du locuteur initial, on lui prête sa bouche, renouant ainsi avec une pratique ancienne de la lecture comme événement collectif. Autre axe crucial de recherche : la typographie expressive, par exemple celle de Massin, figure inspirante de l’édition d’après-guerre. Il a transformé des livres de théâtre en partitions. Il a mis en pages la musique d’Édith Piaf et Schönberg. Chez Moltogone, on s’intéresse à la typographie du rap : comment retranscrire le flow par la seule apparence du texte écrit ? En créant des équilibres entre sonorité et lisibilité. Et au-delà de l’exercice, quel est le but d’un tel travail ? La musique est éclairante pour le thème de cet ouvrage. Elle comprend différents systèmes de notation très codifiés. Plus encore, un morceau peut être composé, interprété, transcrit, transposé, arrangé, samplé, etc. Alors que la transposition consiste en l’adaptation de notes pour jouer avec d’autres instruments, la transcription est le relevé d’une mélodie sur le papier. Voilà un parallèle intéressant avec le texte : on traduit dans une langue, mais on transcrit dans un alphabet. Dans tout ce qui précède, l’interrogation centrale concerne la capacité des signes conventionnels (par exemple les mots, les lettres ou les notes) à véhiculer ce qui est par essence éphémère, unique et infini – l’événement. Miracle de l’écriture : comment des symboles artificiels, standardisés et en nombre limité peuvent-ils exprimer la réalité foisonnante ? Un débat du même acabit a traversé un temps les arts visuels, opposant les arts que l’on pourrait appeler ‹ corporels › (le dessin, la peinture, la sculpture, etc.) et les arts mécaniques, comme la photographie ou le cinéma. Rodin disait que la photographie, reproduction exacte de la réalité, n’était paradoxalement pas ‹ réaliste ›, figeant les êtres et les choses au lieu de faire sentir leur mouvement – dans la réalité, le temps ne s’arrête pas. Au contraire, selon lui, dans la sculpture comme dans la peinture, le geste de l’artiste transmet son impression personnelle devant le sujet en mouvement. Tous les instants sont comme mélangés dans l’œuvre, filtrés par le regard de l’artiste. Ainsi le peintre Géricault, dans son Derby d’Epsom, réussit-il à retranscrire la vitesse parce que ses chevaux galopent dans une posture scientifiquement erronée, comme l’ont montré les premiers ‹ films › de courses équestres. Cependant, loin de se limiter à la réalité factuelle, l’objectivité photographique parvient à représenter le monde vécu, le foisonnement du réel. Non par la technologie en tant que telle, mais par l’usage créatif qui en est fait : l’appareil photo n’est rien sans le regard qui le porte. Toute photographie survient non pas d’une réalité brute mais d’un regard sur le monde, autrement dit d’une individualité, d’une subjectivité, et c’est ce regard que va retranscrire l’appareil. Comment donc mettre en image le subjectif – une émotion, un moment intime ? Comment représenter le passage du temps en une fraction de seconde imagée ? Ou encore : comment représenter un moment du réel invisible, un souvenir, un rêve ? Est-il possible que la photographie témoigne de l’irrationnel, de ce qui échappe au moment présent ? Mais s’il n’y a pas de photographie sans corps, pas de pure objectivité, autrement dit si toute retranscription est déjà interprétation, à quoi ressemblerait un objectivisme pur, un littéralisme, en photographie d’art ? Ce thème de la retranscription provient enfin de réflexions d’ordre épistémologique. Les disciplines scientifiques, en effet, codent et décodent leur objet d’étude selon des conventions et des symboles bien précis, qu’il faut se garder de penser ‹ vrais › : ils n’existent pas dans la nature. Loin de constituer un progrès uniforme, les concepts et problématiques de chaque science ont évolué par déplacements brutaux, se montrant à chaque instant capables d’expliquer une partie de la réalité. Le souci est qu’à partir de ces ‹ descriptions › incomplètes, certaines disciplines se font normatives, agissant sur le monde et le conformant à leur cadre théorique. Quelles mutilations nos ‹ sciences dures › font-elles subir au réel ? Sans même parler des ravages de la science économique, l’hypothèse est que la violence inhérente à la raison instrumentale est au fondement de la destruction de la ‹ nature › à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Au centre de ces réflexions, souterrain, se trouvait l’éternel rapport dialectique entre langage et réalité, qui se façonnent tous deux en une progression incessante et vertigineuse. Quelles sont les limites de la langue et de l’image : celles, ontologiques, qu’elles ne peuvent (ou ne pourraient) pas franchir dans leur capture et leur représentation du réel fourmillant, et celles, normatives, qu’il faudrait ou non leur assigner dans leur fonction de cadrage, de mise en lumière, d’engendrement de la réalité ? Et quels genres de débordements pouvons-nous constater, ou souhaiter, de part et d’autre de cette relation ? Voilà les pistes qui ont inspiré ce thème de la ‹ (re)transcription › pour l’appel à contributions de mars 2019. Vastes questionnements, dont nous ne sommes pas près de faire le tour… La complexité du thème s’est répercutée dans le nombre, la variété et la qualité des travaux reçus, nous amenant à publier trente-six de ces propositions. Chacune d’entre elles aborde le thème d’une manière propre et pertinente et forme, en relation avec d’autres travaux, des trajectoires créatives et théoriques. En écho à la Carte à lire, le premier numéro de la revue moltogone, où les liens et la diversité des contributions s’exprimaient dans les chemins de lecture de la carte dépliante, dans ce volume les participations forment une constellation que l’on trouvera dans le sommaire. Rendre compte des rencontres et tentatives qui ont eu lieu au cours de l’année 2019, en susciter de nouvelles par le rapprochement d’auteurs et artistes, telle est la vocation de cette revue expérimentale. C’est pourquoi ce numéro, devenu de facto le ‹ volume › deux de la revue moltogone, se veut un ouvrage collectif à part entière. Ce livre se poursuit en ligne sur le site de la revue : https://revue.moltogone.fr/. Une vingtaine de liens hypertextes, pour les pistes sonores notamment, figurent dans ce volume. Reproduits en toute lettres, ils sont aussi symbolisés par des code-barres de type Datamatrix. Pour les lire, munissez-vous d’un lecteur de code-barres généraliste. Le grand sommaire constitue l’armature du présent volume. Il rend compte du travail de lecture et d’agencement entrepris de mai à novembre 2019, des nombreuses affinités qui existent entre les contributions et de la complexité imprévue du thème. La table des matières qui suit permet quant à elle de trouver la pagination de tel texte, de telle série de photographies. Les travaux retenus ont été ordonnés selon deux critères : un ‹ type › et un ‹ genre ›. Ces distinctions se trouvaient en filigrane de l’appel à contributions publié en mars 2019, lequel comprenait trois ‹ définitions › et quatre ‹ rubriques ›. Ces quatre rubriques – littéraire, visuel, sonore, recherche – ont été reprises pour définir le ‹ genre › de chaque contribution, sachant que plusieurs d’entre elles sont à cheval entre ces catégories qui sont peu évidentes à circonscrire. Puis, en partant des trois définitions couramment admises de la retranscription, ce sont au final cinq ‹ types › de retranscription qui ont été isolés, comme autant de foyers de sens contenus dans ce concept, que nous déclinons ci-dessous. Ces contributions sont présentées en réseau, en constellation, afin d’insister sur l’unicité de chacune et la multiplicité de ses liens avec les autres, dont certains sont figurés par des traits dans le sommaire. Il peut s’agir d’un thème en commun, d’un parti pris ou d’une approche similaire, d’une complémentarité ou au contraire d’une opposition flagrante des projets. Encore une fois, tout cela n’est nullement exhaustif mais interprétable à souhait. Les traits pleins, ce chemin parmi d’autres, représentent l’itinéraire qui a été choisi pour le présent volume. À vous de donner sens à ces liens, et d’en tracer de nouveaux. Sur ce, nous vous souhaitons une bonne découverte du thème, de ces travaux, et une excellente lecture. MOLTOGONE
COPIE Retranscrire, c’est d’abord transcrire à nouveau, ‹ écrire au-delà › une nouvelle fois, reproduire encore, à la manière des copistes, recopier exactement. Les contributions concernées partent ainsi d’un matériau écrit déjà existant, et lui appliquent des traitements de nature poétique, lexicographique ou typographique, de l’ordre du montage, de l’ajout ou du retranchement. TRANSPOSITION Retranscrire, c’est aussi exprimer un contenu dans un autre système de notation, décrypter, transposer ou convertir, ce qui génère une tension intéressante avec la notion de traduction. Dans cette catégorie, on trouvera donc des translittérations, des adaptations, des recherches notamment transmédia qui ont en commun le passage d’un ordre d’expression à un autre, avec une altération du sens plus ou moins grande, plus ou moins volontaire. RESTITUTION Retranscrire, bien sûr, signifie également donner une forme graphique à ce qui n’en a pas, restituer après enregistrement, fixer ce qui est par nature éphémère – une voix, un rêve, une réalité, un souvenir. Les travaux de ce type écrivent (ou peignent) leur matériau de départ, lequel est vécu et donc unique. C’est le passage du monde au symbole, avec cette conclusion centrale qu’il ne peut exister de restitution sans perte, et jamais sans une lourde influence des outils et conventions utilisés. PROCESSUS Parallèlement à ces trois définitions primaires, plusieurs personnes ont eu pour projet de retranscrire leur propre pratique créative ou professionnelle, c’est-à-dire d’expliquer un processus de création, qu’il soit littéraire, plastique, pictural, cinématographique ou informatique. SUJET Enfin, quatre auteurs et autrices ont fait de la retranscription le sujet (plutôt que la méthode) de leur proposition. Il s’agit le plus souvent d’articles de recherche, où l’on trouve des conceptualisations et des déclinaisons théoriques de la notion, mais aussi d’une nouvelle, dont la retranscription forme le motif principal.
SOMMAIRE EN CONSTELLATION
Lettre à mon frère Alexandra Boilard-Lefebvre ↓ ¡ Sueño ! MDO ↓ Journal d’un fouille-merde Maximilien Cézanne ↓ It’s a long road, there’s no turning back Geoffrey Delhaye ↓ Slogan + 7 Jean-François Guillon ↓ Mantras Yoann Ximenes ↓ La transcription musicale Thomas Carré ↓ Rolling Stone (extrait) Antoine Girault ↓ Ironing Board Sam Simon Arcache ↓ On how to write dance Elena Kaufmann ↓ Partitions Jean-Baptiste Lagadec ↓ À la recherche du méta-haïku (extrait) Diane Hequet ↓ Rouler en vélo Leïla Izrar ↓ En rêve Nicolas Pintea ↓ L’étoffe des rêves Caroline Peyronel ↓ Cent rêves (extrait) Armand Koestinger ↓ Thelma Jeanne-Marie Huet ↓ Vain dieu Hugues Barra ↓ Marne Phylo ↓ Fanny Garin ↓ Le lieu du sel Lorraine Lefort ↓ Descompositions Céline Lafon & Bernadette Vercoustre ↓ Matters (extrait) Clémence Hallé & Duncan Evennou ↓ Le temps d’un café (extrait) Léa Arson ↓ Une tentative de compte rendu Emmanuelle Gallienne ↓ Cahier des charges Laura Boullic ↓ Escales Auréliane Gillet ↓ A ship loads at Bordeaux (extrait) Sam O’Hana ↓ La retranscription, outil démocratique Elsa Novelli ↓ Moltopub Antoine Ormeaux ↓ Un monde de retranscriptions Thomas Coster ↓ Un modèle économique Julien Pascal ↓ Fichiers textes et formats de données Philippe Ngo ↓ Pluie Dimitri Toloton ↓ Demain c’est trop tard MC Circulaire ↓ Poèmes parasites Natol Bisq ↓
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TITRE Lettre à mon frère AUTEUR Alexandra Boilard-Lefebvre GENRE essai / création littéraire TYPE processus
Alexandra Boilard-Lefebvre est née à Québec. Elle complète actuellement une maîtrise en recherche et création littéraire à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Elle est l’auteure de plusieurs textes, publiés notamment dans les revues Main Blanche, Postures et Filles Missiles. Son texte Nos noyades a fait partie de la liste préliminaire du Prix du récit Radio-Canada en 2018. Elle a également signé la préface de la réédition de Nous verrons brûler nos demeures de Daria Colonna publiée aux éditions de La Tournure (2019).
‹ Je me demande si je n’écris pas pour savoir si les autres n’ont pas fait ou ressenti des choses identiques, sinon, pour qu’ils trouvent normal de les ressentir. Même qu’ils les vivent à leur tour en oubliant qu’ils les ont lues quelque part un jour (1). › Annie Ernaux Élie, L’été dernier, sur le bord du Lac, tu m’as confié ta certitude de devoir t’installer sur les berges du fleuve pour le comprendre. Tu t’es levé et m’as mimé tes pas sur la glace inflexible de février. Tes yeux mi-clos et ta main en visière, tu as joué à être ailleurs, puis ton regard dans le mien : tu m’as dit que la glace devrait rythmer ta vie si tu voulais comprendre la sienne. Tu penses que la théorie et la pratique sont sur le même spectre, ce décloisonnement te permet de les faire travailler ensemble. Comme tu allais passer les deux prochaines années à établir la trajectoire des glaciers, son cycle de vie, il valait mieux t’installer où tu pourrais l’observer dès que tu en éprouverais le besoin. Tu me rappelais ta mélancolie d’il y a quelques étés déjà, lorsque tu étudiais les étoiles et que la différence temporelle entre vous t’était insurmontable. Depuis, tu es sorti au grand air, tu as choisi le terrain. Les pieds plongés dans le Lac Clair, tu m’annonçais ton départ pour Rimouski. Et, avec lui, une coupure franche avec le monde brutal de notre enfance. Je t’écris cette lettre, car il me semble aujourd’hui que nos fuites se retrouvent. Nous cherchons une étendue où se possibiliser. Vivre au rythme de la glace. La toucher, la sentir, la goûter, l’entendre : être sur le même plan qu’elle. ‹ L’entendre, surtout ›, c’est ce que tu m’avais dit. Tu accordais une importance particulière au bruit de tes bottes crissant sur la neige. Ici, j’ai pensé que tes années de pratique musicale avaient influencé ta perception de la recherche, ta sensibilité : toi aussi, tu t’indisciplines. Sens-tu la démarcation entre la création et la recherche s’atténuer ? La frontière entre les pratiques devenir poreuse ? Reconnais-tu tes gestes dans le cheminement des glaces ? Dans la vie publique et extérieure, discernes-tu ce que tu croyais être ton intériorité ? ‹ [A]ller chercher loin de soi […] quelque chose qui fasse écho à un trouble en nous, à une préoccupation de longue date – de sorte que la réalité la plus extérieure se trouve soudain accrochée, reliée au plus intime (2). › Loin de la littérature, je rencontre des manières de faire vibrant avec mes préoccupations. Là où je m’y attends le moins – sur la rue, chez le garagiste, sur un terrain de soccer –, je retrouve des pistes à suivre pour fouiller mes questions tenaces. Il ne s’agit pas d’inspiration, il s’agit d’autre chose. La littérature est partout. À l’inverse : loin d’être ce qui englobe, surplombe, la littérature est un tissage de ce qui fait le monde, un ensemble vide où se (re)composer. Il s’agissait d’abord d’un devoir de mémoire : je voulais mettre à l’épreuve mes souvenirs, les tisser ensemble afin de voir apparaître Thérèse. Tu comprendras que j’avais, en quelques mots, posé sur la page tout ce que je savais de notre grand-mère paternelle. Les blancs, qui composaient la majeure partie de mon esquisse, je ne les questionnais pas, je les comblais. Ainsi, seule, encabanée dans le confort d’une chambre, je brossais, décomplexifiais un portrait. J’avais tout faux : je pénétrais ainsi dans une zone protégée, sans danger, de la littérature. Cet endroit où je ne risque rien, où tout reste à sa place selon ma volonté ne m’intéresse pas. La littérature n’est pas isolée, elle ne résout pas la vie, mais permet plutôt de s’y mouvoir, d’approfondir le problème pour faire sens. Et le sens est un processus. Il faut travailler à observer les différentes faces d’une chose, à décentrer notre regard, à sortir de nos habitudes pour déplier un objet. J’ai décidé d’aller prendre l’air. Comme toi, je voulais poser ma main, entendre le poids de mon corps, sentir et goûter. Reste à savoir comment observer l’absence. Tu as la glace sur laquelle te promener, je n’ai que des crevasses invisibles. Ce matin, j’ai suivi le fleuve, seule moi aussi. À la recherche d’un lieu pour t’écrire. Je cherchais le sol juste pour m’adresser à toi, pour réfléchir nos pratiques conjointes et nos marques indélébiles. Il m’est venu à l’idée de me rendre à Saint-Jean-Chrysostome. Pour scruter les briques rouges, toucher les coins accélérés, l’herbe droite et la cabane dans les bois où nous avons comploté. Ils ont vendu la maison telle quelle, le savais-tu ? Les nouveaux habitants vivent dans le décor de nos bouleversements, derrière les rideaux lourds, entre les tapisseries à carreaux, sur les chaises de la cour. Ils ont vendu le salon vide où j’ai crié ‹ Salut, salon vide ! › quand nous sommes arrivés, le passage entre les haies pour se rendre chez les voisins, la salle de jeux, le tapis fleuri de nos petites morts et le comptoir de la salle de bains sur lequel je t’ai entendu pleurer. Ce matin, j’ai pensé m’y rendre. Aujourd’hui, j’ai roulé une heure, j’ai quitté l’île pour me poser quelques jours dans un ancien couvent transformé en hôtel. En ce moment, je vois la rivière qui ondule et les mots qui se bousculent et s’organisent devant moi. Je me demande ce que tu fais. Écrire me permet de prendre mon temps. Loin de la ville, le temps long. Il ne s’agit pas de me retirer de la vie – une telle chose est impossible –, mais de m’y engouffrer, m’y engager. J’ai choisi la littérature, tu as choisi les sciences de la nature. Il aurait pu en être autrement. Je t’écris aussi pour en rendre compte. Rendre compte de la proximité de nos pratiques. Saisis-tu tout ce que cette conception signifie ? Aplanir, changer d’échelle : considérer l’usage de ce qui nous entoure, mesurer en geste à poser. Il est possible de glaner des méthodes à d’autres pratiques pour animer la sienne. Par exemple, je conçois les projets à écrire comme des films, des scénarios à écrire. Les outils cinématographiques m’aident à me mettre en situation, à replacer en contexte ce sur quoi, et avec quoi, j’écris. À penser le projet à écrire en matière de relations, comme un objet avec lequel j’interagis, un objet en interaction avec un regard, une lumière. Je joue sur un terrain, je pense les échelles, les plans – large, américain, gros plan –, les angles, les couleurs, les mouvements de caméra – travelling, caméra fixe, caméra à l’épaule. Je réalise mon projet à écrire. Je le tourne, l’enregistre. Puis, je découpe, j’organise. Je supprime, je crée des ellipses, j’inverse. Travailler la matière textuelle comme un moment cinématographique. Juxtaposer les pratiques, se saisir des connexions ébranle l’idée dominante que nous ne pouvons nous comprendre. En ce sens, pratiquer, c’est être à la recherche de modalités pour vivre ensemble. Conviens que cette pensée a quelque chose de libérateur ! ‹ Le travail de la littérature, en quelque manière qu’elle opère dans notre langage, participe, avec une efficacité variable, de la formation de notre vie commune : tantôt elle reconduit et consolide ce que nous partageons, tantôt elle le questionne et le conteste, tantôt elle parvient à le reconfigurer, etc (3) ›. S’adonner à la littérature comme un exercice, un travail de reconnaissance des relations qui nous lient les uns aux autres, les choses aux autres. Se mettre les mains dans les mots, dans la matière qui nous forme. Suivre les réseaux. Trouver les configurations possibles. Comprends-moi bien, il n’est pas question de réécrire, de trouver les bons mots. Je crois davantage qu’il faille surécrire : accumuler, collectionner les morceaux, les fragments qui, à première vue, semblent paradoxaux, éloignés. Surécrire : rassembler les points de vue, les croyances, faire coexister les témoignages et les documents divergents, les différentes couches sédimentées, et ainsi approcher l’inachevé, les ouvertures. Il y a plusieurs ‹ manières de faire des mondes (4) ›, de les vivre, de les voir. La vérité est plurielle. Le monde aussi. Nous usons du même langage. Nous l’organisons, le morcelons, le raboutons. Ce matin, j’ai salué un inconnu dans l’ascenseur, commandé un café noir, je t’ai écrit. Nous habitons un ensemble de mots analogue. Nos matériaux sont échangeables. Dès lors, ils sont politiques, sociaux, communautaires. Il s’agit de repenser notre rapport aux mots, de leur faire confiance. Il est nécessaire de faire du commun. Portons attention, soyons vigilants. Enquêtons ! ‹ Et enquêter, ce n’est jamais que décrire, travailler nos descriptions, développer nos usages, réarticuler nos jeux de langages, réélaborer nos liaisons, accorder une place, développer nos marges de coopération. Non pas fusionner, non pas assimiler, non pas terrasser, mais décrire encore et encore, dissoudre ces problèmes, et finir par ouvrir le champ de nos actions possibles. Décrire, et, en décrivant, s’organiser (5) ›. L’enquête pour exhumer les liens forts entre la vie et l’écriture, et la recherche. Je n’écris pas, j’accumule. J’agence, j’accorde, j’avance, je fouille, j’assemble, je capture et je monte, j’enregistre, je raccommode, je bâtis, je combine, je dispose, je fabrique, je compose et décompose, je tisse, j’articule. Je ne suis pas écrivaine, je fais avec ce qu’on m’a appris, ce que j’ai appris, avec ce qui forme ma vie : les mots, les silences. Je suis anthropologue, je suis photographe. J’enquête. Cette manière de concevoir la littérature laisse croire à une possibilité de rendre plus présente une réalité insoupçonnée, en marge, infâme, mineure, un problème laissé dans un angle mort. Cet aplatissement crée des ouvertures, nous remémore la multiplicité des usages et des outils dont nous disposons, tous et toutes. Je pense aux quatre photographies, placées entre les pages d’un livre qui ne me quitte plus depuis quelques mois. Je conjugue difficilement les mots et je pense t’envoyer ces quelques photographies. Elles contiennent les mots que je veux t’écrire. Ces mots, ils sont les murs gris de ma chambre, l’assiette sous la chandelle, le verre, la lampe, la tablette tombée du mur. ‹ J’aurais voulu conserver tel quel ce désordre où tout objet signifiait un geste, un moment, qui composait un tableau dont la force et la douleur ne seront jamais atteintes pour moi par aucun autre dans un musée (6). › Ils sont partout ; les mots ne sont pas des véhicules pour raconter la vie, une deuxième couche. Les mots tissent le monde. Le tapis est sale et nous ne sourions pas. La blancheur des murs est accentuée par le flash de la caméra jetable. Tu dois avoir deux ans, j’en ai donc six. Dans la pièce où nous sommes, il y a une table et des chaises pliantes, un fauteuil en tissu émeraude, deux ou trois jouets de plastique épais, notre père, blême, le visage éteint, et une femme qui surveille la scène, nos interactions. Sur une des photographies, on la voit même prendre des notes. Sur le tapis grisâtre, du papier cadeau coloré épars. Ce devait être ta fête, la raison de notre visite. Si je ne connaissais pas notre histoire, je penserais deviner le sous-sol vide d’un appartement, une pièce de rangement, un nouveau logement. Sur chacune des photographies, je te tiens la main. Ton terrain n’est pas seulement tes glaces ; le mien, la rue Letondal sur laquelle Thérèse s’est enlevée la vie. ‹ [C]e n’est pas vraiment une question d’objet, mais peut-être plutôt une méthode (7). › Pour être sur le terrain, il n’est pas nécessaire d’aller à l’extérieur, il s’agit plutôt de circonscrire un espace de travail comme un rappel de sa situation. Pour davantage de justesse, d’humilité et de rigueur. Localiser son terrain permet plus d’horizontalité. Ainsi le chercheur, l’écrivain marque d’où il parle ; il annonce son incapacité à comprendre plus ou mieux, à résoudre, à contenir. Il embrasse sa subjectivité. Il est ordinaire, il est comme les autres. Où ses pouvoirs s’amenuisent, son éthique brille. Travailler sur le terrain, c’est se frotter à l’erreur, oser apprendre. L’idée est de se mettre en action. De passer d’une conception du monde-objet vers un monde-vécu (8). Concevoir le monde comme étant vécu, c’est reconnaître que le monde n’est pas une réalité finie, mais un ensemble de situations. La vie est en train de se faire, la vie a lieu, dans sa complexité et ses anomalies. Le savant et l’écrivain sont dans ce monde en chantier, agité et en constante transformation. Ils sondent l’ordinaire, son langage et son temps. Le temps ordinaire, c’est un temps similaire pour agir et penser, indivisible. Un même temps pour tous. La glace et toi. Le capitaine du brise-glace et toi. Les cuisiniers du bateau et toi. Toi et moi. Il n’y a pas de temps propre aux pratiques intellectuelles et artistiques, un temps rationnel et objectif qui serait autre que celui de l’objet d’analyse, le temps de tous les jours. Mon cher Élie, je ne t’écris pas pour te convaincre. Je m’adresse à toi pour te faire état de l’avancement de ma réflexion. Cette approche de la littérature et, conjointement, du monde actuel a rendu visible une brèche dans laquelle exister, me (re)trouver, naviguer plus doucement. De cet après-midi sur le quai, j’en garde beaucoup : ton discernement, ta sensibilité. Ton départ vers les glaces a été la première des étincelles vers une conception plus libre de mon environnement, vers la permission de me mouvoir, de sortir de mon immobilité. J’espère que mes quelques mots t’offriront en retour un peu de ce que tu m’as généreusement offert. À très bientôt, mon frère. Alexandra NOTES 1 ↑ Annie Ernaux, Passion simple, Paris, Gallimard, 1991, p. 65. 2 ↑ Vincent Message, ‹ Écrivain cherche matériaux ›, Devenirs du roman, vol. 2 : Écritures et matériaux, Paris, Inculte, 2014, p. 21. 3 ↑ Florent Coste, Explore. Investigations littéraires, Paris, Questions théoriques, p. 153. 4 ↑ Nelson Goodman, Manières de faire des mondes (1978), Paris, Gallimard, 1992. 5 ↑ Florent Coste, op. cit., p. 174. 6 ↑ Annie Ernaux, op. cit., p. 20. 7 ↑ Florent Coste, op. cit., p. 86. 8 ↑ Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire. Une conversion du regard, Toulouse, Anacharsis, 2011, p. 21.
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TITRE ¡ Sueño ! AUTEUR MDO GENRE récit / cinéma TYPE processus
On est sur le tournage d’un film* au Mexique. La scène du jour a lieu sur la crête d’un volcan. L’équipe est internationale. Jim est réalisateur. Oscar, producteur. Martin, photographe. Le texte a été écrit par MDO. Martin est l’un des dividus de MDO. Ce sont les chiens du diable**, dont est extrait le texte suivant, est un livre collectif où il s’agissait d’archiver/retranscrire, seul ou à plusieurs, une série d’événements vécus individuellement ou en commun. On y trouve des rêves, des récits entrecroisés, une retranscription de conversation filmée, ou orale, ou numérique. Bref, diverses décohérences***. * Los Cristos, Mexique, 18 min, 2018, indépendant: https://vimeo.com/317301482/dbdb62cef4 ** texte complet à l’adresse: https://revue.moltogone.fr/2/doc/chiensdudiable.docx *** chaîne YouTube décohérente: https://youtube.com/channel/UCLW902ia9YIZI8JEIOOfl7A
Les souffles sont épuisés par l’ascension, l’ensemble du groupe a fini par se distendre. Quand ils se retournent, Oscar, Jim et Martin ne voient plus le bout de la procession du tournage. De loin, seules quelques têtes émergent des graminées jaunes brossées par le vent. Le plateau de tournage est installé sur la crête d’un col, un endroit sec et rocheux. En dessous d’un décor d’ailes déployées d’oiseaux, peut-être d’aigles, de nuages qui coulissent et d’un soleil au zénith, on peut voir l’Iztaccíhuatl, le Popocatepetl et d’autres volcans dont je ne connais pas le nom entourer l’interminable étalement urbain du DF, de la ville de l’État de Mexico pâlie par son smog. Jim crie Action ! et soudain, les acteurs se mettent à grimper une pente. L’équipe du film suit en silence derrière la perche micro et la caméra numérique. Devant elle, Lis et Marcus interprètent un couple de gringos backpackers et Victor un chasseur aztèque. Il s’agit d’un plan-séquence. Les plaintes en castillan d’un vieil homme s’entendent au loin, le groupe atypique continue son avancée avant d’effectivement rencontrer un vieillard au sol, enchaîné par une corde à la montagne, des chapelets et des croix en bois autour du cou et des poignets, un moine épuisé, habillé d’une coule ou d’une cuculle, enfin d’une robe café surmontée d’un capuchon directement sortie d’une époque allant du Moyen Âge à la fin de la Renaissance, What the fuck?! a lâché le gringo, surpris, lui aussi, le moine se relève un peu, contemple un certain temps le couple pâle puis invective le chasseur comme s’il représentait le peuple aztèque tout entier, selon lui il les aurait tous délivrés, tous convertis, il aurait même brûlé leurs idoles diaboliques et de nombreux pécheurs au passage, l’Aztèque commence à répondre, impassible, qu’il n’a rien à faire sur cette terre mais le moine s’est déjà retourné vers les gringos et les prend maintenant pour des anges venus le délivrer : San Pedro ! Santa María ! Ayúdame ! dit-il en rampant jusqu’à eux, la fille le regarde avec pitié, le mec, lui, le repousse, dégoûté par l’odeur de sa soutane, et alors que le moine en est venu à s’accrocher aux jambes de Lis, l’Aztèque dans le dos du dévot coupe furtivement sa corde, le moine, enfin délivré de son fardeau, baise les chaussures de randonnée de Lis puis le sol avant de se lever pour aller fêter sa salvation devant le découpage lointain des montagnes et de la ville qu’il croit alors être, et il le crie, les portes du Paradis, la caméra se retourne pendant que le moine continue de délirer hors-champ, révélant un saladier rempli de tomates qui est apparu devant le couple formé par les deux gringos, le chasseur aztèque les invite à manger, ils ne se laissent pas prier et mordent à pleines dents les tomates fraîches, plan sur le visage souriant de l’Aztèque, Vous aimez ça, hein, dans les mains des gringos les tomates se sont transformées en carcasses de requins, leurs visages dégoulinent de sang, Qui es-tu ? demande Lis à l’Aztèque, avant que celui-ci ne réponde, Marcus, en pleine panique, l’implore de le laisser, il dit qu’il n’a jamais pissé sur cette terre, qu’il n’est pas catholique, qu’il travaille chez Google, etc., l’Aztèque le saisit par le nez et le jette au sol, Et toi, qui es-tu ? répond-il à Lis, laquelle, abasourdie par le goût du poisson ou par la violence soudaine de l’Aztèque bégaye Je suis une bouddhiste-anthropologiste, l’Aztèque se marre et prononce cette phrase en nahuatl : Namechtequitiliz chicahuac, zatepen hueliz matisqueh intla itech, je vais vous faire travailler dur, et après vous apprendrez quelque chose sur vous-mêmes, CUT. La scène ne fonctionne pas tout à fait. Les prises se répètent. Pendant plus d’une heure, on rejoue le même événement. Au bout de la dixième prise, on commence à s’interroger sur ce qui bloque et le personnage de Lis est rapidement mis en cause. Martin prend sa défense. C’est sa dernière ligne qui n’est pas au niveau : son personnage de bobo ayant tendance à osciller entre bien-pensance hypocrite et réelle tolérance, elle ne devrait pas formuler quelque chose d’aussi vide que Je suis une bouddhiste-anthropologiste. — Tu te retrouves devant une tomate bien fraîche alors que tu crèves de faim, tu la croques, mais après avoir commencé à mâcher tu te rends compte que tu manges en fait de la chair de requin. À quoi tu penses à ce moment ? — À rien. Lis et Jim discutent. Il supprime sa ligne de texte Je suis une bouddhiste-anthropologiste. Au fil des prises, Jim devient possédé par la séquence, j’ai l’impression qu’il fait tout pour communiquer aux acteurs une sorte d’état de transe, enfin il ne dit maintenant plus Action ! mais Energía ! ou Sueño ! Alors qu’il continue les prises du plan-séquence, j’observe de loin le déroulé répétitif : Les participants au film se rassemblent d’abord en bas de la pente, ils se préparent en silence, les accessoires comme le bol de tomates et les trois squales (dont l’exposition au soleil commence d’ailleurs à sérieusement corrompre le parfum) sont disposés hors-champ, le réalisateur se concentre, l’œil déjà porté vers l’action, ses concélébrants préparent les objets de cinéma, la perchiste perche sa perche, le chef opérateur nettoie l’objectif, les acteurs se recueillent ou psalmodient des vocalises, à un moment Victor prend même le tambour et entonne un chant nahuatl devant le volcan, et, enfin, après quelques mots précis, ce petit monde s’anime, la caméra suit le mouvement du groupe, des mouvements individuels ou des visages, les acteurs s’habitent de leurs rôles, les paroles du scénario sont récitées et d’autres sont parfois improvisées, et des mots obligatoires comme coupez, moteur, action, energía viennent entrecouper les prises. Un chasseur aztèque, un couple de gringos, un moine abandonné… Cette foire de personnages se retrouve à pique-niquer en haut d’un volcan. À moins d’habiter dans un autre monde cela n’a rien de normal. Et pourtant, sur le plateau, mais à distance, c’est tout à fait réel. Il y a que tous, ici, se prennent au jeu, parce que cela a un sens, parce qu’on s’affaire à concrétiser un rêve collectif. Ce rêve a pour titre Los Cristos. Comme tout rêve, il n’a pas de but et n’obéit qu’à sa possibilité d’exister.
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TITRE Journal d’un fouille-merde AUTEUR Maximilien Cézanne GENRE nouvelle TYPE sujet
Amateur de Ritaline.
Mais donc : Clémentine et Mathieu, je l’imagine, le premier matin, c’était le 3 juilloutre, elle passe à la salle de bains, se démaquille ou se maquille, les deux ? En même temps, elle se lave les mains, elle a peut-être pris une douche aussi, la douche de chez Mathieu je connais, il me loge des fois, il y a un siège parce qu’en fait c’est une baignoire, avec un rideau de douche, j’aurais voulu y prendre un bain mais c’était clairement pas possible, d’abord le degré d’hygiène et puis surtout la taille du truc un mètre vingt de long, genre faut se baigner assis. Des poils partout parce que son ex a pété sa tondeuse et qu’il a pas su quoi faire avec les déchets et a tout laissé sur le carrelage et le lavabo. Oui, c’est ça, Clémentine m’en avait parlé le lendemain midi avant d’aller boire un café avec une copine à elle : ‹ J’ai rencontré un type dans le quartier hier, Mathieu il s’appelle, un revuïste bordélique. – Mathieu Triengle ? – Oui ! C’est ça ! Tu le connais ? › Trois mois plus tard, à onze heures du soir Clémentine, claquant la porte de chez Mathieu : ‹ Ne crois pas ce qu’a écrit Combray : j’étais là-bas parce qu’il l’avait voulu ! › Je colle là les brouillons qu’elle doit venir récupérer demain avec ses affaires, que j’ai ramassées pour elle chez Mathieu le lendemain de la soirée de lancement du numéro d’automne de La Nouvelle Revue du Foutre. Brouillons de Clémentine (écrits aux environs de la mi-septoutre, ce sont des feuilles volantes, du style papier d’imprimante avec au dos des feuilles de comptabilité, des lignes de chiffres un coup vertes un coup blanches ; les feuilles des deux côtés ont des bandes détachables avec des trous tout le long pour les ranger dans des porte-documents avec plein d’anneaux) : Rien n’est sacré dans une maison d’édition comme l’honneur de ses écrivains, mais si ce trésor vient à se ternir, tout précieux qu’il puisse être, ceux qui sont intéressés à le défendre le doivent-ils au prix de se charger eux-mêmes du rôle humiliant de persécuteur des malheureuses créatures qui les offensent? Quel est le plus coupable aux yeux de la morale, ou d’une fille forte et soi-disant coupable de viol, ou d’un magnat quelconque de l’édition qui pour s’ériger en vengeur de son domicile quelque peu forcé, devient le bourreau de cette infortunée? Vidéo de la soirée du 24 septoutre (mon téléphone est à côté de moi caméra vers le haut, ce qui fait que je vois mon menton, son début de repousse, et Combray qui se baisse vers moi, la tête parallèle à l’objectif, plate et ses lippes en mouvement décalé des mots parce que mes vidéos sont de mauvaise qualité) : – Ah ! Monsieur Cézanne, vous êtes venu lire ma nouvelle ? – Oui, bien sûr, ce n’est pas trop mal écrit mais on n’y comprend rien. Qui est cette Clémencette ? Écrit-elle de bons textes ? – À vous je peux le dire, c’est la petite amie de l’hôte de ce soir, elle était là elle est partie, je crains qu’on ne la revoie plus. Quant à ses textes, vous vous doutez bien qu’ils sont nuls. Évidemment cet imbécile ne savait pas que je connaissais Clémentine et Mathieu. Après avoir lu ‹ La couette retournée ›, j’ai volé le carnet du vieux Combray dans la mallette qu’il m’avait confiée (‹ un homme rencontré à la Fnac c’est à la vie à la mort ! ›), pour consigner la vérité, je craignais d’y trouver des accusations de viol. Que la bête retranscription des paroles qu’il volait dans la rue. Carnet de Combray (ce radin n’est pas foutu d’acheter des Moleskine, ses carnets sont noirs en carton achetés chez Flying Tiger : il doit draguer là-bas des étudiantes ; il y a encore l’autocollant dessus avec des cœurs et le t de Tiger qui est une contrefaçon du f de Facebook) : 29 faoutre: Notes pour ‹ La couette retournée › (nouvelle à publier dans le numéro de septoutre de La Nouvelle Revue du Foutre, je vais y raconter comment j’ai débauché, sans le vouloir, la petite amie de Triengle): Et Clémencette lui dit: ‹ Bon ben… merci… merci pour cette nuit… pour votre conversation…… pour le vin qui était excellent. › L’après-midi, je l’avais accostée à la terrasse d’un bar, elle m’a reconnu et m’a demandé si je pouvais éditer son livre. Ils sont restés trois mois ensemble. Clémentine voulait une relation libre. Carnet de Combray : 29 faoutre: J’écoutais ces deux filles en face d’un bol de frites, de la mayonnaise au bord, une assiette évasée bleue, un bleu que l’on ne trouve que chez Ikea, très beau, ça rappelle les pissotières de Normandie greffées aux plages tout au long de la digue en béton; ces deux jeunes filles étaient habillées de vêtements simples, l’une par succession de couches fines, l’autre dans une robe à manches à boutons en avant (elle devait l’avoir achetée en brocante, c’est quelque chose qui se fait de nos jours). Brouillons de Clémentine : Un des plus grands défauts des vieillards hypocondres est de hasarder sans cesse une foule d’indiscrétions sur tout ce qui respire, et cela devant des gens qu’ils ne connaissent pas. Prenez une jeune femme, entêtée, enthousiaste et sans tabou, qui se figure tristement que ce ne sont ni le hasard ni les décisions qui devraient décider les choix d’une jeune fille pour un éditeur, mais seulement l’entregent, l’âge mûr et principalement la virilité. Carnet de Combray (il a lui-même recopié cette note pour l’entrelacer de celles du 29 faoutre) : 4 juilloutre, 13 h 37: Face à la route, plus de cyclistes et de motards que de voitures, peu de bruit et le soleil ne tapait pas, ma tasse était vide hormis le fond de sucre, en m’esquintant sur ma chaise mais pourtant assez confortable; présentement je suis agréablement dressé dans ma chambre (je tords mes genoux, m’appuie sur mes pieds intercalés entre les supports horizontaux croisés de ma tablette de bar convertie en bureau et je recopie ces phrases pour La Nouvelle Revue du Foutre. Il me restait un cigare que j’essayais de faire patienter. Jacques est un écrivain génial, un vieux dégoulinant, je l’ai croisé dans le tramway, je le connaissais pour lui avoir conseillé un DVD à la Fnac. Dans le tramway tournant de Paris, le long des boulevards, il avait une mallette en cuir sous la main, il était gros, doté d’un jabot suffisamment assis sur sa poitrine pour que son visage s’y noyât. Je m’étais présenté et lui aussi. Je lui avais caché que j’étais moi aussi dans la littérature. Carnet de Combray : Enregistrement recopié le jeudi 29 faoutre (enregistrement de Clémentine en vue de nourrir ma ‹ Couette retournée ›). 4 juilloutre, 13 h 44: – Et ce Mathieu ? Tu penses qu’il pourrait éditer tes texte s? – Non que dalle, y a moyen de rien avec lui. Mais il est mignon, ça occupe. Clémentine et Mathieu s’étaient revus et s’étaient mis ensemble. Le lendemain de la première nuit, Mathieu pensait que ce serait la bonne (quand Madeleine l’avait quitté, lui jetant sa tondeuse à la gueule pour qu’elle aille se casser contre le carrelage de sa salle de bains, il s’était abattu pendant plus de deux heures), il m’avait dit : ‹ On a parlé pendant six heures, je me suis couché à… quoi ?… Sept heures du matin ? › ‹ La couette retournée ou Les amours contrariées (par moi-même) de Clémencette et Mathias ›, Jacques Combray, La Nouvelle Revue du Foutre, octoutre 2019 (je recopie le numéro que j’ai récupéré hier soir, sans payer cela va de soi) : La nuit était chaude et sous les draps son corps s’activait à dormir, il entendit, il était trois heures du matin, sa serrure s’ébranler, par à-coups, elle tournait et la porte pareillement glissa sans qu’un bruit de pas se fît entendre. Il se leva, au milieu des piles de livres, les plus pourris les plus accessibles, il se leva en caleçon. Alluma son dictaphone qu’il avait laissé posé sur une tablette à double niveau. Elle louvoyait elle aussi quand il appuya sur l’interrupteur: – Clémencette ?! – Monsieur Combray, s’il vous plaît, publiez-moi ! Je retranscris de mémoire ici : ‹ Vous savez, les DVD, les films, j’ai appris à me débrouiller avec. › C’était sa période traversée du désert, il avait beaucoup trop bouffé pendant trop de mois. Et là, dégoulinant de sueur, c’était la canicule, je devais être en short et lui en costume, sa sacoche en cuir de ringard sous l’aisselle, ça devait couler dessus, sa frange était en désordre, sa frange c’est-à-dire les vestiges des canines pointues et grises d’une bouche édentée : ‹ C’est pour les filmeu hixe, comment vous faites pour en télécharger ? › Brouillons de Clémentine : Je fus mise nue en un instant, on suscita mes cris par mille précautions, et je fus traînée vers cet écrivain qui, se faisant un jeu de mes larmes et s’amusant de ses résistances, ne s’occupait qu’à s’assurer de la malheureuse coupable dont il déchirait le cœur; deux éditrices ne cessaient de me tenir et de m’empêcher de toucher ce génie, il n’éteignit pourtant pas les feux de mon innocente ardeur par ces attouchements et ces baisers si purs qu’ils me laissèrent sans outrages. Vidéo de la soirée du 24 septoutre (mon téléphone est posé de travers, je suis dans la pièce à côté) : Un canapé en cuir noir, des tentures aux murs. Il y a Alexandre rouge d’alcool suspendu à son costume tiré par des épingles, des bouteilles d’alcool, des chips par terre, à noter qu’au même moment, dans sa chambre, Mathieu, en pleurs, range les affaires de Clémentine dans un carton. Il s’était caché bien sûr, il ne voulait pas que tout le monde comprenne que c’était son histoire que tout le monde avait admirée ce soir entre deux verres de rouge. Alexandre est penché vers Combray sa tête grasse levée pour mieux entendre: – J’aime beaucoup ‹ La couette retournée ›. Ça change C’est marrant que vous ayez fait ça Il y a une page qui est magnifique ah im Mais quand Clémencette vient vous supplier de coucher avec elle et que vous refusez Franchement vous avez fait Mais Du bon boulot Non franchement ‹ La couette retournée ou Les amours contrariées (par moi-même) de Clémencette et Mathias ›, Jacques Combray, La Nouvelle Revue du Foutre, octoutre 2019 : – Oui ! Vous voyez, je tourne mon con autour de vos doigts ! – NON ! Ne te caresse pas ! – Tout marcherait ensemble, la cassette, les photos, vos doigts raides et moi tournant mon con autour ! – … – Mais vous me voulez ou vous me voulez pas ? Clémentine cherchait un type gentil et croyait avoir trouvé le gros lot et en soi n’avait pas tort, Mathieu est un brave type, sauf qu’il se cherchait une copine. Clémentine est partie, j’ai bien pensé à l’enregistrer quand elle m’a donné ses explications mais c’était trop elliptique, des allusions, dans l’enregistrement, au milieu des détails de son voyage en Guyane, elle part y travailler, pour rejoindre son taf elle prendra la pirogue. De temps en temps une phrase énervée. En voici quelques-unes : Mathieu et sa foutue soirée, je lui avais bien dit d’ailleurs (puis elle raconte la construction des pilotis)… Ça me fait penser que j’ai encore les clés de Combray, c’est lui qui me les avait filées, j’étais d’accord pour arroser ses plantes (les bambous géants ça va me changer des géraniums en jardinière)… Et tu savais que ces deux éditrices étaient les esclaves de Combray, elles étaient là quand je suis arrivée! (parce que je lui avais dit qu’elles prenaient souvent l’avion et qu’elles avaient des bails pour payer pas cher les vols)… SMS de Clémentine du 25 septoutre, exhibé devant moi par Combray sur son téléphone en plastique à grosses touches (‹ regardez comme j’ai bien attrapé Triengle qui voulait absolument organiser ma soirée de lancement ! ›) : Je me souviendrai de toi Jacques! Je suis dégoûtée et abasourdie par ta nouvelle, il y a vraiment des immondices… Je te conchie, ne me donne pas de nouvelles de ce que tu fais pendant les vacances de la Toussaint (moi je m’envole le 1er nofoutre)
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TITRE It’s a long road, there’s no turning back AUTEUR Geoffrey Delhaye GENRE photographie TYPE restitution
Mon intérêt pour la photographie s’est développé au cours d’un long voyage en Australie et en Asie où, accompagné d’un appareil numérique, j’avais souhaité graver mon aventure ailleurs que dans ma mémoire. À mon retour en Europe, je me suis rendu compte que l’aspect digital et surtout la quantité impressionnante de clichés manquaient cruellement d’attrait et d’originalité, à tel point que je ne les regarde et partage plus. J’ai fait part de ma déception à ma petite cousine, qui étudie la photographie, et elle m’a offert un vieil argentique trouvé dans une brocante, un Pentax K1000. Cela fait maintenant deux ans qu’il m’accompagne partout, à Marseille où je réalise un doctorat en biophysique, et à chacun de mes déplacements. Le côté précieux d’une pellicule et le fait de ne pas visualiser instantanément la photo me touchent beaucoup. J’ai dès lors pris l’habitude, de l’ombre de l’hiver à la lumière de l’été, d’immortaliser de beaux moments de vie ou des perspectives intéressantes en pressant le déclencheur de mon appareil. De façon surprenante, des problèmes occasionnels d’exposition et de fusion de clichés, probablement dus à la vétusté de mon argentique, rendent encore plus unique chacune des photos. Finalement, la magie de ces souvenirs devenus abstraits avec le temps peut opérer à nouveau lors de leur retranscription sur papier. Instagram: @geoffreydlh
https://revue.moltogone.fr/2/doc/ItsALongRoad1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/ItsALongRoad2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/ItsALongRoad3.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/ItsALongRoad4.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/ItsALongRoad5.jpg
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TITRE Slogan + 7 AUTEUR Jean-François Guillon GENRE poésie TYPE copie
Ma contribution est une série de slogans de Mai 68 auxquels j’ai fait subir le procédé oulipien S+7, qui consiste à remplacer chaque substantif par celui situé sept mots plus loin dans le dictionnaire. À la différence de la méthode classique, je montre toutes les étapes du procédé, et remonte du résultat jusqu’au slogan d’origine. Par cette retranscription, il s’agit d’évoquer une déperdition du slogan d’origine, dont je cherche à retrouver le sens, et l’essence… J’ai réalisé ce travail d’écriture à l’occasion d’une performance autour de Mai 68 lors de la Nuit de la philosophie organisée aux Beaux-Arts de Paris en 2018. D’abord plasticien et photographe, Jean-François Guillon réalise des performances et pratique également la scénographie pour le théâtre. L’écriture, le signe écrit, occupe une place importante dans son travail. https://jeanfrancoisguillon.fr
Sous les pays, la plainte Sous les paysans, la plaine Sous les paysages, la plaie Sous les payeurs, le plaidant Sous les pavots, le plaid Sous les pavois, les plagistes Sous les pavillons, les plagiaires Sous les pavés, la plage.
Ne me lime pas, je m’en chauffe Ne me ligue pas, je m’en chaudronne Ne me ligote pas, je m’en chatouille Ne me ligature pas, je m’en chasse Ne me lifte pas, je m’en charrie Ne me lie pas, je m’en charpente Ne me licencie pas, je m’en charme Ne me libère pas, je m’en charge.
Quand j’entends le mot cupule, je sors mon crustacé Quand j’entends le mot cupide, je sors mon crumble Quand j’entends le mot cunnilingus, je sors mon cruciforme Quand j’entends le mot cumulus, je sors mon crucifix Quand j’entends le mot cumulard, je sors mon crucifère Quand j’entends le mot cumin, je sors ma cruche Quand j’entends le mot culturiste, je sors ma cruauté Quand j’entends le mot culture, je sors mes CRS.
Particularisez vos volcans Participez à vos volailles Partagez vos vols Parsemez vos voituriers Parrainez vos voiturettes Parquez vos voitures-balais Parodiez vos voitures Parlez à vos voisins.
Nous sommes tous des kafkaïens allergiques Nous sommes tous des kabyles alliés Nous sommes tous des justes allogènes Nous sommes tous des juristes allongés Nous sommes tous des jumelles allopathes Nous sommes tous des jumeaux allumés Nous sommes tous des juke-box allusifs Nous sommes tous des juifs allemands.
Le maréchal, on le câblera Le marécage, on le butinera La mare, on la buttera Le mardi, on le bureaucratisera Le marcheur, on le budgétisera Le marchepied, on le brutalisera La marche, on la brusquera La marchandise, on la brûlera.
Interrompu d’interrompre Interrogé d’interroger Interprété d’interpréter Interpellé d’interpeller Interné d’interner Interloqué d’interloquer Intéressé d’intéresser Interdit d’interdire.
Ce n’est pas un rhino-pharynx, Sire, c’est un mycoderme Ce n’est pas un rhinocéros, Sire, c’est une mutuelle Ce n’est pas un rhéteur, Sire, c’est un mutualiste Ce n’est pas une rhapsodie, Sire, c’est une mutinerie Ce n’est pas un rez-de-chaussée, Sire, c’est un mutin Ce n’est pas une revue, Sire, c’est un mutilé Ce n’est pas un revolver, Sire, c’est un mutilateur Ce n’est pas une révolution, Sire, c’est une mutation.
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TITRE Mantras AUTEUR Yoann Ximenes GENRE sculpture / son TYPE processus
Les mots, savamment maîtrisés, renferment un pouvoir qui commande à la réalité. Ce phénomène s’exprime nettement dans la sphère politico-sociale qui tend à imprimer des vérités sur le monde. Originellement, un mantra, mot sanskrit signifiant ‹ instrument de pensée ›, est une ‹ formule sacrée du brahmanisme qui possède, associée à certains rites, une vertu magique › (Trésor de la langue française informatisé). Les mantras ici présentés – sculptures aériennes construites selon des spectres sonores – sont des portraits sonores issus de discours d’hommes et de femmes qui ont forgé l’histoire moderne par la force des mots. Barack Obama, Nelson Mandela, Martin Luther King et bien d’autres sont ici convoqués pour la performativité de leur parole. Les mots, rigoureusement sélectionnés pour dépeindre la réalité, sont autant de signes qui tracent de nouvelles certitudes, de couleurs qui teintent les vérités, de cicatrices laissées sur les corps par impression. Artiste plasticien de 35 ans, Yoann Ximenes suit un parcours atypique mais construit. Diplômé en langues étrangères, en ingénierie culturelle et finalement en ‹ art contemporain et nouveaux médias ›, il articule son travail autour de la communication et de sa mise en forme. Chargé de cours à l’université Paris 8 pendant cinq ans, il a été ensuite assistant de production au sein de l’atelier de l’artiste Carlos Cruz-Diez. Entre autres, il a remporté en 2015 le prix Yicca à Rome et représenté la France lors de la biennale Mediterranea #18 à Tirana (Albanie) en 2017. Pour écouter les slogans dans leur version originale : https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras.mp3
Bперёд к победе En avant vers la victoire Joseph Staline Discours radiodiffusé du 3 juillet 1941 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras1.png
A rainbow nation Nelson Mandela Discours inaugural, Pretoria, 10 mai 1994 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras2.png
Patria o muerte Ernesto Che Guevara Discours à l’Assemblée générale de l’ONU, 11 décembre 1964 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras3.png
מְדִינַת יִשְרָאֵל L’État d’Israël David Ben Gourion Discours consécutif à la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, Tel-Aviv, 14 mai 1948 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras4.png
Hiroshima Harry S. Truman Discours radiodiffusé du 6 août 1945 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras5.png
Yes we can Barack Obama Discours de victoire à l’élection présidentielle, Chicago, 4 novembre 2008 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras6.png
Ich bin ein Berliner John F. Kennedy Discours à la mairie de Schöneberg, Berlin-Ouest, 26 juin 1963 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras7.png
I have a dream Martin Luther King Discours lors de la Marche pour l’emploi et la liberté, Washington, 28 août 1963 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras8.png
Je vous ai compris Charles de Gaulle Discours au balcon du Gouvernement général d’Alger, 4 juin 1958 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras9.png
Я прекращаю свою деятельность Je mets fin à mes fonctions Mikhaïl Gorbatchev Discours télévisé du 25 décembre 1991 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras10.png
Tear down this wall Ronald Reagan Discours à la porte de Brandebourg, Berlin-Ouest, 12 juin 1987 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras11.png
I have nothing to offer, but blood Winston Churchill Discours à la Chambre des communes, 13 mai 1940 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras12.png
La patrie ou la mort, nous vaincrons Thomas Sankara Discours à l’Assemblée générale de l’ONU, 4 octobre 1984 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras13.png
Tryst with destiny Jawaharlal Nehru Discours devant l’Assemblée constituante indienne, 14 août 1947 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras14.png
La historia es nuestra Salvador Allende Dernier discours avant le coup d’État, radiodiffusé le 11 septembre 1973 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras15.png
A mis descamisados Eva Perón Discours aux Descamisados, Buenos Aires, 17 octobre 1951 https://revue.moltogone.fr/2/doc/mantras16.png
MANTRAS
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TITRE La transcription musicale AUTEUR Thomas Carré GENRE musique / musicologie TYPE restitution
Thomas Carré est musicien. Il évoque ici la transcription en musique, son utilité et ses procédés, ses difficultés et ses plaisirs, et présente un exemple récent: une transcription manuscrite du morceau Echidna’s Arf (of You) de Frank Zappa, tel qu’il a été joué entre le 8 et 10 décembre 1973 au Roxy Theater à Hollywood. Ce titre est la 5e piste de l’album live Roxy and Elsewhere de Frank Zappa, mais Thomas Carré a travaillé à partir de la vidéo suivante à partir de 4’17: https://youtu.be/xEZwa1Funh0
https://revue.moltogone.fr/2/doc/TranscriptionMusicale1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/TranscriptionMusicale2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/TranscriptionMusicale3.jpg
C’est bien connu : les musiciens, ça lit des partitions. Mais parfois, étrangement, il leur arrive de faire l’inverse : écouter un morceau, et tenter tant bien que mal de coucher ce qu’ils entendent sur du papier. C’est la ‹ transcription ›. Ce travail invisible, pénible et exaltant, est notamment essentiel en jazz. Il permet en effet d’améliorer son jeu improvisé tout au long de sa vie musicale. En jazz, l’improvisation produite par un musicien n’est jamais un don du ciel, mais le fruit d’un long travail. Au début de son initiation, il doit jouer au plus près de la partition, reproduisant la mélodie, s’appuyant sur les accords. Puis il apprend certaines lignes mélodiques, qu’il répète et s’approprie, qu’il travaille dans son coin, dans tous les sens et sur tous les accords. Il développe ainsi son vocabulaire, ses propres phrases, qu’il pourra ensuite utiliser inconsciemment, selon les émotions de l’instant, pour construire sur scène un discours dit ‹ improvisé ›. Cet apprentissage n’est pas linéaire. Régulièrement, tout musicien piétine, en panne de nouveauté, lors d’affreuses périodes de stagnation. Une bonne manière d’en sortir consiste simplement à écouter, dans l’immense bibliothèque musicale disponible en ce XXIe siècle, un morceau qui nous touche. Avec un seul but : puiser dans le morceau choisi un matériau inspirant, que l’on pourra absorber pour le réutiliser. Et pour que cette absorption soit la plus complète et la plus profonde possible, le meilleur outil est la transcription. Transcrire les meilleurs solos doit permettre de les disséquer, d’en analyser les mouvements, les progressions, les couleurs, pour en comprendre la dimension technique (le virtuose), et la dimension esthétique (le musical). De ce point de vue, la transcription est plus efficace qu’une lecture de partition pour approcher la vérité d’un morceau. Mais comme toute récompense, celle-ci vient à un prix. Transcrire nécessite de réécouter chaque seconde plusieurs dizaines de fois, en battant la mesure pour trouver les rythmes, ou en tentant de jouer les notes sur tout instrument qui se présente afin de déterminer leur hauteur. Les passages les plus complexes nécessitent parfois plus d’une heure de transcription pour une ou deux malheureuses mesures, et des manipulations informatiques étranges comme la division par deux de la vitesse et l’augmentation correspondante de la tonalité du morceau (car quand on divise par deux la vitesse, et donc la longueur d’onde des sons, on perd une octave !) – solution certes impie, mais ô combien pratique pour les moins doués d’entre nous. Nous savons maintenant comment écouter un morceau pour bien transcrire. Mais comment écrire ? Un son, c’est une hauteur (ré bémol ou la), une durée (la noire ou la croche), une intensité (piano ou fortissimo) et un timbre (celui d’un piccolo ou d’une voix). Et la musique, c’est – du moins le plus souvent – un assemblage de sons horizontal (des accords) et vertical (des lignes mélodiques), qui forment un tout cohérent et expriment quelque chose. Divers systèmes de notation ont été inventés pour tenter de reproduire cette complexe alchimie… Mais aucun ne peut être parfait : transcrire, c’est rêver d’emprisonner une émotion dans des symboles. Chaque transcription est éminemment personnelle pour ces deux raisons. D’une part, la difficulté de l’exercice conduit bien souvent à écrire le minimum tout en gardant en tête l’essentiel. D’autre part, tout retranscrire est intrinsèquement impossible, du fait de l’évidente et nécessaire pauvreté des signes utilisés. Pour pouvoir partager une transcription, il faut donc que l’auteur… la transcrive et l’explique. Dans celle qui vous est ici présentée, trois types de notation musicale ont été utilisés. La première est la notation occidentale ‹ classique › : des points sur une partition. Elle saisit bien la dimension ‹ horizontale › ou temporelle de la musique. La deuxième est la notation ‹ américaine › où des lettres représentent des accords. Elle permet de saisir avec simplicité la verticalité de la musique. Et la troisième, c’est bien sûr celle toute personnelle du musicien qui transcrit, de façon plus ou moins inspirée, plus ou moins paresseuse. Pour mieux vous repérer, voici une liste de quelques sigles : • Clé de sol, clé de fa, bémols (♭), dièses (#), croches, noires et doubles. Il s’agit des signes traditionnels de la musique classique occidentale. Plus rare, ‹ 8va › signifie qu’il faut jouer une octave au-dessus de la partition ; ce qui ressemble à un ‹ % › signifie qu’il faut rejouer la même mesure. Les segno, en haut d’une mesure, marchent par groupes de deux : en arrivant au deuxième segno, il faudra retourner au segno qui le précède immédiatement dans le morceau. • Les accords à l’américaine : E représente l’accord de mi (c’est-à-dire mi, sol#, si)… et l’auteur vous fait grâce d’explications plus longues, du type : B♭+5♭9/F# = fa#, si♭, ré, do♭. • Et le plus complexe, la notation personnelle : par exemple, ‹ +4te inf › signifie qu’au deuxième passage, la mélodie principale marquée sur la partition est doublée à la quarte inférieure (lorsqu’un do est marqué, il faut jouer do et sol, ré et la pour un ré, etc.). Parmi tous les signes décrits ici, celui-ci transcrit le poil dans la main. Dans une vraie transcription, complète, la notation classique est la seule qui vaille car elle demeure à ce jour la plus aboutie. Ici, la transcription est plutôt utilitaire : elle vise à reproduire, pour un moment donné du morceau, les notes jouées par les instruments solistes et les accords sur lesquels elles se posent. De là les espaces vides, les notations hâtives et hésitantes, et parfois les erreurs que n’auront pas manqué de relever les plus musiciens d’entre vous. À bien des égards, le travail qui vous est présenté est ‹ en cours ›. Mais plus fondamentalement, toute transcription, quelle que soit sa qualité, est toujours un ‹ en cours ›, une étape vers autre chose. Elle n’a pas vocation à être lue, mais à être rejouée. Et pis encore, cette imitation (plus ou moins colorée) du morceau qu’elle saisit n’est même pas destinée à être entendue. Pour le musicien, rappelons-le, la transcription vise à comprendre un morceau pour pouvoir en incorporer la substance dans son propre jeu. Et pourtant, malgré ce côté déceptif, et la dureté du travail, tenter de saisir jusqu’à la moindre note et la moindre double croche d’un morceau ou de l’un de ses passages est un défi intellectuel passionnant. Bien plus encore, au-delà de ces aspects techniques, la transcription entraîne le musicien droit au cœur de son prédécesseur. Il s’approprie ainsi par une lente infusion les procédés techniques et artistiques qui ont abouti à la création et à l’expression d’une émotion qui l’a touché – pour pouvoir un jour, sur scène, instinctivement, construire à partir de ces nouveaux outils ses propres propositions esthétiques. La transcription est un dialogue intime qui tisse une relation profonde entre deux musiciens : l’un qui présente et, au fond, offre le fruit de ses efforts ; l’autre qui lui fait honneur en acceptant de le récolter, pour tracer son sillon dans le champ des possibles.
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TITRE Rolling Stone (extrait) AUTEUR Antoine Girault GENRE roman / nouvelle TYPE restitution
J’ai décidé d’écrire une histoire. Les pages suivantes en contiennent un fragment. Elle est fictive, inventée de toutes pièces, inspirée de destins épars et de bouts de vie. Mais c’est elle, le personnage principal. La musique. C’est elle, ma muse, mon testament apocryphe, ma raison d’être et ma raison d’écrire. Peu importent les dates, les noms, les lieux, les faits. Ce n’est pas l’Histoire, ce n’est pas la Science, la Religion, le Désespoir, la Guerre, ce n’est pas la Mystique. Ce n’est pas l’un de ces grands thèmes littéraires. Ce n’est pas une ligne droite, et ce n’est pas une courbe. C’est un récit de voyage sur des terres que je n’ai connues qu’avec elle. La musique. Sans jamais avoir voyagé, sans jamais avoir ouvert les yeux. Ce n’est rien d’autre qu’une déclaration d’amour. Un hommage. Une ode dénuée de volonté d’instruire ou de plaire. C’est un endroit de réconfort, une berceuse composée sur des siècles entiers qui, je l’espère, résonnera un petit peu entre ces lignes. Il suffit de fermer les yeux, et d’écouter le son du monde. C’est un souffle. C’est une partition. C’est le rythme d’un cœur immortel.
Jamais au cours de ma jeune vie je n’avais rencontré pareille figure. Pourtant, il me semblait avoir croisé bon nombre de destins brisés par le poids des rêves, une multitude de vies de chagrin, de détresse ou d’espoir surhumain. C’était peut-être l’attrait de cette région, ce parfum de taedium vitae qui coule de la cime des arbres jusque dans le terreau des roses. Ç’avait quelque chose de beau. Les visages craquelés par les rayons du soleil comme de minuscules éclairs d’orage qui vous frappent les pommettes. Mais jamais des rides ne m’avaient paru si creuses que sur le visage de cet homme de vingt-deux, vingt-trois ans tout au plus. Il gardait sa cigarette toujours au bout des lèvres, qu’il faisait doucement rouler au rythme de sa musique. Il me regarda de haut en bas, quand moi je regardai sa guitare, quand moi j’admirai son élégance, alors qu’il jouait encore sa ballade d’homme meurtri. Ce que je remarquai sur-le-champ, c’était son petit sourire en coin, malgré la gravité de ses mots, comme s’il se jouait avec malice des enfers et du Cerbère sur ses traces. Il s’arrêta de jouer. Avant de me parler, il me regarda de haut en bas, expira une bouffée de tabac, et, toujours affublé de son sourire trompe-la-mort, me posa la question suivante : ‹ T’es pasteur ? C’est ça ? T’as bien une gueule de baptiste. › Je ne lui avais pas encore répondu qu’il surenchérit : ‹ Prêtre ? Tu prêches la bonne parole, c’est ça ? Ou alors t’es un de ces bouffe-curés qui boivent tout ce qu’on leur crache à la bouche ? Une saloperie de pentecôtiste ? › Je fis non de la tête. Curieusement, la virulence de ses propos me plut. Et sa haine des églises. Dieu qu’il haïssait les églises, et ceux qui s’y rendent aussi. Je lui avouai que, comme lui, je n’éprouvais pas de tendresse pour les clochers. Mais je ne savais pas pourquoi il honnissait tant les prêcheurs. Je n’étais moi-même pas inconnu au sentiment de rage et de défiance vis-à-vis de cette religion, de cette religion damnée qui frappe les doigts de ceux qui les lèvent. J’ai assisté, à tant de reprises, aux fouets miséricordieux, aux saintes chaînes, à tous les châtiments drapés de soutanes et à l’effroyable voix du Créateur qui dit non quand un enfant pointe le doigt vers le rire… Le guitariste aux yeux noirs semblait avoir vu pire que moi. Il m’expliqua qu’il avait longtemps cru que les chansons composées de sa main avaient été la raison des coups et des injustices qui l’avaient mené ici, dans cette auberge. Mais c’est ce Dieu-là qui l’avait battu. Il me montra une cicatrice sous son chapeau, une espèce de balafre en forme de cachalot hameçonné par une étoile, résultat de deux coups de tesson de trois-quarts-rhum amoureusement assenés par un prêtre de Jacksonville. Toujours avec son sourire d’apache. ‹ Remarquable, hein ? Ça ferait croire au Tout-Puissant ! J’ai failli y passer, mais faut croire que l’Enfer n’a pas voulu de moi ! › Nous fîmes connaissance tout le long de la nuit, seulement interrompus par quelques airs qu’il me jouait fiévreusement entre deux verres de bourbon (ou était-ce du gin ?) qui me réchauffaient le cœur. Il me conta toutes sortes d’histoires. Sa femme qu’il avait laissée derrière lui, et les gémissements de sa petite fille qui résonnaient dans sa tête la nuit. Les huit différents noms qu’il utilisait pour voyager sans atterrir à nouveau derrière les barreaux de Parchman Farm. Ses nuits, allongé sur le sol des geôles, où, au travers des barreaux luisants de l’accablante atmosphère de tropique, il écrivait ses chansons. Ses nuits longues, ses nuits courtes. Ses nuits à écumer les juke joints coincé entre la faim et l’ambition, à jouer pour les dames, les manchots et les boules de billard. Toutes ses nuits passées à repenser à sa femme, à ceux qui l’ont blessé, à ces tessons de bouteilles et à son père que la brise texane avait jadis bercé du haut d’un vieux pacanier. J’ai bu son histoire avec mon gin (ou était-ce la gnôle infâme du moonshiner du coin ?) et j’ai décidé, à ce moment-là, de faire un bout de chemin avec lui. Pour une nature curieuse comme la mienne, en quête d’origines futures, je ne pouvais rêver meilleur compagnon de brousse et de tumbleweed pour faire passer les bornes plus rapidement. Qu’il le veuille ou non, je m’accrocherais à son bespoke noir comme une petite puce avide de vie et de chaos. Le grand saut ! Après une petite nuit de sommeil, et une gueule de bois à réveiller Morphée piqué par tsé-tsé, lui et moi partîmes. Nous avions convenu qu’il était de bon ton de quitter le delta. Lui aussi pourrissait ici. Nous n’étions pas plus animés que deux nénuphars durcis sur une mare sèche, et il était grand temps de se jeter à l’eau. Une seule direction : le Nord. Vivement, vivement la fraîcheur des pénéplaines de l’Arkansas. Mes bagages étaient déjà prêts. Les siens, inexistants. Tous deux, nous fîmes route le long de ce fleuve, le long de ce diable de fleuve, ce bras de dieu Ojiboué qu’on nomme Mississippi. J’y ai vu des villes inondées par lui, des caravanes d’Indiens se déplacer comme nous vers une région moins peureuse des ruptures de digues, moins à la merci de l’eau qui y déferle toujours et moins jonchée de troncs de pins morts et de dents de coyote. J’ai vu des alléluias s’y noyer en agitant leurs bras pleins de grâce. Je prenais tellement ce fleuve en grippe que j’ai craché dans ses torrents de boue et au visage de Mark Twain, ce pauvre bougre amoureux ! La route était longue. Lui avait plus d’endurance que moi, plus de kilomètres derrière lui, et, pourtant, ses chaussures étaient toujours impeccables, comme s’il avait embarqué dans son étui à guitare un shoeshine boy miniature qui les lui cirait à chaque étape. Un soir que nous étions sur le chemin de Tupelo, mon compagnon s’est assis sur le bord de la route, au kilomètre soixante et un, celui à partir duquel le crâne chauffe et les idées sortent. Il sortit de la poche de sa veste un paquet de brunes de Virginie et alluma une cigarette. ‹ Tu sais pourquoi j’ai lâché mes amours ? › J’ignorais au début ce dont il parlait. La chaleur m’assommait ; je ne pouvais plus réfléchir. Lui parlait lentement. Nous étions immobiles, deux lézards calcinés dans la vallée de la mort. ‹ Ma femme, ma fille. Je ne les ai pas quittées parce que je le voulais. Tu le sais, ça ? Il faut que tu le saches, je suis pas un salaud. J’ai dû partir à cause d’eux. Tu sais, je viens de pas très loin. Et ici, quand on chante comme moi, sans parler ni de Dieu, ni des anges, ni de Jésus, ni de sa putain de croix, on se fait lyncher. Mais moi, tu comprends, je veux chanter ce que j’ai dans les tripes, et dans mes tripes, y a pas une once de religion. Ou alors une vieille religion oubliée. Une de celles où on tape du pied. Oui, c’est sans doute ça, une vibration de l’intérieur comme la voix rauque d’un dieu inca, un dragon sioux qui crache de la fumée de cigare, quelque chose de spirituel comme ça. Mais ils disent que je suis pas chrétien. J’ai failli me faire pendre une fois, devant ma fille et devant ma femme. On m’a traîné par les bretelles sous un arbre. Un coup de feu a retenti, et un type s’est effondré. Je sais pas qui a tiré. J’avais presque la corde au cou… J’ai rien compris, mais j’ai pu détaler. Eux étaient chrétiens, à ce qu’ils disaient. Des types soi-disant sauvés par le Messie. C’est dingue, ça. On cloue quelqu’un à une croix, ça en fait un saint. On pend à un arbre, un pécheur. Tu penses que ça dépend de si le bois où on te flanque est mort ou vivant ? J’en sais foutre rien. C’est des conneries, tout ça ; rien que des conneries. › Il parlait toujours aussi lentement, le regard plissé par le soleil qui frappait la route, et qui nous éblouissait si fort que nous parlions comme deux ombres dansantes. Il reprit : ‹ Tu crois que c’est un péché, toi ? Ce que je fais, ce que je chante ? Quelquefois je me demande… › C’est la première fois que je vis le doute dans son regard. Peut-être la seule et unique fois. Comme un saint doute de sa foi. Jusque-là, j’avais l’habitude de croiser le fer avec le pirate, la pierre qui roule, qui dévale la falaise d’une vie dure, qui provoque l’avalanche dans le gosier et qui fout la révolte dans son verre. Mais pas cette fois. Je voulais l’aider. ‹ Rassure-toi. Le véritable péché, c’est de mentir. De promettre que tout ira bien quand tu sais pertinemment que non. Que malgré l’esclavage, on peut être libre si on croit en Dieu. Que malgré les chaînes, on peut courir les blés, traverser les dunes et les océans dans sa tête, que quelqu’un t’accompagne dans ta solitude, qu’il y en a un qui pense à toi quand le monde entier s’essuie le front avec ton plus beau mouchoir, qu’il y a au-dessus de chaque petite tête de chaque petite personne dans chaque petit pays de cette foutue planète, un faisceau bleu qui monte tout droit jusqu’aux nuages et fend le ciel en deux pour te faire voir au travers. Ça, c’est un péché, et un grand, et frapper dans ses mains pour mieux faire passer le message, ce n’est rien d’autre que de l’hypocrisie. J’ai entendu dans un seul gospel plus de mensonges que dans toutes tes chansons réunies. Tu dis que tu ne chantes pas les anges, mais bien sûr que si. Ce n’est peut-être pas Gabriel, ou ces anges à la tête d’or qu’on voit sur les vitraux des églises. Mais cette femme de Nashville qui t’a volé ton portefeuille après l’amour, ou le type qui t’a fait cette satanée balafre, ou les chiens qui crèvent sous les porches parce qu’ils sont trop beaux et trop fiers pour mourir parmi nous, tous les vieux moonshiners du Sud, ceux qui chiquent et qui crachent constamment, à la barbe sale et aux semelles trouées par le destin, c’est tes anges à toi. Des anges, t’en trouveras partout. › Et je mis ma main sur son épaule, avant que nous reprissions la route en vue d’une ombre sur laquelle dormir. J’ai connu parmi les meilleurs moments de ma vie avec cet homme. J’ignore combien de temps nous avons passé ensemble, et je ne souhaite pas vraiment le savoir. Il semblerait qu’il s’agisse de plusieurs années, qui ont filé comme les chandelles romaines qu’allument les enfants du 4 juillet et qui peignent le ciel en mauve, ou plutôt comme une balle tirée en plein cœur de l’oubli. Peu importe. * À cette époque-là, je commençais à remarquer les fourgons, les camions, les voitures vertes de l’armée se déplacer d’un point à un autre, faire des allers-retours, tourner en bourrique, agiter les fanions de kermesse, gueuler dans leurs porte-voix que leur secte n’en était pas une, avec leurs uniformes amidonnés couleur mort de rêve, et qui vont voir les gamins qui accourent par milliers pour distribuer des tracts. Tous ces tracts. Des millions et des millions… Quand je pense à ce qu’on aurait pu écrire avec tout ce papier, toute cette encre, toutes ces machines d’impression qui tournaient sans arrêt, tous les jours, toutes les nuits, cette poésie perdue troquée pour l’ordre, tous ces beaux mots étouffés dans leur sommeil par la main froide et moite d’un colonel, d’un pétrolier ou d’un ministre… Tous ces tracts ! Des milliers de tracts qui flottent et virevoltent au-dessus des routes de sable du Sud, comme des mouettes qui meurent en vol, et qui promettent le succès, l’aventure et la gloire à tous ces pauvres bougres qui les cherchent désespérément, à l’aveuglette. Peut-être alors du côté de l’Oncle Sam ? L’US Army recrute ! Ah, l’Oncle Sam, ce vieil oncle distant, qu’on ne connaît pas, qu’on ne rencontrera probablement jamais, ce vieux célibataire grippe-sou, aigri et méchant, cet oncle que plus personne n’invite aux mariages parce qu’il ne parle pas mais vocifère, crache, peste qu’il a toujours raison malgré son évidente bêtise, son immoralité et surtout, surtout, son absence absolue de mémoire ! Je me rappelle mes parents parler de cet oncle. Je me rappelle surtout des jurons, que je m’épargnerai de mentionner ici. Pas en odeur de sainteté sous notre toit, l’oncle. Dans ma famille, on attendait qu’il crève pour collecter l’héritage, sans doute maigre, sans doute inexistant, mais pour l’instant, le vieux ne veut pas passer l’arme à gauche, lui qui se cramponne à son fusil pendant les ouragans et les inondations… Loin de moi le doute que ces tracts, tous ces tracts qui gisaient sur la route et qui renaissaient lorsqu’une voiture passait, pour danser encore, danser toujours, danser jusqu’à la déchirure, n’étaient pas tant des tracts que des faire-part de naissance. Il faut croire que cet oncle que je pensais impuissant venait d’avoir une ribambelle d’enfants. J’étais le cousin d’une tripotée de marmots tous plus odieux les uns que les autres, fidèles graines de leur père, et que leur mère, une femme abominable qu’on surnomme Dollar, a aussitôt abandonnés. Je n’ai pas bien saisi leurs noms, mais ceux que j’ai entendus m’ont foutu la chair de poule. À ce niveau-là, ce n’est même plus du mauvais goût : les trois aînés, Effort, Mérite et Récompense, de jolis gars bien bâtis mais à la tête plus vide qu’une baudruche ; les jumelles Capital et Capitole, toujours main dans la main ; les morveux Sheriff et Ranger, qui passent leur temps à se battre ; Justice qui se prend pour Dieu le père, Pasteur qui se prend pour le pape ; les trois cadets au teint blafard et aux tronches d’enterrement, Conscription, Garde-à-vous, .22 Long Rifle ; et Publicité, la benjamine, une petite teigne aux yeux de fouine et kleptomane comme pas deux. Tous ces cousins qui me dégoûtaient, toute cette famille à laquelle je refusais d’appartenir. Alors, bon vent, je pars m’en trouver une autre. C’était dans un climat pestilentiel que nous continuions notre voyage. Partout l’effort de guerre prenait des allures de sport national. Le passe-temps favori de tous les paysans que nous croisions était de soutenir leurs troupes, venues de contrées lointaines, d’États dont ils n’avaient jamais entendu parler. Nous vivions une époque de patriotisme total, stars and stripes où que nous allions, et qui ne nous correspondait guère. L’hymne nous tapait sur les nerfs. On n’en pouvait plus de ce maudit drapeau, qui partout flottait au vent. Il n’y avait plus que la musique de mon compagnon pour me rendre heureux. Et quand il m’en jouait, je fermais les yeux. Et même si la mélodie était ce qu’il y a de plus simple, de plus élémentaire, oserais-je dire de plus enfantin, je ne pouvais m’empêcher de battre du pied, de remuer lentement la tête, et de m’imaginer partir loin, très loin, encore plus loin, dans une ville où personne ne me connaissait, sur un continent inexploré, tout là-bas sur le chemin de la lune. C’est ce qu’elle me fait, la musique. Nous en parlions longuement tous les deux. Dur comme fer, je croyais à la musique. Si nous nous accordions pour dire qu’il n’y avait pas de Dieu, nous étions convaincus que la musique était ce qui s’en rapprochait le plus, de cette drôle de puissance mystique que tous les peuples cherchent. Après un dernier arrêt à Clarksdale, le temps d’une gentille baston, nous franchissions enfin le Mississippi. Adieu ! C’était la fin de cet État, et nous respirions un air nouveau. Il n’y a pas à dire, l’Arkansas fait un bien fou aux poumons. Sortir de ce delta, où tout stagne, où l’eau n’est qu’huile, où rien ne peut naviguer tant la fange est épaisse, c’était le paradis. Adieu, terre des sargasses, vieille lande syphilitique ! Fini les corbeaux et les arbres morts. Direction les montagnes, un peu d’air, un peu d’air ! Nous les contemplions, au loin, les collines d’Ouachita, avec leurs capuches blanches et les nuages qui les lèchent. La grande rivière de l’Arkansas n’avait, elle, que très peu de méandres, l’eau coulait plus vite et agitait moins ses bras en signaux de détresse. La linéarité est appréciable. L’eau reflétait la couleur du ciel, un bleu-blanc calme et doux, qui donnait au fleuve un aspect de grand ruban de couture, glissé par un père dans les anglaises de sa petite fille. Le climat était plus sec. Je faisais enfin la différence entre la sueur de mon front et l’humidité de l’air. Nous étions ici un peu mieux, nous avions l’impression que notre route n’était pas vaine, que nous étions bel et bien sur la bonne piste. Mais laquelle ? Que cherchions-nous au juste ? J’en étais à me convaincre que je ne fuyais pas, qu’il n’y avait pas derrière moi la grande main de la peur qui cherchait à m’attraper le col pour me ramener vers elle, mais bien que je courais derrière un but, une nouvelle découverte. Voir du pays ; une nouvelle Amérique. Celle que nous connaissions était corrompue, il nous en fallait une toute neuve. Lorsqu’on perd un paradis, il faut vite en trouver un autre. Mais quoi qu’on fasse, la vie est toujours là pour trouer la voile qu’on lève. Je dus bientôt me séparer de mon ami. Juste avant d’arriver à Little Rock, où nous avions décidé au préalable de nous reposer un peu, un convoi nous rattrapa à la croisée d’un chemin. C’était une camionnette de l’armée, à la bâche verte qui vole au vent et soulève un nuage de poussière. ‹ Encore ces foutus G.I. ›, susurra mon ami. Entre quatre champs de maïs, au pied d’un de ces panneaux qui indiquent toutes les directions rêvées, un militaire descendit du véhicule. C’est une chose qui marque la première fois qu’on rencontre le diable. On pourrait penser qu’il est comme dans les contes, rouge écrevisse, cornu, fumant, crachant, tout prêt à châtier et à mettre à sac les jolis sentiments. Mais il n’a pas de fourche. Ses yeux sont loin d’être noirs. Ses dires, loin d’être fourbes et ridicules comme dans les Écritures, sont pleins de sens. Le diable se construit de contrats et d’articles. Le diable est serein, affable, bien documenté, comme un jeune comptable alabamien qui prend soin de sa mère. Une chose que j’ai apprise au cours de ma jeune vie (tu t’en rendras compte avec moi, lecteur enhardi !), c’est qu’il est presque toujours en uniforme, pour mieux se fondre parmi nous. J’entends qu’il a cette formidable capacité d’adaptation, et qu’il réussit parfaitement à nous ressembler, tel un hibou qui ferme les yeux dans le trou de son arbre. Cette fois-ci, au carrefour de deux routes de sable, la première fois que je vis le diable, il portait l’uniforme de l’armée, je ne sais plus de quel corps, mais je me rappelle qu’il avait des galons sur les bras. Beaucoup de galons, sans doute trop. À première vue, il m’avait l’air d’un grand gaillard, de ceux qu’on trouve près des Grands Lacs, à la frontière canadienne, très larges d’épaules, châtains clairs, mâchoires carrées, qui jouent au hockey et peuvent enquiller dix pintes de l’heure sans sourciller. L’œil me fascinait. Me terrifiait. Il y avait dans son reflet quelque chose d’horrible, de monstrueux, mais pourtant de si proche, d’intime presque, comme si vous veniez d’apprendre par lui qu’un membre de votre famille en avait tué un autre. Drôle de reflet que celui-ci ! Un reflet démoniaque qui montre votre pire facette, qui vous frotte dans la truffe la pire version de votre humanité, qui vous apostrophe et vous dit que, vous aussi, vous pourriez, avec un peu d’effort, vous soumettre aux larges insanités, aux monstruosités, aux sadismes les plus immondes et les plus lointains ! Un œil qui fait tourner tous les autres, somme toute. Froid dans le dos. Mon compagnon s’en fut loin dans les champs d’orge, une main qu’il croyait amie lui ceignant les épaules. Je le regardais, là-bas, assis près du convoi. Le soleil était d’une pesanteur telle qu’il semblait composé de particules de plomb, minutieusement calculées pour tout rendre immobile. Impossible d’opérer le moindre mouvement. Mon ami et son interlocuteur, mon ami et son ennemi, disparaissaient de ma vue comme deux mirages tremblants. Tout se troublait, tant j’étais atteint par le cagnard et la chaleur épiscopale. Je ne voyais plus rien, seulement deux ombres qui vibraient. Quand je vis revenir mon ami, un sourire lui fendait le visage en deux et laissait apparaître ses dents blanches, croissant de lune qui éclaire les âmes égarées. Son sourire, honnête, me disait-il, me surprenait beaucoup. L’autre, cet homme étrange, m’avait fait tant horreur que jamais je n’aurais soupçonné qu’il put faire sourire mon ami. Je m’attendais plutôt à un nouveau pugilat, que les autres s’en mêlent, qu’une rixe éclate et fasse voler le maïs. Mais ce ne fut pas le cas. Le convoi était reparti dans le grand jaune et vert de notre pays, et lorsque mon ami me revint, je lui demandai sur-le-champ ce qui s’était passé. ‹ Tu ne me croiras pas si je te dis que ce type-là me cherche depuis Lubbock pour me donner ma lettre de conscription. C’est que c’est résilient, ces sales bêtes, ça irait te chercher au bout du monde pour le service ! Il m’a dit que je devais me préparer pour la guerre. Tu savais, toi, qu’il y avait la guerre ? › Je fis non de la tête. Nous savions bien tous deux que l’armée se faisait de plus en plus présente, que quelque chose se tramait dans l’air. Mais de là à une guerre, et une grande, paraissait-il, nous n’en avions aucune idée. Jamais depuis le début de nos aventures avions-nous entendu le son d’une radio ; nous ne lisions pas les journaux, de peur de voir nos gueules dedans. Le monde, nous n’en avions pas eu vent depuis très, très longtemps. Pour nous, le monde s’arrêtait à l’embouchure du delta ; il commençait seulement là où nous étions… J’avais l’impression d’être allé partout et nulle part en même temps. La grande illusion ! Alors, une guerre, oui, le pays qui m’a vu naître a cette habitude. Mais où ? Ce fut naturellement ma question suivante. ‹ Paraît qu’elle est un peu partout, en Europe, mais aussi de l’autre côté chez les fumeurs d’opium, et qu’elle tourne et tourne comme un typhon et qu’elle vient de s’arrêter ici. C’est ce que m’a dit ce gars. Il m’a expliqué qu’il y avait des ennemis, là, une menace à éradiquer, et qu’il fallait que je donne un coup de main. D’où cette putain de lettre. › La pensée de voir partir mon ami me rendit triste. C’était le seul que j’avais, je n’avais connu personne d’autre. Juste la solitude, et les nuits froides passées sous les étoiles à les apostropher, et à attendre désespérément une réponse. Pour la première fois, j’eus l’envie de pleurer, même devant lui, avec qui j’avais tant ri et voyagé. Il posa sa main sur mon épaule, comme à chaque fois que nous levions le coude ensemble, pour me dire telle ou telle plaisanterie. ‹ Rassure-toi, mon vieux. Je ne partirai pas à la guerre. Aucune chance. Plutôt crever direct ! M’envoyer à la guerre, moi ? Ah ! je préfère mourir ici, au moins y en aura un qui priera dans ma langue. Finalement, c’est pas si mal, de mourir près de sa terre. Mais cet heureux temps n’est pas encore arrivé. Rassure-toi, mon vieux. Je n’irai pas. J’ai fait un pacte avec lui. › * À lui aussi, ses yeux commencèrent à briller. Pas à cause des larmes qui montaient, mais parce que pour la première fois de sa vie, une brèche dans sa misérable existence s’était présentée. Une fissure dans le temps, un exutoire ! Il me raconta toute leur conversation. Cet homme avait une connaissance à Chicago, une espèce de producteur dont le métier était de parcourir le pays de bout en bout, un enregistreur installé dans son coffre, et d’aller de ville en ville, de village en village, dans le désert et dans le bayou, à la recherche de talent et de belle musique. J’avais déjà eu vent de ce genre de métier, mais je n’avais jamais vu les fameuses voitures chasseuses de chansons. ‹ Il se balade dans sa Lincoln noire, et même qu’il a enregistré les plus grands… › Je ne connaissais pas les noms qu’il me cita ensuite, mais à la lueur des yeux de mon ami, je devinai qu’il s’agissait de ses idoles. C’est curieux, je n’aurais jamais cru qu’il admirait d’autres musiciens. Je pensais que ce garçon se fichait de la musique des autres, et je lui fis remarquer. ‹ Tu te fous de moi ? Ces types, mon père me racontait leurs histoires, il me chantait leurs chansons. C’est quand j’ai connu ces chansons par cœur que mon père m’a acheté ma première guitare, à un vieil aveugle de mon patelin, un Noir aux cheveux blancs qui en faisait plus avec deux doigts que moi si Dieu m’en avait donné onze. Un guitariste comme y en a pas deux, et un homme comme y en a plus. › Il esquissa un sourire, un si beau sourire, tendre et joyeux et mélancolique à la fois, nostalgique comme quand un papillon pense à sa chrysalide, un joli sourire dont il avait le secret, un beau sourire en forme de souvenir, un grand sourire de bluesman. ‹ Toujours est-il que ce gars va me rendre célèbre à plus en pouvoir. Il me l’a garanti. Et en plus de ça, il connaît tous les meilleurs guitaristes de la région, c’est-à-dire les meilleurs du pays, c’est-à-dire sans aucun doute les meilleurs joueurs de ce putain d’instrument de ce putain de monde, et il va me les présenter, me faire jouer avec eux, ils vont m’apprendre tous leurs trucs, et je peux te dire que je vais ouvrir mes esgourdes. Je vais tout prendre, tout ce qu’il y a à prendre, et je vais rien partager, fermer ma gueule, et tous leurs secrets vont mourir avec moi. Je vais être grand, mon vieux, le plus grand. › Je repris, enthousiasmé par son enthousiasme, car il était impossible d’en faire autrement : ‹ Et alors ? Que te demande-t-il ? › Mon ami respira lentement, arrangea son chapeau de ses deux mains, une devant, une derrière, comme s’il réajustait son bicorne avant la grande bataille, et me répondit : ‹ C’est là que ça se complique. Vu le pacte que j’ai fait avec lui, y a bien quelque chose que je devais lui laisser, tu vois, en gage. › Il se mit à rire. ‹ Ce con m’a demandé mon âme. Je comprenais pas. Mon âme ? Ce G.I. est complètement fêlé, ou alors il fait du vaudou d’Indien de Mardi gras, ou de la magie cherokee ou une connerie du genre. Tant mieux pour lui, c’est ses oignons. Mais comment lui donner mon âme ? Il m’a dit qu’il suffisait de lui serrer la main, rien que ça. Du coup, bien sûr que je la lui ai filée, j’ai pas attendu un battement de cœur. On s’est serré la pince. T’imagines comme elle est pourrie jusqu’à la moelle, mon âme ? Je m’en fous, moi, de mon âme. Je me suis trop posé la question en taule, je sais qu’elle est mauvaise, je sais qu’elle n’est bonne qu’à être la serpillière du barbu, tu comprends ? Le talent de tous les maîtres du monde contre une poignée de main… Ça se refuse pas, ça. › Il avait l’air sûr de lui. Sûr de son choix, qui le poussait à aller chasser, coûte que coûte, sa destinée qui rechignait à démarrer, comme embourbée dans les sables mouvants où il l’avait menée, et il était heureux. Une nouvelle aventure. Se remettre en selle. Retourner sur la route. Courir, encore et toujours, être libre, avoir un but, ne jamais se retourner. Toutes les addictions des fous de la vie qui leur font picoter les gencives. Mais je ne comprenais pas la raison qui avait poussé ce soldat à faire cette offre à mon ami. Que pouvait donc lui rapporter une telle transaction ? Son âme ? Je ne comprenais pas non plus. C’est vrai que ce drôle de barde ne lui aurait pas été d’une grande utilité sur le front. Il était lent, le dernier des sportifs, le grand oisif, qui passait son temps à fumer et qui ne pensait qu’aux jupes d’alcool et à passer sa main en dessous. Vous parlez d’un soldat. S’il espérait un futur cadet, purple heart épinglé au torse, embrassé au front par le Congrès, il pouvait chercher plus loin. Mais je crois qu’il était satisfait en remontant dans son convoi pour partir vers l’est. Alors pourquoi ? Peut-être qu’il était désintéressé ? Une bonne âme qui cherche à en sauver une autre, une main aidante pour une autre trop pleine de crampes ? Le diable peut-il être si bon ? * Malgré tout, mon ami dut me laisser. Il devait partir à la rencontre de cet homme pour faire enregistrer ses chansons, celles que j’avais entendues au fond des bars, qu’il avait l’habitude de jouer pour séduire ou faire pleurer, celles autour desquelles nous nous réunissions, vieux, jeunes, fermiers, ouvriers, mères, gamins, flics, bagnards, tricheurs, barmen, banquiers, contrebandiers, troubadours, mendiants, avaleurs de sabres, circus freaks en tout genre ou bien croque-morts, pour trinquer ensemble à la santé de la musique profane. Il est parti, en route vers la gloire, et c’est avec délice que j’ai écouté, l’année d’après, ses complaintes à la radio, c’est avec délice que je pleurais quand il en chantait une sur nous, sur notre belle amitié, sur notre coup de foudre dans les étoiles et sur tous les éclats de notre jeunesse. Il l’avait fait. Il avait atteint son but, être reconnu, au moins un tout petit peu ; et sur une station locale on écoutait le plus grand guitariste qu’on avait jamais entendu, et ça sonnait bien. Le monde entier a pensé que deux guitaristes figuraient sur ce disque, mais sur tous les 78 tours pressés, il n’y avait qu’un nom imprimé, le sien, qui appartient désormais aux astres. Peu de temps après, j’appris qu’il était mort de la jalousie d’un mari enivré, au tendre âge de vingt-sept ans. Il avait reçu sept balles dans le corps, chacune destinée à éteindre le feu qui brûlait dans son ventre, sept coups de machette pour entamer l’arbre de la vie, sept pierres lancées aux nuages pour atteindre quelque chose de trop loin, de trop brut, d’inatteignable. Ce qui est beau est increvable, et sept petites boules de plomb ne sauront jamais taire une voix qui hurle à l’infini. Surtout pas la sienne, qui résonnera, j’en suis sûr, pour les siècles des siècles. Adieu, mon ami, j’ai appris beaucoup de choses avec toi. Toutes les choses que je chéris et qui font maintenant partie de moi, ma structure, mon squelette, ma matière, viennent de toi. J’ai appris qu’il ne fallait pas aimer en vain. J’ai appris qu’on pouvait pleurer parce qu’on est heureux, et que les bons cœurs sont toujours tristes. J’ai appris que nous avions tous, nous la famille des libres, un chien sur notre trace, et qu’il fallait se jouer de lui, par tous les moyens, pour réussir à le semer. J’ai appris que je devais voir Chicago, et peut-être un peu plus loin. Grâce à toi, je sais qu’avec un grand ami il n’y a pas de frontière, et que tout est franchissable. Qu’il suffit d’un peu de bourbon pour sauter par-dessus toutes les barrières. J’ai appris que les choses les plus laides sont souvent les plus drôles, et que bien souvent, la réciproque est vraie. L’humour et le noir ne font-ils pas bon ménage ? J’ai refait le monde avec toi, et je crois bien qu’il n’aura pas besoin d’être refait après nous. Je t’ai aimé, toi qui m’as servi de père, de frère, de fils, et de bien plus encore. J’espère que tu ne seras pas mon seul ami, mais pour t’avoir perdu, je ne peux m’empêcher de cracher au Ciel et de m’adresser à Lui pour lui dire, d’homme libre à Dieu triste, que c’est une honte d’avoir privé le monde d’un garçon comme toi. Je ne verrai plus jamais les champs de coton et de maïs de la même façon. Ni les hommes, ni les bêtes, ni le soleil, ni rien. Putain de pacte. Lorsqu’on perd un paradis, il faut vite en trouver un autre.
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TITRE Ironing Board Sam AUTEUR Simon Arcache GENRE photographie TYPE restitution
En septembre 2012, je m’installe en Caroline du Nord, aux États-Unis, et intègre l’équipe de la Music Maker Relief Foundation. Cette organisation a pour objectif de préserver le folklore musical américain (blues, gospel, rhythm’n’blues, etc.) en soutenant de manière directe les musiciens qui le représentent. Je passe ainsi une année avec de vieux bluesmen que j’accompagne aussi bien sur scène, comme guitariste, que dans leur quotidien. Tim Duffy, le fondateur de la Music Maker, me forme a la photographie argentique et m’enseigne l’importance de la transmission et du témoignage au travers de nombreux travaux de field recording. Tout juste arrivé aux États-Unis, je me lie d’amitié avec Ironing Board Sam. Je l’accompagne sur scène pendant plusieurs mois avant de rentrer en France à l’automne 2013. Nous nous croisons de nouveau en France en septembre 2014, alors que Sam vient donner une série de concerts dans le cadre du festival Musiques de jazz et d’ailleurs d’Amiens. Mais en 2015, victime d’un AVC, il perd l’usage de sa main gauche et doit mettre un terme à cinquante ans de carrière musicale. Depuis 2016, je lui rends visite chaque année dans son appartement de Montgomery, en Alabama, afin de capter, grâce à mes appareils photo et mon micro, tout ce que cet homme a encore à apporter au monde. Sam aime partager et cela s’est toujours ressenti sur scène. Il aime partager avec le public, échanger, apprendre, enseigner. La musique était un moyen privilégié de dire son amour des autres et du monde. Ces photos sont ma façon de lui rendre un peu de ce qu’il m’a apporté, en donnant à voir ce qui ne peut plus être entendu et en assurant à mon ami une forme de reconnaissance, au-delà de la langue et des frontières. Par l’image, j’espère faire résonner le plus longtemps possible la musique de ce grand artiste.
https://revue.moltogone.fr/2/doc/IroningBoardSam1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/IroningBoardSam2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/IroningBoardSam3.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/IroningBoardSam4.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/IroningBoardSam5.jpg
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TITRE On how to write dance AUTEUR Elena Kaufmann GENRE dessin TYPE restitution
After ten years of writing poetry my ever beloved dancing somehow moved from the living room to the studio. Dancing on, moving on, I gradually started losing my words — losing it occasionally — just to see it grow again about a year later: poetry, moulted somehow, poetry, sweaty and wordless. Coal on paper.
https://revue.moltogone.fr/2/doc/OnHowToWriteDance1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/OnHowToWriteDance2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/OnHowToWriteDance3.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/OnHowToWriteDance4.jpg
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TITRE Partitions AUTEUR Jean-Baptiste Lagadec GENRE dessin / peinture TYPE processus
Des partitions. Un répertoire de faits avec lesquels composer ce qui reste à faire. Ces schémas sont des descriptifs d’accidents picturaux et de stratégies empruntées dans mes peintures. C’est un projet continu et toujours ouvert, qui demande un effort de synthèse schématique, de la pratique, et qui s’apparente à une palette des possibles. Jean-Baptiste Lagadec est peintre, né en 1992 et diplômé en 2016 de Central Saint Martins à Londres, où il habite et travaille dans le cadre de diverses résidences, dont certaines l’ont mené au Japon. Dans sa pratique, il s’oppose à la création sur écran, éphémère et intangible, en fabriquant ses outils, en jouant avec les gestes, en révélant ou masquant les couches et les stratégies de création de ses tableaux.
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Pond (AR 05), acrylique et encre sur bois, 160 × 115 cm, 2017.
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TITRE À la recherche du méta-haïku (extrait) AUTEUR Diane Hequet GENRE traductologie TYPE sujet
Diane Hequet est originaire de l’île de La Réunion, carrefour de l’océan Indien où les cultures de Chine, d’Inde, de Madagascar, d’Afrique et de France s’entremêlent depuis plus d’un siècle. Le métissage y est omniprésent, dans l’artisanat, dans la littérature comme dans la musique. Imprégnée de mythes et légendes et de spiritualités plurielles, elle commence l’apprentissage du chinois à l’âge de 10 ans, par la pratique de la calligraphie. Rêvant de la vie artistique d’une capitale européenne, elle poursuit des études généralistes à Sciences Po Paris et à l’université Paris VI mêlant sciences sociales et sciences ‹ exactes ›. Elle continue ensuite son apprentissage de la langue et de la culture chinoises à l’Inalco, où elle rédige un mémoire de recherche sur la dimension esthétique de l’écriture chinoise et son usage créatif par les poètes taïwanais contemporains. En 2012-2013, elle vit un an à Beijing, où elle découvre l’opéra et le théâtre traditionnels, ainsi que la vie underground des hutong où foisonnent les concerts de rock. Elle retourne en Chine en 2016, à Jingdezhen, où elle se forme aux techniques de la céramique et accompagne des artistes en résidence dans leurs projets artistiques. De retour en France, elle allie recherches théoriques et pratiques artistiques au sein de l’atelier Tenmoku du Kremlin-Bicêtre. Elle pratique la céramique, la peinture, la sérigraphie et la fabrication de masques de spectacle.
‹ Pour le cerveau japonais, un idéogramme est un tableau vivant ; il vit, il parle, il gesticule. Et toute l’étendue d’une rue japonaise est pleine de ces caractères vivants, dessins qui parlent aux yeux, mots qui sourient ou grimacent comme des figures (1). › Younghill Kang * Le haiku est en vogue. De nombreuses soirées littéraires de la capitale lui sont consacrées. Ces lectures nocturnes rassemblent autant les nipponophiles que les écrivains et les peintres. On écoute quelques séries de ces courtes phrases qui retranscrivent en dix-sept mores (2) la justesse de l’instant, la vérité du monde, la trace d’un sentiment. Une écriture lointaine dont la portée poétique semble traverser sa traduction d’une langue à une autre. Mais une première analyse révèle déjà des différences majeures entre le haiku en langue japonaise et sa réception en Occident. Formellement, il se calligraphie en une seule ligne verticale au Japon, alors que trois vers distincts apparaissent dans les traductions françaises, découpage qui correspond donc davantage au rythme qui émane de la lecture – trois mesures de cinq, sept puis cinq mores – qu’à une règle d’écriture. Deuxièmement, d’un point de vue sémantique, le haiku est originellement un hokku, c’est-à-dire le premier vers d’un renga, forme poétique par excellence au Japon, mais devient haikai lorsque le ton est peu sérieux voire frivole ou grivois. Ce dernier aspect semble déjà bien éloigné de l’idée commune qui s’est construite autour du haiku : une parole à la fois simple et profonde. Alors est-il réellement possible de traduire une forme poétique sans en perdre la substance eidétique (3) ? Que peut-on traduire d’une écriture orientale idéographique vers une langue occidentale alphabétique ? Questions sans réponses, la suite est une poignée d’idées semées à la volée. D’abord, l’étude de l’écriture révèle une différence essentielle entre nos deux cultures : la persévérance des idéogrammes outre-Tartarie. Apparus au XIIIe siècle avant notre ère en Chine, les idéogrammes se sont ensuite répandus dans ses pays voisins : en Corée, au Japon et au Vietnam, qui forment alors une véritable communauté autour des mêmes fondements esthétiques. Cette caractéristique impose une métaphore à l’écriture et inspire dès lors des réflexions sur la méta-écriture au sens derridien, c’est-à-dire qui englobe la praxis d’écriture. * Les idéogrammes sont basés sur des représentations de la réalité. Plus précisément, pour le Littré, les idéogrammes sont des ‹ signes qui n’expriment ni une lettre ni un son quelconque, mais une idée, abstraction faite du son par lequel cette idée est rendue dans telle ou telle langue ›. Le processus de leur abstraction a été progressif jusqu’au IIIe siècle, mais il ne s’est pas poursuivi jusqu’à la formation de signes tels que les lettres, comme c’est le cas dans les écritures occidentales alphabétiques. L’étymologie des caractères chinois reste ainsi déchiffrable aujourd’hui, rendant relativement accessible un patrimoine littéraire trimillénaire. Corollaire de cette particularité : la langue ‹ écrite › ou ‹ graphique › est quasiment indépendante de la langue parlée. Quasiment, car les Japonais ont créé deux ensembles de caractères. Le premier est d’origine chinoise : les kanji sont des logogrammes, c’est-à-dire que chaque caractère représente un mot, qui s’énonce en une ou plusieurs syllabes. L’autre est constitué par les kana, système moraïque dérivé des kanji. https://revue.moltogone.fr/2/doc/RechercheMetaHaiku1.png Un poème écrit en japonais, un haiku, est donc en même temps phonétique et graphique. Cette part graphique, celle qui disparaît lors du processus de la traduction littéraire, n’est pas dénuée de richesses. Les idéogrammes sont la représentation d’un monde rationalisé : leur forme et leur logique compositionnelle inscrivent les lois de l’ordonnancement du monde que la science divinatoire de l’époque Shang (1570-1045 av. J.-C.) a décryptées. Les premières traces de cette écriture qui nous sont parvenues apparaissent sur les os oraculaires, les carapaces de tortue utilisées pour l’ostéomancie ainsi que par le Yijing – le ‹ livre des mutations ›, une sorte d’outil pour les devins. Pour le non-initié, les signes sont autres. Leur force esthétique fascine les artistes tels que Victor Segalen, Henri Michaux, Georges Mathieu ou encore Fabienne Verdier. Henri Michaux les loue dès les premières pages d’Idéogrammes en Chine : ‹ Le signe présente, sans forcer, une occasion de revenir à la chose, à l’être qui n’a plus qu’à se glisser dedans, au passage, expression réellement exprimante (4). › Plus précisément, le Shuowen jiezi, le plus ancien dictionnaire chinois, montre, à travers une classification des caractères, la manière de représenter et d’abstraire les choses et les idées. Par exemple, les caractères ‹ représentant la forme extérieure › (xiangxingzi 象形字) sont des sortes de pictogrammes qui représentent directement l’objet : le feu, l’eau, l’arbre, l’homme, la femme, etc. ; les caractères désignant un ‹ état des choses › (zhishizi 指事字) expriment une idée abstraite : au-dessus, en dessous, à l’intérieur, trop, etc. ; les caractères produits par ‹ rencontre de deux significations › (huiyizi 会意字) sont les idéogrammes composés de l’association de deux idées (par exemple, le caractère 明 se compose du soleil 日 et de la lune 月 qui, rapprochés, signifient briller) ; les idéophonogrammes, eux, comportent une clé pour indiquer la catégorie d’idée (par exemple, les noms d’arbres comportent l’élément 木 dans la partie gauche du caractère correspondant) ; enfin, les zhuanzhu, ‹ glose réciproque › ou doublet, désignent les groupes de deux caractères qui dérivent d’un même caractère ancien tout en ayant conservé des acceptions voisines : par exemple, les caractères lao 老 et kao 考, qui signifient respectivement vieux et défunt, sont des doublets graphiques qui dérivent de la représentation ancienne d’un vieillard s’appuyant sur une béquille (5). Les kana sont d’un autre ordre. Ils sont mobiles, fluides ; ce sont des traits souples qui relient les kanji idéographiques, au moins sur le plan visuel. Leur tracé inscrit le temps qui s’écoule et exprime le mouvement qui met en vibration tous les objets de la nature. Ils sont le ‹ scriptible ›, c’est-à-dire le poète en train d’écrire par cet Unique Trait de pinceau – concept au cœur de la pensée esthétique orientale. La matérialité du geste pur, une onomatopée, une connotation, une couleur, une nuance – tout ça à la fois pour le moine Citrouille-amère (6). * L’acte d’écrire un haiku est de même nature que celui de peindre. Il s’agit de tracer. Les idéogrammes sont tracés au pinceau dans le plan de l’image – dans et non à côté ou en marge (7). Ils semblent faire partie du paysage, comme s’ils existaient tout à fait dans la réalité. Et si c’était une série de talismans tracés dans les airs ? L’invocation d’une signification particulière, d’une croyance ou d’une perception ? Cela nous interroge sur deux aspects : leur statut, et leur signification. Existe-t-il une frontière entre l’image et l’écriture ? Qu’est-ce qui les différencie ? Cette conception esthétique doit être, me semble-t-il, intégrée au processus de traduction des haiku, par souci de respect de l’intégrité de l’œuvre d’une part, et d’autre part pour rendre hommage à la richesse de la poésie japonaise. Des pionniers ont déjà fait œuvre en ce sens depuis plus d’un siècle, révolution poétique qui n’est pas sans rappeler d’autres révolutions : interrompue dans son mouvement, sans mouvement, donc dénuée de son moteur originel. ‹ Poésure et peintrie › : un décloisonnement des genres. Les peintres peignent avec la lettre, rupture par l’intrusion d’un nouveau signifiant et continuité par le concept même du signifié, qu’il soit figuratif ou non – ils peignent la poésie. Et les poètes prennent leurs plumes et leurs pinceaux, et leur audace pour brandir leur liberté. Il fallait bien ça pour retranscrire la complexité du réel, pour transgresser le présent. Les particularités graphiques de l’écriture japonaise montrent bien que la traduction littérale du haiku est en quelque sorte vaine. Elle le prive de ce qui lui est spécifiquement poétique. Pourtant, il serait extrêmement pessimiste d’affirmer qu’aucune traduction ne vaut l’original, car il y a finalement peu à comparer entre l’original japonais et la traduction française, sauf peut-être (et encore) une idée. Une idée inspirante inspirant une idée. La perception de cette idée platonicienne suscite une émotion, des sensations, du mouvement. Le mouvement peut aboutir à une traduction, retranscription de la durée du mouvement qui s’achève lorsque le geste par lequel on écrit s’arrête. Il n’existe pas d’‹ intraduisibilité › dans la mesure où un texte uniquement ‹ lisible ›, au sens barthien du terme, se situe en dehors de nos considérations. En effet, le ‹ lisible › est ce texte capitaliste, produit dans le système industriel pour être consommé, qui ne sert d’ailleurs qu’à cette fin de consommation avant de tomber dans l’oubli. Dès lors qu’une émotion surgit, il est possible de réécrire, processus d’appropriation de ce qui a été lu – ce que Barthes définit comme le ‹ scriptible (8) ›. Le lecteur, attentif, réceptif, retranscrit à travers le prisme de sa réalité sa propre interprétation. Il crée. La retranscription est donc permanente, elle est cette écriture au sens derridien (9), c’est-à-dire l’utilisation de tous les médiums, le langage et l’art, pour laisser une trace, orale, écrite, transformer la matière par l’être en mouvement, animer la matière par le mouvement, vivre et donner vie. NOTES 1 ↑ Cité par Marcel Cohen et Jérôme Peignot, Histoire et art de l’écriture, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 957. 2 ↑ ‹ Unité tonique dont la durée correspond à une brève ou à une fraction de syllabe longue ; et p. ext., toute subdivision de la syllabe › (Trésor de la langue française informatisé). 3 ↑ ‹ Qui concerne l’essence générale des choses et non leur existence › (Trésor de la langue française informatisé). 4 ↑ Henri Michaux, Idéogrammes en Chine, Saint-Clément-de-Rivière, Fata Morgana, 1975. Voir aussi Henri Michaux, Par des traits, comprenant 75 illustrations de l’auteur, Fata Morgana, 1984. 5 ↑ Jean-François Billeter, L’art chinois de l’écriture, 2e éd., Paris et Milan, Seuil et Skira, 2001, p. 16-18. 6 ↑ Pierre Ryckmans, Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amère : traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, 2007. 7 ↑ Cf. par exemple Issa, Haiku, Paris, Verdier, 1994. Ci-dessous, un détail de Lotus et canards de Zhu Da (vers 1696). https://revue.moltogone.fr/2/doc/RechercheMetaHaiku2.jpg 8 ↑ Voir Roland Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970 et Cy Twombly : deux textes, Paris, Seuil, 2016. 9 ↑ Voir Jacques Derrida, De la grammatologie ainsi que L’Écriture et la Différence, Paris, Minuit, 1967.
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TITRE Rouler en vélo AUTEUR Leïla Izrar GENRE poésie / photographie TYPE transposition
À partir d’un texte écrit en prose après une balade à vélo, j’ai réécrit, argotisé, traduit en arabe littéral puis translittéré en marocain avec l’alphabet latin. Registres, langues, dialectes, alphabets, typographies: l’ensemble se veut explorer les alternances codiques. Les termes écrits en gros et dans une autre fonte sont des successions intéressantes phoniquement. L’idée de la balade photographique (argentique) qui suit est née sur ce même vélo. À la manière du paragraphe initial, elle s’emploie à montrer les différentes formes qu’un espace ou objet dont la trajectoire est identique – laveries et machines à laver – peut prendre au sein d’une même ville, voire d’un même quartier pour certaines photos.
Rouler en vélo sur le pavé est insupportable. Je passe dans le sillon, à côté d’une gamelle bien pleine et dangereuse, mais je n’tombe pas. Non monsieur je n’tombe pas. Je prie. Je prie, je prie pour qu’il n’arrive rien, je remercie mon corps à grande eau de me donner ce qu’il me donne. Comme la selle entre mes jambes, c’est un peu mon vaisseau. Pas vraiment spatial, plutôt spacieux vu mon appétit. Et puis il y a ce bonheur simple d’être allongés côte à côte dans un square sur le vieux plaid couleur moutarde. Tes yeux ressemblent à une pile de noisettes, c’est alléchant. Unbearable.Unsafe.Tempting. Défiler à bicyclette sur le dallage est accablant. Je rase la rainure, à proximité d’une cabriole ample et compromettante, mais je n’chois pas. Non monsieur je n’chois pas. Je supplie. Je supplie, je supplie pour qu’il ne survienne rien, je rends grâce à ma chair sous le flot de m’offrir ce qu’elle m’offre. Comme le mât entre mes jambes, c’est un peu mon navire. Pas vraiment cosmique, plutôt étendu vu ma boulimie. Et puis, il y a ce délice humble d’être étendus tout proches dans un jardin sur l’obsolète couverture couleur ocre. Tes regards évoquent un amas d’amandes, c’est appétissant. Bike.Fall.Pray.Body.Side to side.Nuts. Ridant mon biclou sur le bitume, je me dis c’est chaud de passer dans les trous sans s’tarter. Ben moi non parce que j’bigote gars ! J’bigote pour que ça paaaaaaaaaasse, j’suis déjà contente que ma carcasse me lâche pas sous la flotte. T’façon le bif c’est comme le biclou, j’me déplace avec. Pas si chelou hein, du genre un peu massif vu comme j’bouffe. Pis bon faut voir les bonnes choses comme l’aut’ jour avec toi dans l’parc sur la jaquette jaune. T’as de jolies mirettes, ça me fout la dalle. Biclou.Bitume.Bigote.Bif. ركوب درَّاجتي على الرصيف أمر لا يحتمل. أمرُّ في أخْدود، و لقد سقطت تقريبا لكنني لا أسقط. لا يا سيدي، أنا لا أسقط. أصلي. أصلي، أصلي ألَّا يحدث أي شيء، وأشكر جسدي ليعطيني ما يعطيني. مثل المقعد الّذي بين ساقي، وهو مثل سفينة. لا حقا فضائي، واسع على الأصح بالنظر إلى شهيتي. وهناك سعادة بسيطة لنكون مستلقين بجنب على المنقطة الصفراء القديمة في حديقة. عينيك تشبه كومة بندقات و تشهين. ل Ma kan 7melch nsoug bedderraja diali 3ala albalât. Ken douz fi teqbat attriq ou qd ken ta7 et c’est dang’reux, walakin ma kan te7’ch. La a sidna ma kan ta7ch. Ken slli. Ken slli, ken slli bech ma t’ouqach chi 7aja, ou ken chkour jasdi bech achno key 3atini. Kif assarj elli bin saqi, chouilla kif safina. Machi fadaiyya walakin kbira bnisba ila ch7al ken nakoul. Ou kayn tani al7ouayj albasita, bech nkounou bjouj mstalqin fl’park 3ala almanta alsafra. 3ainek techbeh l’noizet. Ch’hitini*. * Ceci n’est pas une transcription dialectale or maybe it is mais en vrai c’est vous qui voyez car c’est kifkif et puis de toute façon je parle pas l’arabe.
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TITRE En rêve AUTEUR Nicolas Pintea GENRE poésie TYPE transposition
Nicolas Pintea a composé ce poème en sanskrit, langue sacrée de l’Inde ancienne, puis l’a traduit en français. Né en 1993 à Boulogne-Billancourt, Nicolas Pintea a étudié à Sciences Po Paris les sciences sociales et les politiques culturelles, ainsi que le sanskrit à la Sorbonne. À l’âge de 20 ans, il est parti vivre une année en Inde afin d’étudier le yoga et la pensée indienne ancienne. Nectar, sa première pièce de théâtre, drame initiatique en alexandrins, est le troisième livre des éditions Moltogone. Depuis qu’il l’a mise en scène pour la Bellevilloise au printemps 2019, Nicolas Pintea se consacre à l’écriture d’un recueil de poèmes intitulé Psychédélices de la croix et prépare un court-métrage expérimental.
एषा भक्ता कन्या कास्ति । एषा स्वर्गेन नृत्यति । तां तु न कोऽपि पश्यति । सर्वे तां प्रति गच्छन्ति । शुचिभूमिगन्धैवैषा । शितालजलरसैषा । नीलोत्पलवदनैषा । सूर्यचन्द्रनयनैषा । एषैकमन्धगायनम् । एषैकं मत्स्यशरणम् । एषैव कविवचनम् । एषैव प्रकृतिरूपम् । किन्तु नास्त्यति दुरापा । हृदय एव गोपिता । परमं नाटकमेषा । ब्रह्मना ब्रह्मनो लीला ॥
Esā bhaktā kanyā kāsti | Esā svargena nrtyati | Tām tu na ko’pi paśyati | Sarve tām prati gacchanti | Śucibhūmigandhaivaisā | Śitālajalarasaisā | Nīlotpalavadanaisā | Sūryacandranayanaisā | Esaikamandhagāyanam | Esaikam matsyaśaramam | Esaiva kavivacanam | Esaiva prakrtirūpam | Kintu nāstyati durāpā | Hrdaya eva gopitā | Paramam nātakamesā | Brahmanā Brahmano līlā ||
Cette jeune fille dévouée, qui est-elle ? Elle danse avec le ciel. Tous marchent vers elle, Mais personne ne la voit. Elle a l’odeur de la terre pure, Elle a la saveur de l’eau fraîche, Son visage est un lotus bleu, Le soleil et la lune sont ses yeux. Pour l’aveugle, elle est un chant, Pour le poisson, un refuge ; Elle est le Verbe du poète, La forme de la Nature. Mais elle n’est pas très difficile à atteindre, C’est dans le cœur même qu’elle a été cachée. Elle est le spectacle suprême : Le jeu de l’Absolu avec lui-même.
TRANSLITTÉRATION & PRONONCIATION a [ɐ] ‹ a › fermé ā [ɒː] ‹ a › ouvert i [i] ‹ i › bref ī [iː] ‹ i › long u [u] ‹ u › bref ū [uː] ‹ u › long r [ɻʲ] prononcer ‹ ri › avec un ‹ r › roulé ai [aːi] prononcer ‹ aï › m [ⁿ] ‹ m › nasal m [ɳ] ‹ n › palatal c [t͡ʃ] prononcer ‹ tch › t [t̺] ‹ t › palatal ś [ç] prononcer ‹ ch › s [s̺] prononcer ‹ ch ›, le bout de la langue contre le palais
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TITRE L’étoffe des rêves AUTEUR Caroline Peyronel GENRE photographie TYPE transposition
‹ Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. › William Shakespeare, La Tempête, 1623. Quand nous dormons, nous produisons nos propres images: les rêves. Construction mentale, les rêves sont, par définition, impossibles à photographier. C’est pourquoi dans cette série je n’ai pas cherché à les recréer à l’identique, mais plutôt à retrouver les émotions qui les animent, à retracer le cheminement de notre imagination, à découvrir des traces de notre inconscient dans la réalité. En ce sens, le noir et blanc doit permettre à l’esprit de rompre avec sa réalité immédiate, tout en rappelant la valeur intemporelle et universelle du rêve. L’ordre de lecture de ces photographies, à la frontière entre rêve et cauchemar, entre souvenir personnel et imaginaire collectif, entre anomalie et absurde, a finalement peu d’importance. Elles forment un ensemble et non une suite. C’est à chacun de piocher dans l’incohérence de ses propres rêves pour leur donner sens.
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TITRE Cent nuits (extrait) AUTEUR Armand Koestinger GENRE poésie TYPE restitution
Le rêve est d’abord une expérience, l’une des plus étrangères à la réalité familière, qui se déroule sur un territoire de sensations chaotiques et résiste à la réduction rationnelle. Les retranscriptions de rêves qui suivent ne cherchent pas à expliquer ces expériences oniriques, mais à les transmettre à d’autres qui ne les ont pas vécues. Du fait de sa spatiotemporalité déstructurée, qui fait dérailler le monde de toutes ses lois, le rêve apparaît comme un matériau fluide, à l’identité incohérente et constamment indéfinie. Retranscrire un rêve revient à affronter un monde radicalement héraclitéen, et dont la mémoire s’évanouit très vite. Selon moi, la retranscription d’un songe doit accorder une place centrale à l’image, capable de révéler dans une certaine mesure cette expérience magmatique. Mes rêves à moi sont composés avant tout de sensations liées à la vue, et il m’arrive rarement de conserver le souvenir d’un mot, d’une phrase. Pourtant, c’est bien la forme littéraire du rêve qui m’intéresse ici. Comment peut-on partager une expérience onirique singulière par des mots? Le contenu amorphe d’un rêve est-il altéré ou dégradé par sa forme écrite? La littérature du rêve se résume-t-elle à son interprétation psychanalytique, ou peut-elle suivre un itinéraire d’ordre poétique? C’est là l’origine problématique de mon recueil Cent nuits, dont je livre ici une petite sélection.
17 Je surfe sur un serpent particulièrement plat lors d’une procession d’éléphants. Une strip-teaseuse chante et fait son show à l’entrée de ce festival où les gens sont un film d’animation ; ils font l’amour à l’air libre. 23 Un immense essaim d’hommes, avec des couvre-feux stricts et une milice rigoureusement hiérarchisée. Toute la ville est creusée dans la pierre. Les gens doivent se retirer dans leur ‹ petit trou ›. Je ne reviens pas au mien, et croise un sergent portant une armure bordeaux qui le fait ressembler à un cafard. Je m’éloigne de l’essaim, et trouve une immense plaine, avec d’autres hommes dessus. C’est le paradis peut-être, ou en tout cas un lieu qui succède à la mort, car Dieu est là en personne. Il fait apparaître sa tête gigantesque sur la plaine, les hommes courent pour fuir sa colère. Il jette son feu divin sur nous littéralement et par sa bouche. Je ne fuis pas, je reste là, assuré de ne pas mériter ce châtiment ou en tout cas croyant ne pas pouvoir être blessé. Les cyclones passent. 46 Une sorcière à l’intérieur d’un frigidaire dans une baignoire remplie de mégots, le dos nu. 49 Des grenades volent, je déjeune à la table de mes ennemis. 59 Je suis sur une scène de théâtre ou de performances acrobatiques. Le hors-scène côté cour est investi par une fête avec de grandes tables et une grue noire. Un imbécile meurt en obéissant à ceux qui l’encourageaient à sauter au-dessus d’un courant de lave. Je vois un carré rouge fait avec une bombe de peinture au sol. Un silence retentit, ils se sont tous tus. Je sens qu’un trouble étouffe la salle, et je me dirige vers la sortie. Je marche dans ce sens. Je croise des êtres étranges, des moines moralisateurs avancent en procession vers le théâtre. Ils portent des aubes larges, et laissent leur visage sombre enfermé dans un capuce profond. Après en avoir regardé un, puis détourné le regard, celui-ci me dit : ‹ Reviens. › Je sais que je ne peux pas échapper à leur morale. 72 Je fais partie d’un groupe de surveillance géologique. Nous volons pour aller voir de loin un phénomène surnaturel. D’une brèche terrestre jaillissent de longs tubes noirs comme des pattes d’araignée, se pliant à certains endroits. Je vole ensuite avec un vieil homme : il me parle d’une revue littéraire et je lui dis que nous sommes dans un rêve. Les mêmes tubes, en or, surgissent à ma droite. Ils font tomber une manne de pièces de monnaie ; le peuple se précipite pour en prendre le plus possible. 96 On traverse un village de lépreux. Ces malades, tous d’une peau brune, essayent de s’approcher de nous. Une femme est sous une charrette. De son corps remonte une fumée de décomposition. Elle me propose un morceau de sa joue. 98 Dans un asile, un homme de cinquante ans me montre son poignet. Il porte une montre avec une pièce de cinquante centimes collée dessus pour ne pas connaître l’heure.
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TITRE Thelma AUTEUR Jeanne-Marie Huet GENRE recherche / poésie TYPE restitution
Ce texte est extrait d’une recherche sur ce que les usages contemporains ont fait de la notion de passion. Mon protocole est simple: interviewer et enregistrer un ensemble de personnes de mon entourage que je considère comme passionnées. Ensuite je transcris, selon un code inventé à dessein (et dont je transmets la clé), ce qui s’est dit, entièrement et exactement. Ces données ‹ brutes › sont ensuite traitées selon un système de grilles de caviardage: je découpe les tics phatiques de la personne pour en dresser le portrait, je garde certains morceaux qui me semblent caractéristiquement passionnels, je fabrique un poème dans la matière du texte, qui est censé (ou non) transmettre l’essence de ce qui s’est dit. La discussion dans son entier apparaît en transparence; c’est elle qui organise la mise en page du texte final. Dans le cas de Thelma, qui devait me parler au départ de neurobiologie, l’exercice m’a posé question, car la discussion a dévié sur quelque chose de beaucoup plus métaphysique, et ce n’est plus tellement sur le thème abordé, mais bien sur la manière même de parler, que la passion s’est ici accrochée. J’ai essayé de rendre cette déviance, ce glissement dans la forme.
CONVENTION DE TRANSCRIPTION . chute de voix (conclusive) , petit temps d’arrêt [espace] durée sans timbre .. / ... / ....... maintien du dernier phonème : / :: / :::: inspirations ) / )) / ))) expirations ssss / shll / fasses salive 2’53 pause cigarette y zont / y rêve ils ont ; il rêve Mh. [ɔ~] Th. ‹ t › palatal ou [ǂ] ske / ski contractions (ce que ; ce qui) ’arce que élision (parce que) VagaBonds / TRÈS / Oubli accentuations (consonne, vocable ou début de vocable) pression-atmo-sphérique articulations (entre ou dans les vocables) surlespersonnesunpeuplusjeunes précipitation (sur plusieurs vocables)
ça fait des Bips, tout l’temps HunHahahah
huais c’est Moi. Maint’nant j’arrête, promis.
:: Mais-euh......mh Et Ou-AIs, et donc du Coup, Nan parapport à Ta... à ta Mère, et à.... si
y en A, enFait y zont décou-Vert que dans l’-Iliade et que dans.... , dans dans Uu-lysse, t’avais bah plein d’A-èdes . Plein, de ...
Oui, ouioui
Tu Sais? Que c’éTait, écrit à des périodes diffé-rentes etceteRa . :::
Yes
Et-Euh, enFait, Par L’écriTu-re,
C’est, Que euh... Hom-mèRe est -Euh, cinq personnes différentes, fin même cinquante, perrsonnes différenTes ..
Ou-AIS- Même, Ou-AIS, à-la-Fois, Ou-AIS , et-euh.... après, chuis Pas un...
C’est juste un Nom-d’emPrunt, pour tous-les-mecs qui f’saient ça -à-l’époque, quoi
Ou-AIs. TOUS les A-èdes, donc y réciTaient l’hisTOIre, et Tout, et puis tu..t’rends compte, en fait, Pahr l’anal-yse euh.... llitté-raire du Truc, Que -euh.... ÇA Change , fin Le... mh... Ta,Dé. C’est Comme -euh dans un Film, quand t’as un Mauvais-mon-TAge , genre-euh..... T’as. t’as Pas, des mais des Faux-rraCCords, quoi, dans l’hisTOIrre, y a des trucs
Ouais
Qui s’suiVent, Pas-forrcÉment etcet-eRa, t’as des inco-Hérences. ::
Mh, mh-mh.
Et en Fait, y zont décou-vert : à-travers-Ça, Que, euh.... les Grrecs, à l’oriGI-ne, avaient Pas-d’Con-SCien-ce.
Comment-ça, y zavaient pas-d’con-sci-enCe?
BAhenFait, ys..... considé-raient-pas. Eux-Même, genre y zavaient pas un, JE. AffirMé. En fait ys... Penssaient-Pas. Genre, euh.... dans L’i , dans tout l’déBUt, d’l’Ili-AHde :: genreenFait, quand tu fais l’ana-LYse-Euh..... de ski s’Passe et de ski s’Git, les Grrecs. savent-Pas, qui ssONt-euh... : FinenFait, y s’disent-Pas.
Mais ya quand-même des No-tions de Mé-Moire, de Nos-tAhl-Gie, de MéLan-CoLie , de... qui sont prrésenTes..
Ou-AIS, mais-t’as
Ou-alorrs Peut-êht’ Qu’on-a , qu’on-a...euh, ces ana-lyses-là-aujour-d’Hu-i
Mmmmhhhhhhh
Mais -euh...
MaisenFait, c’est Qu’on.. on-arrrive, Pas, complèt’Ment, à ... fin, p arce que Nous, on a une con-SC-ienCe , Donc-euh.....
OU-I, mais j’veuxdirre Chais Pahs, moi ça m’paraît abz-Urde, comme
Ça t’parAÎt absUrrDe? BAH. Là chuis-en-Train d’le Li-Re . Enc’moment, et-Euh..... et, EuhenFait ça te, Mmène, Fin y, d’ex-pLI-Que, qu’ enGrros, les Grrecs sont pahs, du Tout - euh.... Euh... On.... e nF, En Grros, c’est des HhalluCI-naTions, Fait ça ex-pLIque tout l’fff. Le CôTÉ, Y a t’JOUrrs un Di-eu , qui vient t’Pahr-LER Pour-Te-Dire, Euh...... Fais ci, fais Ça ::: EUH..... Par-exemple, t’As....... je-sais-Pahs -euh, u n Dieu qui va vOIrr- euh :: Euh..... je Sais, chuis HY-Perr nulle-en-Nom, Ou-ais mais. U-llYsse, ou Pri-AHm, ou fin Hec-Tor- euh, n’importeQui, et quivalui Dire -euh, th, Quiva lui, A-ppa-rrAÎtrre d’un-coup- sur-unePLaah-ge -ou -Euh..., ou GenreEuh.... je sais Pas , euh... Après une Ba-Taille, et Tout, et c’est sou-Vent. Un.... souv’Nir, visU-EL hyper-FORT, tu vois, mais forcéMent, parcequeToi, tu l’assi-Miles, tu t’Dis- euh : avec ta no-tiion, Ou-i, parce qu’y crroh-yAIent aux Di-eux, donc forcÉ-ment, y f’saient dix histoires etcet-erA :: O U. les Di-eux apparaissaient.
2'26Pour justi-fier leurrs Ahctes après-COUP,
OUI, VoiLà, pour justi-fier leurs-Actes, et pour Dire -euh, Bah ça part de not’reli-gi-ON, avec les di-eux. EtenFait-euh... Non, ça s’rrait des Halluci-naTi-ONs-euh, AudiTI-ves, et-euh... et euhh....
Ouai mais, eff
Et-euh ViSU-ELLes
mais Y zont quandMême eul’i-Dée, de, les ForrmaLiser en tant qu’Di-eux, tu vwah. sssh. BAH Ouais mais c’é-Tait.. enFait c’est EnFait ça exp-Lique aussi, le Fait que leurs Di-eux, y soient si PrroCHes, d’Eux. Comme -si-c’était un, enFait, enGrros, la consci-enCe bicamérahle, ça s’rait ce Trruc : Que, c’est une Voix qu’t’as dans ta Tê-te, etDonc qui s’rapPRohche, clairement-beaucoup des, HOm-mes , et de sk’on Fait, d’nos agisss’ments, tu vois, leurs Di-eux, par exemple y font, y TrromPent, fin t’aspasdutout une no-Ti-on, de res-Pehct parapport aux Di-eux : OU -euh :::
De Dieu pAHrr-Fait, euh..
De Dieu-par-Fait, T’as Pas d’Dieu-ParFait, t’as des yeux qui sont, Hy-Per-Prochesdes hommes, donc : à-partir-de Là enFait, ssC-euh.... C. C’est leur preMi-èrre ap-pro,che, d’la ConSCi-enCe, ça-s’rait-ÇA, genre ça s’rait d’se- Dire :: fin yss..’ImagiNent-Pas, y s’pensent-pas en-tant-que JE :: C’est toujours des, Ohrrdres , qui Viennent, des Di-eux, Ou desacti-ONs, qui sont.... com-mandÉes par les, Di-eux. :: MaisenFait, C..... ça s’rapproch’rrAIt, du-coup, De..... d’une Halluci-naTi-ON. Ou, d’un espèce-d’Ins-Tinct. Biz-Ahrre, qui Te.... euh... qui t’A-mèNe à fairre, Une-chose, ou une Autrre.
:: du Coup, ces Mecs, là, Fin....... c’est ce, Ou-AIS, c’est l’idée d’Ins-Tinct, Quoi-que-c’est.....
Bah, c’est, l’I-Dée, enFait. Ah-pré, Faut qu’j’Le.... j’le r’liz, ’arce que c’est Hy-Per. fin c’est Hy-Per- Dense -Euh.... y s’pahsse-Par, euh. Vah c’est un-Peu... c’est unpeu BizAh-rre enFait, et, y Passe, par Plein, de.... ::: De réflex-iONs, même, parap-portÀ ... Parce que c’est bizz-Ahre, de s’Dire, :: Euh.... y avait une épo-que, Où-Euh.... les Gens avaient-pasconSCi-enCe. D’eux-mÊme, tu-vois. Genre-Euh... t’as-tou-Jours, Fin. Nous, on vit-Pas... Sans-conSCi-enCe, tu vois, on naît, fin on Naît..
Etpuis sssurtout c’est.... une, Civilisati-on quié à la base de la Nô-trre, tu vois, donc on s’est toujours calculés parap-port-à-ces-Mecs-làh ))
Ouais, c’est Ça. MÉ, Au-SSI, parcequ’ons’Dit, fin justeMent, c’est l’ana-LYse qui Donne,
4'05de l’I-liahde, c’est Que, à un mo-ment, t’as un chang’Ment, fin t’as un chang’Ment d’disCours, t’as un chang’Ment d’percepti-ON àl’intérieurdel’Iliade-Même :: qui Fait, que c’est pas
Pah-rreil . Fin. EnFait-Euh..... t’as pas les Mêmes, MOTS . PourEuh....
pour défiNir, parExemple, t’avais-Pas, de... t’avais-PasunMot, qui disait, JE : A-Vant, etGenre Par-ez’emple, le Rr-OI. Quand tu parlais du rOI euh, je sais pas, Quel est l’Terme, tu. T’as fait du grec, toi, Nan? Du coup, pour-dire-Roi, c’est Quoi?
βασιλι-άς.
βασιλι-άς, voiLà. Et Ça, c’est Le......... c’est le Nou-veau Euh....... Fin c’est lah... ,
c’est la Dernièrreétymo-logieenDahte, mais A-Vant : c’était Pas βασι-λι-άς, Avec la No-tiON, de... Sa-crré, tuVois. Av-ANt, c’éTait. L’Inten-Dant, de-Di-eu . fin, c’est, Donc, ce-Lui Qui... Gèrre-la-Terre.
bon, le mec-qui-Gèrre la relati-ON entrelaTerreetLe... le Ci-el.
Ou-AIS c’est ça, mais vraiMent un Inten-Dant, genre- Un un..... un espèce de secré-taire, tuVois, donc t’aVais-Vraim..
Un fonctionnAIre?
Ou-AIS un fonctionnai-rre , c’est Ça. EtEuh..... du-Coup, parapport-à-Ça , euh.. . y zavAIent- euhmh. y zavAIent un rap-Port-aux-di-eux, qui était pas, du-tout- euh Fin :: c’éTait-Pas du sSa-crrÉ, et en-même-temps, y justifient TOUS-leurs... Fin. Y z’étaient Gui-Dé s par-les-dieux , mais vraiMent-comme-une-Halluci-naTi-ON- Euh.... purr’Ment, Euh.... eh, Chais-Pas comme on pourrrAIt . Fin. P a rce que c’est )) Mh, Th. Genre, Le. çam’intéresse, parce Que j’me Dis.
:: maisducoup-quelest. At-tends
QUE, Le- Euh...
J’ai- pas su-PER. Com-Prris le-rap-port -avec-le-Trruc, euh....
Bi-camérraL?
::. Euh..... mmmhh...... LA
fin vrrraiment, la conSCi-enCe.. conscience bicamér-ale.
5'28La, la Conscien-Ce bi-CaméraLle, ça veut dire qu’ en fait ça s’passe dans deux Cham-brres, différenTes. T’as, Une- Cham-brre, où -Euh.... C’est- Euh... EnFait c’est TOI, mais c’est Toi, donc Sans-ta.. sans-ta-pen-sée, donc c’est Toi. Par-ezemple quand tu fais un Trruc Mmé-Ca-Nique, tuVois genreEuh.. Tu conduis ta Voitu-rre, tu réfléchis-Pas. T’as l’acci-Dent , tuvasaVoirr un’Acci-Dent. Et-Euh. Y s’disent-Pahs. Ah-Mmerde, JE devrrais-Tourner-à-drroite. Y .. tourNent à drOI-te. enFin y s’mettentPas enperspec-Tive dans l’Acte, Même, tuVois. ::
d’o.K.
Et-Euh.... Et les Grecs, enFait, ss. sss. ça s’rAIt, que y s’mettaient Ja-MAIS en perspec, Tive.Dans-skIf’saient. enFait yregardaientjaMaisà rebours skizavaientfAIt, ouy s’disaient-Pas, J’AI, en-Vie, d’faire ça, ça s’rait touJours Genre Je le FAIS OU on m’A
Leurs trucs sont , leur consci-enCe se-rait, monocamé-rahle, donc?
Wala, c’est Ça. Nan, V. AlorsenFait, Nan, parce-Que-du-Coup. Leur -Euh, ConSCi-enCe. Elleest dic-Tés par la, VvOIX. du-di-eu. Donc par, l’Hallucina-tiON-audiTi-ve, y vont Dire- genre. JE fais Ça. Parce-Que, UnTel m’a DIT d’faire-ça. Mais , Genre, dans la répétiti-ON, du-truc- De, UnTel-m’a-dit -d’faire-Ça. On...... Fin. Th. On s’Dit Ah, mais c’est Parce-que y Sont, Hy-Perr-religi-EUx- etceteRa. MaisenFait, Julian-Jaynes, il explore la Pis-Te , quec’estPasparc’que sont. HyPerreligi-EUX. :: C’est-parce-Que y zont, vrrai-Ment, Fin, ce rrap-pOrt , Euh..... d’HAllu-ci , fin. Halluci-naToi-rre.
ÀlaFois im-Mé-Diat à ski sont en-train d’Faire. Et.... et halluci-na-toire dans le..., dans les volon-Tés de...
Ou-AIS.
EtduCoup-l’i-Dée, c’est, Que ..... ?
Donc ce s’rait, ce s’rait presque une Voix, unPeu schizophré-nique, tuVois. QUE, tu re-trrouves, Euh.... Bah,
dans l’Surmwah...., euh.
DuCoup, chez les schizo-phrrènes. Ouais.
Dans........ Fin, j’ima-gine, que c’truc-Là s’est, TRansFoRmé ?
Bah.
Pour d’venir, euh, d’Hallucina-ti-on-Divi-ne, À, euh, Con-sci-enCe-de-Soi.
7'01Ou-AIS.
tuwa.
Que-ça-S’est. CommentÇa? Que-ça-S’est........
QUE.. peu-à-Peu, on-a-com-Menss, Fin, onacommencéàs’ap-propri-ER cette Voix, ens’disant, Que. Les Di-eux étaient finalement, euh.... trèsProchesdeNous....et, Que.......
Ou-ais. et que, final’mentc’éTait Nous
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TITRE Vain dieu AUTEUR Hugues Barra GENRE poésie TYPE restitution
Aux vendanges, certains rangs de la parcelle sont dits de caisses. Les porteurs y vident les seaux des coupeurs et remontent les caisses pleines au camion. C’est chiant pour un coupeur d’être dans ce rang-là car ça n’arrête pas d’aller, de venir et de se rentrer dedans. On dit ‹ vain dieu › par exemple quand une charge est lourde à porter, que la côte qu’on attaque est raide, que ça tire dans le bas du dos quand on se relève. En septembre 2018, j’ai enregistré puis retranscrit deux jours de vendanges dans un domaine viticole de la Côte-d’Or. Une vingtaine de voix se font passer des trucs, s’appellent, se foncent dedans, demandent de l’aide, suivent à l’envers les ordres de la patronne. À des moments ça va tellement vite qu’on est obligé de revenir en arrière pour retranscrire une deuxième, une cinquième fois la même séquence. Tout le monde continue de se couper, se répéter, pas comprendre, se moquer de la patronne et se filer un coup de main.
1 dès qu’lele a filé dessus moi je sais plus qu’est-ce que’elle pourraient bien chanter ? Adelle putain on rigole bien alice hola papi mais que passa j’entends des bails tout le monde est-ce que vous pouvez vous levez vite être débordés à la cuverie aimerait qu’on trie beaucoup plus enlever le griller ce qui est vraiment aps beau vous le mettez pas c’est ce que je me demandais plein de grappes qui sont coupées à moitié est-ce que ça vaut le coup vous essayer de trier plus ah au fait tu sais je te parlais de mon projet hier s’il vous plait écoutez moi là levez vous pour ’mécouter est-ce que vous pouvez vous lever y’a iki qui vient de m’appeler il demande parce qu’il dit ils vont être vite débordé à la cuvertie parce que ça arrive vite donc il aimerait qu’on trie beaucoup plus enlever le grillé et ce qui est vraiment pas beau c’est ce que je me demanait plain de grappes qui sont cgrillée je le fais systmétmaiquement parce que j’ai l’habittiude vous essauez de trier plus y’a que toi qui l’a pas vu isa hugues donc en fait il demande parce qu’il dit ils vont petre vite débordé à la cuverie parce que ça arrive viet c’est des grosses caisses enelver le griller et enlver ce qui est vraiment pas beau ce qui vous paraît vous le mettez pas est-ce que vous voyez ce que je vous demande ou pas en fait c’est ce que je me demandais plein de grappes qui sont grillées à la moitié est-ce sque ça vaut le coup vous voyez ce que je vous demande en fait c’est ce que je mendais plein de grappes cramée à poitié est-ce que ça vuat le coup de les couper en deux ou on les jette possiblé d’enlver moi je fais systéméaiquement parce que j’ai l’habtitude vous essayer de trier beaucoup plus ce qu’on faisais pas jusqu’à maintenant y’avait des pas mures aussi y’a que toi qui l’a pas vu isa hugues parce qu’il me dit qui’ls vont pas suivre du tout à la cuverie tu veux vider le casse croute oui chef ce qui vous paraît pas ok parce qu’il me dit qu’ils vont pas suivre du tout à la cuverie je le jette dans ta bouche tu veux vider et elle m’a dit qu’lle étiat hyper motivée et qu’elle savait que vu que j’étais à l’hotel j’atias un peu coincée donc elle me dit je vais lancer la boite dès que ça fonctionne bien 2 vin dieux boire un pttit coup au bout les gars betratnd tu veux pas isa ? isabelle isa ? maxence eux non pas maxence eux valentin branelurs putain escuse moi mais je sais déjà mmême plus ça peut ça peut s’aranger je vois que je vois qe y’a des participants comment ah oais bien rfrais ça serait meme plus le picon plus le picon que juste le demi moi par contre eun bon picon je veux bien ouais scraaément ah ouais faudrait grrave t’as pas un sac à dos congéllo merci antoine prends des caisses tu vuex boire un coup ah mais ud coup on ppourra mélanger pourquoi parcontre dans ces vigne sya pas bceauocoup de raisins verts loulou qui veut de l’eau moi je veux bien hugues tu veux de l’eau moi jsuis chaud ouais je vuex bien bourré àl’eau merci c’est moi cest bon petit coup de gnole trop bizarre de l’eua qui sent la goute delphine qu’qlu’un ah ouais moi je veux bien nan c’est bien un peu d’eaeu sucrée au fruit ah ouais bien joué purouquoi j’u ai pas pensé je sais pas le dép^t dans le fond tiens vas-y je veux bien tu veux quoi ben faire passer ça devant si tu veux bien attends j’allais dire lance pas tout de suite ah ben trop tard ben dtteoute façon elle était vide quic’est qu’à de l’eau là il nous faut un verre d’eau chez nous u ricard sinon t’as pas du richard ça m’intéresse pas alors c’était à qui ce seau là il a un petit goûtt de marc quand même tain ça fait du bien du e boire un coup qunad même et pour annabelle s’il tepait t’en veux t’es pas loin pas loin psa loin ils ont leur bouteille maintenant là-bas panier tôt ou tard c’est vrai varie même niveau maintenant là-bas panier tôt ou tard c’est vrai même niveau restaurants l’alcool on rigole mais la vahce une dans mes lunettes double périlleux tu ramènes descaisses julien je veux pas le savoir tellement l’air con on revient vers toi isa N? Non moi j’ia plus de place là on peut vider dans les caisses là ouais mais pas tout seul ça fait un moment que en fait tout seul là-bas là quand on a fini faut aller là-bas on boit un coup oui mais faut ifinir là sa c’est pas fini là ya pas des caisses dans le coin qui veut de leau pétillante ? ya plus rien c’est une illusion d’optique là dedasn encore plus y’en a ici y’en a une qui se remplit là y’en a une vide là qui se remplit encore si t’arrrives à en avoir une yen a une vide là merfci infimeent clac clac ta’s des caisses toi ou pas pleines ?elles sont où les brouteetes ? une qui remonte une montée y’a une caisse par là ou pas ouais à côté ? pas les mêmes que de l’autre côté mais regarde les ils ont bu ttoute à ’heure c’est bon ils ont eu de l’eau ils vont pas se plaindre deux heures en plein cagnard à trimer hop bon là-bas yen reste quatre petites là y’en a deux rangs slouck plus haut plus nan mais dans l’autre sens ta main hugues s’il te plait est-ce que tu voudrais est-ce que ya la bombonne d’eau les gars en bas avec les goblets super c’est bon mettre la caisse du bon sens gauche les patates c’est à dire dans l’autre sens tu sais quand tu les empiles quand tu les mets dans le camion et qu’on les chopes tu vois comme ça ah faut pas qu’elles s’emplient jusqu’au bout là-haut bertrand il faut des caisses non non ça devrait le faire là c’est bon t’es obligé de passer les hop ah ouais ya arrêtfréquent hein c’est pas marqué le camion la clef elle est dans le camion là sinon tu peux mettre ça ddetfaçon ça va se remplir là ya des caisses à évacuer patron non tu veux de l’eau est-ce que vous voulez de l’eau avant te laver les mains escusez moi laissez passer faut pousser tiens tu peux prendre la brouette qui veut de l’eau comment il me parle celui-là tiens viens on va la chercher là donc vous commencez avec ça et je vous la ramnène en fait je sais pas où on va mais on peut faire comme ça qui veut de l’eau de l’eau ouais moi j’en veut bien moi pareil on peut commencer avzec cinq six caisses cinquaante trois me fait pas rire comme ça t’as telement l’air con eh burne mais bon c’est super dur tu veux des casisses ? on vient vers toi isa ? Si il en reste là ben y’en a deux nan moi j’ai plusde place là on peut vider là dans la dans les caisses là slouck t’es bon là besoin d’aide c’est bon je suis tout seul ça fait un moment tu peux vider tout seul que je suis tout seul en fait qu’est-ce que tu fais là-bas l eh quand on a fini faut aller làèbas on boit un coup faut aller là-bas on va là-bas ben ouais mais faut finir là c’est là-bas l à avant qu’on finsse bonne nuit ya pas des ciasses dans le coin qui veut de l’eau pétillante ya plus rien c’est une illusion d’opotique oui oviolà encore plus dans le yen a une qui prend celui là y’en a une vide là si t’arrives à en récupérer une ya les rangs à droite là-bas une en rab là si ta’rrivs merci infirmenent clac clac je vais mettre deux ici t’as des caises toi ou pas pleine elles sont ù les brouettes y’en a une qui remonte ouais qu’est remontée slouck une fois qu’il aura vidé ya une caisse par là ou pas ouais à côté c’est bien parfait c’est aps les mêmes que de l’autre côté ils sont pas à regarde les amis regarde les ils ont bu ttàl’heure ils ont déjà eu de l’eau ils vont pas se plaindre merde au bout de deurx heures en plein cagnard à trimer comme des porcs hop là-bas yen reste quatre petties mais volà là ’en a deux grosses slouck 3 c’est vrai que y’en reste d’hier faut pas la laisser je pense plus de place là un peu de place là on va peut-être se seerre un peu les garçons vous prenez les filles sur vos genoux jerem viens viens se serrer un peu je sais pas si y’aura assez de place on est nombreux bon on va pas très loin dans les petits vougeots des nanas en stop là sur la route elles allaient à vosnes romanée dans un domaine 10 euros le repas pas de pause ni la matin ni l’aprem y’a des sesclavagiste encore faut vraiment une pince pour faire payer le repas est-ce que vous pouvez me dire si je peux reculer parce que je vois absilument pas bang enorme cuation sur les camions ça va vous avez bien dormi pas assez pas assez ça va vos cuisses moi j’ai mal aux jambes aux jambes ? Moi j’ai les cuisses qui me tirent un peu le pire la cheveille sais pas si c’est la cheville là à l’emplacement de ou alors mes chaussrues tu sais là ou j’ai ma cheville tu sais je me plie à genoux donc un pieds à 45 degré à 90 degré là on va dans un endroit magnifique au pieds du clos le plus beau c’est la combe d’orveau magnifique là tout ce qu’on a vendegané les bougrgone c’est tout à 13,4 comment ça tu aprle de quoi j’ia pas compris le degré déjà avant fermentation du grain et alors du coup comment is font si ça dépasse la réglementaion normalement c’est 13 maxi souvent ssur les bouteilles 12,5 non plus 13, 13,5 je réfléchis où tu te gare alors là je vais me garer le long faites attention en descendant y’ aun énorme trou donc sautez pas si vous sautez j’ai plus d’équipe je suis bien là au niveau de la route ? Slouck tu sais tu peux te garer dans le chemin là derrière tu vois ouais derrière tu recules à fond merci tu saisce qu’il faisais rémi ce matin vazy il m’enlevait les feuiles de l’autre côté du rang pourquoi mon père il lui dit mais puqruqoi tu fais ça et tout dit ben parce que y’a des feuilles quoi mon père il lui dit oui mais on les a enelvées les feuilles dit oui mais y’en reste de l’autre côoté qu’est-ce qui’il a fait enelevé les feuillees celle;à on nous l’a encore jamais faites tu vois il a fait quoi rémi hein il af fait quoi il enelveait les feuilles de l’autre côté du rang d’aileleurs mais pour quoi faire parfceque y’en restait non moi non plus tu ramènes david que y’en ai une au moins parce que après ça va aller y’en a aencore sinon j’en redépanne c’’est betrant qii te vole ton boulot tu vois y’a trop de raisin ouais ça marche est-ce que tu pourrais finir les deux pieds là parce que attenton loic je peux avoir lo¨^ic on peut voir le truc dans les duex sens après c’est les autres qui vont trop vite parle à ma main encore là tu te dis que t’es prête là avance ta roue hop c’est bon toi t’es je te déteste
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TITRE Marne AUTEUR Phylo GENRE géographie TYPE copie
Un travail pseudo-géographique m’a mené dernièrement à lister l’ensemble des affluents de la Marne, cette longue rivière qui prend sa source au plateau de Langres et arrose plusieurs départements (donnant son nom à quatre d’entre eux) avant de se jeter dans la Seine juste avant Paris. Sorte de cartographie inverse, cette énumération exhaustive écrase la dimension géographique de la Marne au profit de la seule toponymie. C’est un travail sur les noms propres en même temps qu’une réflexion sur l’arithmétique bien particulière des rivières. Les données ont été assemblées à partir de Sandre (le Service national des données et référentiels sur l’eau) et d’OpenStreetMap. Seuls les cours d’eau naturels ont été retenus; ceux qui ont été détournés, au profit de canaux notamment, apparaissent entre parenthèses.
La Marne = La Marne + Ruisseau des Noues + Ruisseau des Fontenelles + Cours d’eau de Varmoy + Ruisseau de Val + Ruisseau de Saint-Maurice + Ruisseau de Vaucourt + La Liez + Le Julien + Ruisseau de Douet + Ruisseau du Moulinot + La Mouche + Ruisseau du Pré du chêne + Ruisseau des Lachères + Ruisseau du Val de Gris + Cours d’eau 01 de Combe de Vau + Fossé 01 de Combe René + Ruisseau de Vaubrien + Fossé 01 de la Roche l’Ermite + Ruisseau du Moulin + Ruisseau de Sinceron + Ruisseau de Trimeule + Ruisseau de la Combe Veutet + La Traire + Ruisseau de Val Darde/des Riats + Ruisseau de Lavau + Ruisseau de Moiron + Ruisseau du Pécheux + Fossé 01 de la Côte du Four + Ruisseau du Sarrasin + La Suize + Cours d’eau 01 de la Commune de Condes + Ruisseau de Bonnevaux + Fossé 01 des Chênaies + Cours d’eau 02 des Cornées + Le Meures/Ruisseau de la Forge + Fossé 01 des Corneliers + Cours d’eau 01 de l’Aréniée + Ruisseau d’Oudincourt + Cours d’eau des Vignes de la Corvée + Ruisseau de l’Abbaye + Le Rigolot + Bief du Moulin + Cours d’eau 01 de la Falouse + Cours d’eau 01 de Momont + Ruisseau du Vau + Le Rognon + Ruisseau de Vrinval + (La Ranzière) + (Fossé 01 de la Carelle) + Cours d’eau de la commune de Saint-Urbain-Maconcourt + Ruisseau de Sombreuil + Ruisseau de Bonneval + Cours d’eau 01 de Dame Cole/Le Rupt + Le Rongeant + Le Ru + L’Osne + Ruisseau de Chevillon + Cours d’eau 01 de la commune de Bayard/La Marne + La Cousance + Fossé 01 de Marnaval + (Fossé 01 du Fond des Plaines) + L’Ornel + Ru du Moulinet + Fossé de Charles Quint + Cours d’eau 01 des Grands Saules + La Fausse Blaise + La Blaise + Ruisseau de la Fontaine + Cours d’eau 01 du Moulion d’Isle + Fosse Sainte-Joie + Cours d’eau 01 du Moulinet + Fossé 01 des Louis + Cours d’eau 01 de la Commune de Bignicourt-sur-Marne + La Haute Fontaine/Le Goulet + L’Orchonte/L’Orchonté + Cours d’eau 01 des Vieilles Eaux + L’Isson/Le Cavé + La Coole + Cours d’eau 01 des Épinottes + Cours d’eau 01 du Mont Berjon + Cours d’eau 01 du Pré Payen + La Saulx + Les Grandes Noues + Noue la Guyon + Le Fion + (La Moivre) + La Guenelle + La Coole + Fossé 01 de la commune de Châlons-sur-Marne + Le Mau + La Somme-Soude + La Gravelotte + Ruisseau d’Isse + La Livre + Les Tarnauds + Le Cubry + Fossé 01 de Sainte-Hélène + Ru de Brunet + (Fossé 01 de Luter) + (Fossé 01 des Hauts Murgers) + Fossé 01 du Chêne + Ruisseau de Belval + Le Flagot + Fossé 02 des Petits Prés + Ru des Marauds + La Semoigne + Ru de Vassy + Ru de Chavenay + Fossé 01 des Pentes + Fossé 01 de la Commune de Trélou-sur-Marne + Fossé 01 de Voucy + Ravin des Masurettes + Fossé 01 de Marcilly + Ru de la Belle Aulne + Le Surmelin + Ru de Dolly + Ru des Pilots + Ruisseau de Chierry + Ru de Nesles + Ru de Bascon + Ru des Rochers + Ru de Vilaine + Ru du Dolloir + Ru de Vergis + Cours d’eau 01 de la commune de Nogent-l’Artaud + Fossé 01 de Ruvet + Ru de Domptin + Fossé 01 de Pisseloup + Cours d’eau 01 de la Cour d’Artois + Ru Philippe + Ru de Montreuil-aux-Lions + Ru des Graviers + Fossé 01 de la commune de Chamigny + Fossé 01 de Godefroy + Le Petit Morin + Ru de la Merlette + Ru de Pereuse + Ru des Signets + Ru de Courtablond + Fossé 01 de Ma Terre Forte/Ru du Sibut + Ru d’Arpentigny + Cours d’eau 01 des Ambroises + Cours d’eau 01 du Bois Verdelot + Le Brasset + Ru de Chivres + L’Ourcq + Fossé 01 de la commune d’Isle-les-Meldeuses + La Thérouanne + Fossé 01 de la Plaine du Plat Cul + Ru des Cygnes + Ru de Rutel + Ru du Val + Le Grand Morin + Bras du Grand Morin + Ru de Courset + Ru du Rapinet + La Beuvronne + Ru Bicheret + Ru du Bouillon + Ru Morte Mere + Ru Venante + La Gondoire + Ru de Chantereine + Ruisseau de la Hart + Ru du Merderau + Ru de la Plaine + Le Morbras = La Marne La Marne + La Seine = La Seine
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TITRE AUTEUR Fanny Garin GENRE poésie TYPE copie
Fanny Garin écrit de la poésie, des récits ainsi que des textes hybrides pour la scène. Son recueil Des disparitions avec vent et lampe a été publié en avril 2019 par les éditions Isabelle Sauvage. Elle est également publiée dans plusieurs revues, entre autres: remue.net, Hors-Sol, Catastrophes, Terre à ciel, REVU la revue, Derviche tourneur. Avec Julia Lepère, elle a fondé et codirige la revue de poésie Territoires sauriens - attention crocos. Parallèlement à ce travail d’écriture, elle est dramaturge et collaboratrice artistique pour le théâtre. En avril 2020, les éditions de l’Angle Mort publieront son recueil Natures sans titre.
parfois tout est blanc. le ciel était moite ce matin-là. c’est étrange je ne faisais, que laver de la salade observant, les feuilles, de salade, celles qui brunes celles qui craquent me disant, déchirer trop fort faisant, la liste des mots trop fort comme le je je je. moineau, est juste d’une branche à l’autre. aussi, vide du mur ce bouquet. persil, vert. et quelle sorte de vert sur le mur qui est blanc. sur le mur qui est blanc le poète, écrit avec un critérium comme, cela pique ce, sautillement du moineau du moineau sur la peau. ce matin moite l’oiseau sautillait parfois les adultes, terrassent. (aussi que veut dire moineau qu’est-ce petit passereau (chercher la définition) au plumage généralement brun strié de noir. très répandu dans les villes et campagnes. femelle du Moineau la Moinelle, substantif rare, avalé par le masculin. comme les poétesses. moineau est aussi le zizi rare d’un enfant) (aussi que veut dire terrasser renverser quelqu’un, un animal. le jeter à terre avec violence au cours d’un corps à corps. ou alors. abattre quelqu’un physiquement ou moralement, le priver de toutes ses forces. ou alors. dresser, régler, piocher, remuer la terre)
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TITRE Le lieu du sel AUTEUR Lorraine Lefort GENRE photographie / son TYPE restitution
Dans Le lieu du sel, il s’agit de retranscrire de manière visuelle et sonore une partie des marais salants de Guérande. L’idée est de leur trouver une autre forme sensible, en adéquation avec les réseaux Internet et numériques, cette nouvelle peau qu’il serait bénéfique d’intégrer à la constitution du monde organique afin d’en trouver une utilisation juste et saine. Les photographies sont des tirages argentiques numérisés, illustrant la nécessaire hybridation de nos outils de création. La déformation des images évoque les remises en question brutales qui surgissent dans notre temps, elle représente cette vaste matière à remodeler, toute de trace et d’échos. La bande sonore, quant à elle, mêle le bruit de l’océan Atlantique – élément essentiel des marais – aux chants de trois espèces d’oiseaux peuplant typiquement le lieu. Redonner toute sa place à l’intelligence de nos qualités sensibles, savoir écouter attentivement le monde, décloisonner la binarité humain / non-humain, rendre hommage à la beauté innée d’un lieu que l’homme a su modeler conformément à ses besoins tout en préservant ses qualités: voici quelques pistes qui ont guidé ce projet.
https://revue.moltogone.fr/2/doc/LieuDuSel1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/gorge_bleue.mp3
https://revue.moltogone.fr/2/doc/LieuDuSel2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/echasse_blanche.mp3
https://revue.moltogone.fr/2/doc/LieuDuSel3.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/chouette_hulotte.mp3
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TITRE Descompositions AUTEUR Céline Lafon & Bernadette Vercoustre GENRE poésie / dessin TYPE transposition
Céline Lafon est diplômée du master de création littéraire de l’université de Cergy-Pontoise. Elle écrit du roman noir, de la science-fiction ainsi que de la poésie bilingue en lien avec sa double culture française et américaine. Formée aux sciences naturalistes, elle effectue parfois des suivis faunistiques et floristiques dans une réserve naturelle. Ces sorties ritualisées par les protocoles scientifiques sont l’occasion de mettre en lien la démarche de création littéraire et l’observation naturaliste. Elle a ainsi développé le concept d’écotone littéraire qui forme le sujet de sa thèse. Dans les pages suivantes, depuis une fiche d’échouage de mammifère marin, elle s’est demandé comment retranscrire ce moment de rencontre et de relevés face à un animal échoué, le plus souvent en putréfaction. Bernadette Vercoustre est diplômée des Arts appliqués et des Beaux-Arts de Paris. Elle enseigne les arts plastiques et pratique le dessin, la peinture et la gravure. En 2019, sa série Commuting (huiles sur toile) a été exposée dans une galerie de Bruxelles. Elle collabore avec Céline Lafon sur un projet de mise en scène de rats dans les paysages de L’Odyssée. Les rats, dans leur multiplicité, appellent la reproduction à l’identique et donc la gravure. La diversité des épisodes permet de mêler les techniques: huile, eau-forte, aquatinte, carborundum, gravure sur bois. Pour la revue moltogone, elle a consulté les archives liées aux échouages de mammifères marins sur les rives de l’Atlantique.Techniques utilisées: feutre sur papier à dessin épais-lisse au format A3, 220 g/m2, salive et sueur.
Le terrain terreux sableux vaseux rocheux limoneux herbeux rocailleux marneux glaiseux épineux ligneux bitumineux aqueux… zone de réalité rude mise à distance par les protocoles de suivi et relevés. Ainsi des échouages de mammifères marins se pencher / guetter lambeaux / artefacts d’une vie marine terminée sur le rivage https://revue.moltogone.fr/2/doc/Cetace.jpg dents gonades estomac lard muscle foie rein rate cœur crâne épiderme fœtus ganglions glande mammaire intestin œsophage pancréas poumon sang Décomposition à recomposer entre fraîcheur très fraîche, putréfaction bien engagée et restes éparpillés Les dents de la mer s’attaquent aux gonades, il faut de l’estomac – le nôtre est plein de leur lard – avant de crocher dans leurs muscles, leur foie pressé si d’aventure une liqueur s’en exprimait, filtrée par leurs reins, la rate éclate coléreuse jusqu’au cœur – gonflé d’espoir de la concorde jamais advenue – et dans leur crâne nous plantons un pieu avant de déchirer l’épiderme – nos manteaux – sans pitié pour les Jonas-fœtus recroquevillés en ganglions, tétant les glandes mammaires preuves d’un continuum dans le vivant qui a en commun intestins, œsophage et pancréas, poumons crachant un sang noir de terreurs, geyser où se vautre l’infâme homme. C’est assez de ces cétacés qui échouent, s’échouent et sèchent où ? sur nos plages pelages larges Du mammifère sauvage on approche le plus souvent le mort
https://revue.moltogone.fr/2/doc/Descompositions1.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/Descompositions2.jpg https://revue.moltogone.fr/2/doc/Descompositions3.jpg
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TITRE Matters (extrait) AUTEUR Clémence Hallé & Duncan Evennou GENRE histoire / théâtre TYPE transposition
Berlin, dans le hall du théâtre de la Maison des cultures du monde, vendredi 14 octobre 2014 à 9 h 00. Un groupe de géologues s’est réuni pour la première fois sur la scène d’une institution de performances contemporaines, afin de traduire dans l’imaginaire public ses savoirs à propos d’une époque terrestre qui serait celle de l’‹ Anthropocène ›: le temps de l’humanité. Dans les abîmes du réseau, une historienne découvre les archives de cette conférence inaugurale intitulée ‹ Un théâtre des matières: les conséquences des impacts humains sur la Terre ›. Tandis qu’elle ne peut qu’imaginer les circonstances de ce qui s’est vraiment passé, elle tente de retranscrire les discours de scientifiques soudain montés sur scène, ou de politiques démunis face à ces temporalités géologiques aussi longues qu’incertaines, s’étonnant que les Occidentaux, qui semblaient en savoir tant sur qui leur arrivait, ne surent pas comment agir. L’acteur, lui, pour jouer leurs recherches afin de tenter de s’y rendre sensible, décide de réécrire leurs textes de façon phonétique. Car ce qu’ils décrivent n’est pourtant que la fin d’un monde. En entend-on émerger d’autres mondes, surgissant du brouhaha de savoirs brouillés par l’urgence d’agir?
CONVENTION DE RETRANSCRIPTION . Saccade … Hésitation brève et silencieuse Er Hésitation sonore plus ou moins importante à marquer avec la voix TT Tic de langage : claquement d’un ‹ t › sur le palais [tooo] Prolongation d’un mot : volonté de montrer une hésitation ou recherche du mot suivant. Retrouver la tonalité de l’erreur (.) Conclusion abrupte d’une phrase /> Montée de la voix \> Descente de la voix / Interruption brutale => Suspend dans la phrase [A-Z] Majuscule d’une lettre : accentuer la consonne ou la voyelle concernée TRADUCTION THÉÂTRALE … Marquer une pause ou bien s’éloigner du micro pour que l’on perde la voix (.) Attraper la fin de phrase avec la main (gasp) Grande respiration du ventre et cage thoracique [spike] Phrase chantée
CONFÉRENCE ‹ Human Impacts and Their Consequences. A forum on the occasion of the first meeting of the Anthropocene Working Group ›, Das Anthropozän-Projekt. Ein Bericht, Berlin, Maison des cultures du monde, 17 oct. 2014. https://revue.moltogone.fr/2/doc/matters_berlin.mp3
THÉÂTRE Evidence for a mid-twentieth century boundary for the start of the Anthropocene [Welt 2014(a), 1/3 - 40’18] Géologue So thank you Yann, and… and Ladies and Gentlemen. Er… TT First of all I want tooo Er… Start by acknowledging a number of coworkers from the Anthropocene working group. Er… We are currently working on a paper under the second part of this presentation (.) with some of these early results. Er… So I just want to acknowledge their falling off. ship \> . (.) TT But I’ll start Er by… reviewing a (gasp)… paper that… 25 members of the working group have signed up to… has been submitted to the Quaternary International Journal. Er… Just to… I/I/ just have three/… name--s… and/ Bullet points…\> First of all, we as a group had, recognized that the great acceleration of the mid-twentieth century has the most pronounced and globally synchronous Si/signal /> It was suggested that/… Er… a boundary at this time did not/> have a Global Stratigraphic Section and Point./> This is coming on GSSP or golden spike => which geologists… would. aimed place . as a. physical Er… position within sedimentary succession over an ice core => TT but we felt it was possible (.) that we can define it within a .Global .Standard .Stratigraphic Age or GSSA as a/a S/single point in time. \> And the final summary is that (.) the most appropriate level for this GSSA would be at a time of the world first nuclear bomb explosion on July the 16th 1945 at Alamogordo. New Mexico. \> This represents Er… clearly an important historical event. A/As one that represents a start of the nuclear age/>, it’s one that sees that transition from… global war/> through to. a/a phase of global growth… and technology and/and economies\> but does it represent a geological signature? […] So for conclusion… there is the option of just defining… a GSSA, a point of time and calling it 1945… that started with Alamogordo, the nuclear bomb test. We accept this is a very significant historical event that started a nuclear age. But as a geologist, if you want to… follow the roots of defining a golden spike in a sedimentary or a/an ice core succession… then perhaps the globally system signature of 1952 and the peak we see in 1963 is the most suitable signature. In fact, we would probably prefer to use the start 1952 as a definition =>. TT Plutonium 239 Is/is/is probably the most suitable reginaric marker, it’s rare in nature. It is a significant component to fall out, has a long half-life of twenty-four thousand years, it’s low solubility, and redly binds in particles, and is fixed in sedimentary successions. => TT And as far as potential GSSP locations, well/> we don’t have… undisturbed sedimentary successions in oxic, lake, marine sediments and because of that highest signature in northern hemisphere perhaps somewhere from between 30 to 60 degrees from North the equator. So thank you very much.
INTERPRÉTATION Duncan Evennou interprétant le Géologue lors d’une représentation de Matters aux Laboratoires d’Aubervilliers, 21 janvier 2019. https://revue.moltogone.fr/2/doc/Matters1.png https://revue.moltogone.fr/2/doc/Matters2.png https://revue.moltogone.fr/2/doc/Matters3.png
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TITRE Le temps d’un café (extrait) AUTEUR Léa Arson GENRE récit / théâtre TYPE transposition
Transcrire. La parole brute des témoins est économe, décousue, descriptive, elle s’attache aux détails pratiques: le nom des rues, le montant du loyer. J’aimerais du subjectif mais je n’y parviens pas tout à fait. Comment faire récit de cette matière brute? Écrire. Leur parole parcellaire, ma curiosité pour ces autres vies que la mienne. Leurs silences recèlent-ils des émotions qu’ils ne peuvent partager avec moi? Leur regard concret relève-t-il justement de leur subjectivité? J’ai pris cette liberté énorme de supposer des émotions et des sensations non exprimées. J’ai mis en récit. J’ai créé des histoires. Peut-être pour leur permettre de revisiter leurs souvenirs. Jouer et mettre en scène. Le théâtre s’éloigne encore des témoignages: dialogues, néologismes et mise au présent, procédés comiques ou tragiques, et réappropriation par les acteurs. Les lycéens prenant en charge le texte, incarnant les personnages, transformant à nouveau l’histoire selon leur perspective singulière. Témoin, dramaturge et acteur forment alors un trio précaire, souvent déséquilibré, réuni temporairement par la création au sein d’un collectif, qu’on pourrait appeler l’auteur. Le Temps d’un café est un projet de théâtre-témoignage entre des personnes âgées des quartiers parisiens de Belleville et de la Goutte-d’Or et des lycéens de La Courneuve. Avec la metteuse en scène Léa Arson et les comédiens de la compagnie Le Double des Clefs, les participants ont créé une pièce de théâtre, à partir de témoignages des retraités sur leur jeunesse d’immigrés dans le Paris des années 1970.
ATELIER TÉMOIGNAGE Nº1 SAID Bon. LÉA L’histoire. SAID Alors Château-Rouge. Enfin, précisément, le métro Château-Rouge, et la rue Ramey, qui doit pas être très loin, là, qui doit être dans le coin, là, la rue Ramey… Tiens, là, elle est là. La rue Ramey. Donc euh, voilà. Je descends, euh, à Château-Rouge. Et… Quand je suis à Château-Rouge, je monte la rue de Clignancourt, ou la rue Custine, pis je rencontre quelqu’un – c’était cousu de fil blanc, en fait, parce que je savais pas comment aborder cette personne – je lui dis ‹ Vous connaissez la rue Ramey? › Elle me regarde en riant parce qu’on était à côté. De la rue Ramey. Elle me dit ‹ Mais… Vous vous foutez de moi? › je lui dis ‹ Non, non, c’est… › et puis on a commencé à discuter et j’ai vécu sept ans avec cette personne. Hu hu hu. Voilà. Comment les choses se font. LÉA Waouh. SAID De fil en aiguille, j’ai passé sept ans avec cette personne— SOFIANE Et la rue Ramey— SAID Avec… Avec ‹ Vous connaissez la rue Ramey? › Euh… Et là elle habitait, euh, la rue Ramey aussi, plus loin, un peu plus loin, mais elle était pas très loin, elle habitait dans le coin. Voilà. Il était deux heures du matin. Euh… Là, elle remontait de chez ses parents. Et moi, ben je… je m’habillais et j’ai pris le métro jusqu’à Château-Rouge. SOFIANE À deux heures du matin il y avait encore des métros? SAID À deux heures du matin non, mais j’ai bourlingué! SOFIANE Ah! LÉA Ah! BADAUD Tu rigoles, deux heures… […] SAID Voilà. Et j’ai fait connaissance pour la première fois depuis que j’étais venu en France d’une personne qui était… Voilà, qui avait… Il était deux heures du matin, ’tention, y avait cinquante ans, donc, euh, plus ou moins une heure, ou plus ou moins une… Hein! Pas très précis. Ce qui est précis c’est la… comment je l’ai abordée. Et dans quelles circonstances, quoi. Voilà. Et ça c’était un beau souvenir. Après c’était différent parce que la vie est la vie mais… SOFIANE C’était en hiver, c’était en été? SAID Ah c’était… c’était… SOFIANE Il faisait bon? SAID C’était… C’était, c’était la moitié de l’année. Pisque… Mais c’était quand le… euh… quand le… premier… astronaute est descendu, la Lune, là? LÉA En soixante-neuf. SAID C’était quand, c’était en juillet soixante-neuf? C’était en juillet, je crois? SOFIANE Ouais. Donc il faisait bon— SAID Donc c’était quelques mois avant— SOFIANE Il faisait bon la nuit— SAID C’était quelques mois— SOFIANE à une heure du matin— SAID Non, non, mais, c’était quelques… On y avait été ensemble, mais l’événement a eu lieu peut-être— SOFIANE Mai, ou— SAID En mai. Peut-être mai, oui. Fin mai… Je ne sais pas, je… Précisément, je crois que je ne saurais pas te dire. SOFIANE Non parce que, à mon avis— SAID Je suis arrivé en novembre soixante-huit, octobre soixante-huit, donc je, je me suis mis au boulot tout de suite après— LÉA Vous a— vous avez pas perdu votre, pas perdu de temps pour rencontrer quelqu’un! SOFIANE Ha ha ha! SAID Ben non! Non, non, non, quelques mois, quelques mois, quelques mois, oui. Quelques mois. LÉA Et qu’est-ce qui s’est passé après— SAID Aaah— LÉA qu’elle vous ait donné le nom de la rue? SAID Non, non, après, on en a discuté, et pis après, on a… Voilà. Voilà, on a noué des relations, et qui ont duré sept ans. Voilà. LÉA Et c’était une jeune femme, aussi? SAID Ben c’était une jeune femme, elle avait mon âge, voilà. BADAUD Des jeunes femmes y en a partout, hein! SAID Exactement! LÉA Oui mais c’était pas une rencontre d’un soir, ça a été sa— SAID Ah non non non non non! C’était pas— LÉA sa compagne— SAID Ah non non non non— BADAUD Des jeunes femmes, maintenant, y en a partout. SAID Je ne suis pas un homme d’une rencontre d’un soir, moi! […] SAID Si je me souviens de? SOFIANE Ce qu’elle portait. Comme, comme vêtements, la première fois que vous l’avez rencontrée, vous vous souvenez pas? SAID Non, non, je me souviens qu’elle portait beaucoup des pantalons plutôt que… SOFIANE Que des jupes? SAID Voilà. Pantalons. Et c’est une personne qui n’est plus de ce monde. Voilà. LÉA Hum. Et à l’époque, porter des pantalons pour une femme c’était quand même euh— SAID Non, non, pourquoi? LÉA À l’époque ça se faisait beaucoup? SAID Ben non, ça… LÉA On était déjà après, après la révolution— SAID Non non, non non— SOFIANE Post-68 hein! SAID Hé c’est pas le Moyen Âge, hein, Léa! LÉA Oui mais vous savez moi je— SOFIANE Elle fumait ou pas? SAID Et même au Moyen Âge— si, elle fumait. LÉA Elle fume. SAID C’est p’t’être ça, le… SOFIANE C’était bien vu, à l’époque, qu’une femme fume, ou…? SAID Pfff, c’était anodin, c’était anodin! BADAUD Avant, les femmes elles fument pas, elles fument pas, mais maintenant ça commence dix douze ans, dix ans. […] SAID À Paris j’ai fait onze déménagements. Voilà. On m’a… Il fut un temps où on m’a appelé l’Homme à la valise noire. SOFIANE Ha ha ha. Pourquoi? SAID Parce que je déménageais, je n’avais qu’une valise, et j’allais d’un endroit à un autre avec une valise, euh, noire. Voilà. Quand on voyait la valise noire, ils me disaient ‹ Tiens. Un déménagement en vue. › J’avais que ça, voilà. BADAUD Onze déménagements? SAID Onze déménagements. C’est pas beaucoup. BADAUD Onze déménagements à Paris? SAID C’est pas beaucoup. […] Parce que selon les nécessités, parfois tu trouves quelqu’un, il te dépanne de deux mois, il te dépanne d’un mois, il te dépanne de trois mois, il te dépanne. Et pis quelquefois, tu changes de boulot, tu vas dans un boulot qui, tu veux te rapprocher de ton boulot, euh, etc., quoi. Pour X raisons tu es contraint de suivre. Voilà. Voilà.
RÉÉCRITURE En 1968, Boumédiène recrutait massivement parmi les jeunes Algériens pour le service militaire. Il fallait reconstituer une armée après l’Indépendance. On était mobilisé de force. Moi, ça ne me disait rien, l’armée. Et puis le vent de révolution qui soufflait à cette époque en France attirait le jeune étudiant que j’étais. J’ai mis toutes mes affaires dans ma grande valise noire et je suis parti sans plus attendre. Je suis arrivé à Paris en octobre ou novembre 1968. C’était déjà trop tard. Les CRS et l’État avaient repris le contrôle de la ville. La révolte s’était éteinte. Alors je me suis mis à chercher du travail, et j’ai rapidement trouvé un petit boulot dans une cantine. Finis les rêves de Grand Soir et de liberté : j’allais connaître le sort classique du blédard que personne n’attend nulle part. S’y résoudre. Il faudra bien s’y résoudre, comme les autres finalement. Les premiers mois, j’ai déménagé onze fois. Le nombre de portes qu’on m’a claquées au nez. Les copains me surnommaient l’Homme à la valise noire. Une nuit, après une soirée plutôt animée, j’ai pris la ligne 4 et je suis descendu à Château-Rouge. J’habitais depuis peu une petite chambre de bonne au sixième étage, dans la rue Ramey. Il faisait bon. Ce devait être à la fin du printemps, quelques mois avant qu’on marche sur la Lune. J’ai bourlingué assez longtemps à travers les rues étroites de la Goutte-d’Or et je me suis perdu dans les méandres de ce territoire encore inconnu. C’est là que j’ai rencontré cette personne. L’heure et l’enchaînement exact des événements se sont un peu érodés dans ma mémoire. Ce qui est resté précis, en revanche, c’est la manière dont je l’ai abordée : — Bonjour, euh, bonsoir plutôt, connaissez-vous la rue Ramey ? — Vous vous fichez de moi ? — Mais non, Monsieur, pas du tout. — Monsieur ? Je suis une femme. Vous vous croyez drôle ? — Quoi ? Mais que… non… Mais pas du tout, Madame ! Sauf votre respect, je… — Détendez-vous, Monsieur… Levez les yeux, vous voyez, c’est écrit : ‹ Rue Ramey ›. — Ah, merci… Je vous prie de m’excuser. Comme il fait sombre et que vous portez un pantalon, je vous ai prise pour un homme. C’était mal engagé. J’ai rigolé, un peu confus de mon étourderie et de mes manières extraterrestres. Et puis nous avons commencé à discuter. Elle avait mon âge, mais plus d’élégance et un bien meilleur sens de la repartie. C’était il y a cinquante ans. J’ai passé sept ans avec cette personne. Elle fut ma première expédition amoureuse, celle avec qui j’ai eu des liens, disons, durables. Je me souviens qu’elle portait beaucoup de pantalons, plutôt que des jupes. Puis notre relation a changé. Ce qui nous paraissait extraordinaire est finalement devenu familier, puis quotidien, puis ennuyeux. Peut-être parce que la vie est la vie.
ÉCRITURE THÉÂTRALE 5/ Au café (3) NARRATEUR. Ah ouais, pas évident ton arrivée à Paris. La galère ! ALI. Moi aussi c’était compliqué les débuts. J’ai déménagé six fois la première année. On me surnommait l’Homme à la valise noire. Finalement j’ai trouvé une petite chambre à la Goutte-d’Or. Au début je me repérais très mal dans le quartier. Une nuit, après une soirée plutôt animée, j’ai bourlingué assez longtemps dans les petites rues et je me suis perdu. Et c’est là que je l’ai rencontrée. L’heure et l’enchaînement exact des événements se sont un peu érodés dans ma mémoire. Ce qui est resté précis, en revanche, c’est la manière dont je l’ai abordée. 6/ Connaissez-vous la rue Ramey? ALI. Bonsoir. Connaissez-vous la rue Ramey ? L’INCONNUE. Vous vous fichez de moi ? ALI. Mais non, Monsieur, pas du tout. L’INCONNUE. Monsieur ? Je suis une femme. Vous vous croyez drôle ? ALI. Quoi ? Mais que… non… Mais pas du tout, Madame ! Sauf votre respect, je… L’INCONNUE. Détendez-vous, Monsieur… Levez les yeux, vous voyez, c’est écrit : ‹ Rue Ramey ›. ALI. Ah, merci… Je vous prie de m’excuser. Comme il fait sombre et que vous portez un pantalon, je vous ai prise pour un homme. L’INCONNUE. Et la coiffure ? ALI. Oh vous savez, ici un homme sur trois a des cheveux longs, et comme il fait sombre je… Désolé de vous avoir offensée. L’INCONNUE. C’est moi qui m’excuse. Dans l’obscurité, je ne vous ai pas vu arriver. Vous m’avez fait peur. Mais il n’y a pas de mal. ALI. Pas de mal, pas de faute alors. Vous êtes seule ? L’INCONNUE. Vous en posez de drôles de questions. Hé, une femme a le droit de se promener seule et en pantalon ! On n’est plus au Moyen Âge. ALI. Pardon, ce n’est pas ce que je voulais insinuer. C’est qu’à une heure pareille, on ne voit plus grand monde se promener dans ces coins de Paris. L’INCONNUE. Vous voulez dire, de jeunes femmes seules et sans défense dans des recoins lugubres ? ALI. Non, je veux dire loin des coins animés de Paris. L’INCONNUE. Vous m’avez l’air d’être un grand connaisseur de Paris, vous. ALI. Pas vraiment. En fait, je viens d’arriver. Je ne connais pas très bien les endroits, ni les gens… L’INCONNUE. C’était ironique. Je vous taquine ! ALI. Oh, je vois… J’ai encore du mal à saisir l’humour d’ici. L’INCONNUE. Ne vous inquiétez pas, ça viendra. Dans quelques mois, le sarcasme parisien n’aura plus de secrets pour vous… ALI. Si vous le dites… L’INCONNUE. Vous êtes d’où ? ALI. De là, j’ai un petit appartement au bout de la rue Ramey. L’INCONNUE. Je veux dire, vous êtes né où ? ALI. Pourquoi vous me demandez ça ? L’INCONNUE. Simple curiosité. ALI. C’est qu’en général, si on me pose cette question, ça n’annonce rien de bon. L’INCONNUE. Qu’est-ce que vous en savez ? C’est pas très malin d’avoir des préjugés. ALI. À qui le dites-vous ! L’INCONNUE. Vous ne répondez pas à ma question. Vous êtes né où ? ALI. Devinez. L’INCONNUE. Vu vos traits… et votre accent… je dirais… ALI. Ah vous voyez, vous avez des préjugés vous aussi. L’INCONNUE. Pardonnez-moi, je fais du mieux que je peux avec ce que j’ai… Et encore, avec cette rue mal éclairée, il est difficile de distinguer vos traits. ALI. Que diriez-vous de me répondre demain ? L’INCONNUE. En pleine lumière ? ALI. C’est l’idée, oui. L’INCONNUE. C’est vrai qu’il se fait tard. ALI. Et je dois me lever tôt. L’INCONNUE. J’ai cru comprendre que vous êtes du coin. Je pourrais vous répondre demain autour d’un café, au bar qui fait l’angle. ALI. Volontiers. L’INCONNUE. Bonne soirée alors, et à demain. ALI. On est déjà demain. L’INCONNUE. Ah oui… C’est pas faux. Dormez bien. 7/ Au café (4) NARRATEUR. Mais Ali, tu lui as même pas demandé son prénom ? T’es bête ou quoi ! ALI. Pfff j’ai eu tout le temps de l’apprendre, son prénom, puisque j’ai passé sept ans avec cette personne. C’est la première femme avec qui j’ai eu des liens… disons… durables. Elle m’a aidé à me sentir plus heureux et plus épanoui dans ce pays. NARRATEUR. En gros, ce n’était pas une rencontre d’un soir ? ALI. Ça va pas, non ? Je ne suis pas l’homme d’une rencontre d’un soir, moi ! C’est la 7chouma si je commençais à faire ça. Quelques mois après, on a emménagé tous les deux, toujours dans le quartier de la Goutte-d’Or. J’ai pu ouvrir mes valises pour de bon !
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TITRE Une tentative de compte rendu AUTEUR Emmanuelle Gallienne GENRE essai / création littéraire TYPE copie
‹ La différence décisive qui réside entre la méthode littéraire et la technique photographique, laquelle est aussi avide d’expérience qu’elle la redoute, réside dans le fait que la description véhicule le souvenir tandis que la photographie véhicule l’oubli. Les photos que l’on fait sont des mémentos d’un monde en destruction et en disparition, les images peintes et décrites en revanche ont une vie ouverte sur le futur et s’entendent comme les documents d’une conscience pour laquelle il est important que la vie continue. › W. G. Sebald, dans un entretien. Emmanuelle Gallienne, membre depuis 2001 de la revue Vacarme, où elle publie articles, chroniques et fictions, a fondé et anime l’association Kolone, qui accueille les étrangers par l’apprentissage de la langue française depuis 2011. Avec le projet Métamorphoses, un travail particulièrement fécond a été accompli autour de la retranscription, de la traduction, de la voix et des traces écrites, qui a donné lieu à une exposition en 2015: ‹ Avec quel caractère écrivez-vous? ›. Les archives de ce projet sont disponibles en ligne: https://kolonelecinq.tumblr.com
À l’origine, une surimpression d’étés : août 2019 circulant en train au milieu de l’Europe, et relisant Les Immigrants de W. G. Sebald, stupéfiant document imaginaire, qui recompose des vies disparues à partir de traces, de notes, de photos, de propos rapportés et de souvenirs fragmentaires de témoins eux-mêmes rencontrés au cours de déplacements et au hasard de voyages (ouvrage qui sera l’orchestrateur absent de cette ‹ tentative ›) ; un été 2019 où réfléchissant à la retranscription en littérature a surgi le livre d’un autre été, qui quinze ans plus tôt m’avait laissé une impression absolue, un livre phare, Louons maintenant les grands hommes de James Agee et Walker Evans, un profond manifeste en acte sur la saisie du réel par les outils d’enregistrement humains, ici l’écriture et la photographie, entreprise elle-même née au cœur d’un été bien plus ancien, août et juillet 1936, de l’autre côté de l’Atlantique, sur ce continent jusqu’où sont allés les Immigrants de Sebald, terra incognita pour moi, dans les profondeurs duquel encore une trentaine d’années plus tôt, un photographe du Wisconsin, Edward W. Curtis, décida de s’enfoncer, en quête de ses premiers habitants, Les Indiens d’Amérique du Nord qui eux aussi, comme les personnages de Sebald, s’apprêtent alors à entrer dans les ténèbres de leur disparition, et dont il veut fixer les dernières images et plus encore. De ces documents dont je suis par hasard l’une des réceptrices, j’ai choisi de mettre deux ici en relation, au moyen de l’écriture, et essentiellement de la copie : Louons maintenant les grands hommes et The North American Indian, texte et photos, photos et texte, une œuvre littéraire et une œuvre photographique, chaque auteur pourtant affirmant tenir autant de ces deux modes de retranscription du réel, texte et image, sans que l’un soit au service de l’autre, indiquant par là à quel point c’est l’acte d’enregistrer puis transcrire, quel qu’en soit l’outil, qui est leur grande affaire, produisant des œuvres démesurées, explosant tous les cadres. Moi qui m’en trouve destinataire, je fais le choix de les copier et de les commenter, usant de l’écriture seule comme retranscription de mon expérience. On trouvera donc ici, alternant avec leur commentaire, des fragments du livre de James Agee, et des propos ou légendes de photographies d’Edward W. Curtis, qu’on lira sans craindre d’être perdu, laissant se lever les libres associations, ainsi qu’on marche dans les rêves.
Je recopie et reproduis ici des fragments de deux livres, dont les auteurs se sont donné pour tâche incommensurable, au début du xxe siècle, d’enregistrer et de rendre compte, au moyen de l’écriture et de la photographie, de vies humaines dépossédées de leurs terres, ou exploitées par ceux qui s’en croient les propriétaires, et muettes.
Je repose où je reposais à cette aube.
Que si je n’étais pas ici; et je suis étranger; un œil sans corps; ceci n’aurait jamais eu d’existence en perception humaine.
The North American Indian, being a series of volumes picturing and describing the Indians of the United States and of Alaska; written, illustrated, and published by Edward S. Curtis; edited by Frederick Webb Hodge; foreword by Theodore Roosevelt; field research conducted under the patronage of J. Pierpont Morgan; in twenty volumes (1907-1930)
Chacun des vingt volumes contient 75 planches de photographies, plus quelques schémas et cartes, de 14 x 19 cm, chacun est imprimé sur papier vélin japonais et papier hollandais van Gelder, relié en cuir doré sur tranche. De l’encyclopédie, 500 exemplaires numérotés étaient prévus, 272 ont été vendus, au prix de trois mille dollars, on ignore combien ont été tirés.
Ce groupe particulièrement frappant de guerriers de l’ancien temps évoque si bien les impressions de chasse et du sentier de la guerre des jours lointains que cette photographie paraît refléter d’une manière presque magique ‹ l’esprit du passé ›.
J’aidai à sortir la caméra et nous nous sommes tenus à distance et je m’absorbai dans ce qui allait être pris au piège, possédé, fertilisé, il y a dans tout amour d’un objet cette phase de la timidité et de la saisie à loisir.
Louons maintenant les grands hommes, Alabama: Trois familles de métayers en 1936, par James Agee et Walker Evans, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Queval, avec 62 photographies hors texte, Plon, 1972, 2002, collection Terre humaine.
Au cours de juillet et d’août 1936, Walker Evans et moi parcourions en son milieu le sud de la nation, occupés d’un travail qui dès le début m’a paru assez curieux. Notre affaire était de préparer, pour un périodique de New York, un article sur les métairies de coton aux États-Unis. Il s’agirait d’un compte rendu photographique et verbal des conditions de vie faites, dans le milieu des métayers blancs, à une famille représentative.
Les deux jeunes hommes passent quelques semaines de l’été avec trois familles de métayers du Hale County, Alabama. L’article ne sortira jamais dans Fortune, le manuscrit sera refusé par Harper & Brothers en 1938, finalement édité par Houghton Mifflin en 1941, sous le titre Let Us Now Praise Famous Men, 1 025 ventes. Le livre disparaît. Épuisé depuis 1948, présent dans de rares bibliothèques, la rumeur fait de lui une légende : brillant, rédempteur, totalement inaccessible. Il est réédité en 1960.
Je m’efforcerai ici de strictement ne rien écrire qui ne soit pas survenu ou apparu en réalité physique ou en esprit; et mon plus sérieux effort sera de faire en sorte que ces ‹ matériaux › ne servent pas l’art, moins encore le journalisme, mais de les restituer tels qu’ils furent et tels que dans ma mémoire et dans le grand cas que je fais d’eux ils demeurent.
Je pris une résolution, à savoir que les illustrations devaient être réalisées selon les meilleures méthodes du moment, de telle sorte que l’on puisse presque voir les pores de la peau des Indiens dans mes portraits.
À ceux dont l’existence est rapportée.
En gratitude et profonde affection
Les familles comprenaient ce qu’il était venu faire là. Il l’avait expliqué, de telle façon qu’en retour elles prenaient intérêt à son travail.
C’est en les fréquentant lors de longs séjours, d’abord dans la Prairie puis à travers toutes les régions des États-Unis, au cours de voyages éprouvants, l’entraînant sans cesse loin de chez lui, lui faisant perdre le cours ordinaire de la vie, faisant de lui un absent, engloutissant son argent, le menant au divorce, que Curtis découvre le quotidien, les coutumes, les langues et la spiritualité des Indiens, à une époque où, décimés et vaincus, ils vivent sur des territoires réduits où they still maintained some vestiges of their traditional lifestyles. Peu à peu vient à Curtis le désir d’enregistrer, par tous les moyens dont il dispose, ‹ l’histoire intégrale › de toutes les tribus, de documenter :
la langue l’organisation sociale et politique les coutumes religieuses les conditions de l’habitat la nourriture le milieu géographique les jeux la musique les danses les vêtements les poids et les mesures la naissance le mariage la mort
Et par-dessus tout :
les récits mythologiques les légendes la transmission orale des vies des grands chefs, des sorciers, des événements du passé
Une tribu à laquelle j’ai rendu visite et que j’ai étudiée fait savoir à une autre tribu qu’après la disparition de la génération actuelle, les gens apprendront grâce à mes recherches comment les Indiens ont vécu. La seconde tribu ne veut pas être ignorée.
Ce que personne n’avait jamais songé à faire, et qui devait prendre cinq années de travail, en prit trente – une vie entière.
Ils savent instinctivement si on les aime ou si on les traite d’une manière ou d’une autre uniquement comme des protecteurs. Ils savaient que je les aimais et que je voulais faire quelque chose pour eux.
Les livres de Curtis contiennent de nombreuses informations qui n’ont été communiquées nulle part ailleurs.
Elle n’a pas de chapeau, ni de bas, ni de chaussures. La robe qu’elle porte, elle l’a faite dans un mince coton de taie d’oreiller. Cette robe n’a pas de col, elle est largement échancrée pour que Mrs Ricketts puisse allaiter, elle n’a pas de manches et tombe un peu au-dessous des genoux. Elle est maintenue par une étroite ceinture luisante en cuir écarlate et craquelé. À toutes les extrémités, le tissu est élimé, et il y a dans le dos une longue déchirure, et une petite déchirure sur le devant, qui laisse voir le genou droit. L’ensemble rappelle, par son dessin, une chemise de nuit des plus ordinaires. L’étoffe est tout entière imprégnée de transpiration et de saleté.
Entre 1910 et 1914, Curtis tourne un film de cinéma, Au pays des chasseurs de têtes, pour lequel il fabrique des statues, dont certaines se retrouveront dans ses photographies. Pour ce genre de choses, et parce qu’il n’a pas fait d’études, que ses portraits sont trop ‹ artistiques ›, les ethnologues ne le prennent pas au sérieux. Lui considère son travail comme celui d’un artiste et d’un scientifique.
De sorte que si, comme le naturaliste, vous faites grand cas du ‹ ‹ réel ›, mais sur un plan qui à vos yeux lui confère une vertu au moins égale à celle de la musique et de la poésie, qu’elles-mêmes vous estimez aussi haut que toutes choses sur terre, il est important que dans votre représentation de la ‹ réalité › cette vertu ne dégénère pas jusqu’au naturalisme ou se confonde avec lui; car pour autant qu’il en est ainsi, vous avez péché, c’est-à-dire êtes restés en deçà de la vérité, si relative qu’elle fût, dont vous aviez eu la perception et l’intention.
La technique extrêmement perfectionnée à cette époque de la photogravure permettait que chaque épreuve soit retouchée par des imprimeurs hautement qualifiés ; en plus d’accentuer les nuages, de travailler les lumières et d’estomper les flous, on pouvait supprimer des objets modernes indésirables sur l’image. Les procédés et les matériaux d’impression voulus par Curtis coûtent une fortune.
Les modes d’expression de ce texte sont principalement ceux de la musique et du cinéma, ou bien se comprennent comme des improvisations et enregistrements, d’un état affectif, ou d’une croyance.
Quand il n’est pas chez les Indiens, Curtis passe son temps à chercher l’argent que son projet avale année après année.
Que ceci soit un livre, il n’y a là qu’une nécessité. Notre vrai dessein est plus sérieux. Il s’agit de saisir une actualité humaine, dans laquelle le lecteur n’est pas concerné moins centralement que les auteurs et ceux de qui ils parlent.
Curtis est le premier à filmer la danse des serpents des Indiens hopis, dans laquelle tous les deux ans se font face la confrérie des Serpents et celle des Antilopes. Des affiches publicitaires de l’Atchison, Topeka & Santa Fe Railway invitent les voyageurs blancs à assister à ce good show jusqu’en 1911, année où les Hopis interdisent tout spectateur. Curtis ne se contente pas de filmer le rituel : il est invité à y participer, jeûnant plusieurs jours et dansant avec un crotale vivant entre les dents.
et que je voulais qu’elle sache combien je les aimais, moi aussi, et ainsi qu’elle-même, et qu’assurément je me sentais des leurs, et désirais l’être, plutôt que de n’importe quel autre groupe de gens à travers le monde, et que s’ils avaient ces sentiments à mon égard, et que ma place était avec eux, et que nous sentions tous bien et à l’aise ensemble et affectueux, alors il n’y avait rien au monde qui puisse me rendre plus heureux, ou que je sois plus heureux de savoir (et de cela aussi, il en est ainsi); et que je savais que je pouvais dire tout à fait la même chose pour Walker (et ceci, aussi, je savais qu’en le disant je disais vrai).
Avec un appareil enregistreur à cylindres de cire d’Edison, Curtis enregistre plus de dix mille chants et musiques, qui sont retranscrits ensuite en partitions. Il relève des expressions et des mots de soixante-quinze langues, dont les alphabets retranscrits phonétiquement figurent au début de chaque volume. Il travaille avec une équipe de dix-sept personnes.
De fait, il s’est agi qu’émerge dans son ampleur quelque chose d’une existence non imaginée, et ainsi de mettre en place des techniques qui permettent d’enregistrer, de faire connaître mieux, d’analyser ces modes de vie et de les défendre. D’une façon plus essentielle, il s’agit d’une libre enquête sur les mauvaises passes qui affectent normalement la part du divin chez l’homme.
Les instruments premiers se comptent deux: la caméra ordinaire, le mot imprimé. Un troisième instrument – dans lequel on doit aussi voir l’un des centres du sujet – commande: la conscience humaine, individuelle et antiautoritaire.
L’intention est que finalement compte rendu et analyse épuisent le sujet sans qu’aucun détail, si trivial qu’il puisse paraître, en demeure omis. Qu’en pertinence rien ne soit tenu à l’écart de ce que le souvenir est à même de préserver, l’intelligence de percevoir, l’esprit de maintenir.
Curtis a vingt et un ans lors de la bataille de Wounded Knee (1890) dont, cinquante ans plus tard, il prendra note de la bouche des derniers témoins et guerriers survivants : rien moins qu’un massacre. Il a pour assistant dans les enregistrements William E. Myers, un sténographe phonéticien.
Myers était assis à ma gauche, et l’interprète à ma droite. Je commençais à poser les questions et Myers et l’interprète me soufflaient lorsque j’avais oublié quelque chose d’important. ... Comme toutes les informations étaient sténographiées, nous accélérions le travail au maximum de ce qui était faisable. ... Avant d’aller se coucher, Myers tapait à la machine tout ce que nous avions enregistré dans la journée.
De quelle manière avons-nous été pris au piège? et où, notre erreur? quoi, où, comment, quand, de quelle manière toutes ces choses auraient-elles pu être différentes? Si seulement nous avions pu savoir. ...
Dans les années que nous avons vécues près de la rivière nous avions tout le poisson que nous voulions, et du lait crémeux, assez pour en vendre, et nous achetâmes deux mules ...
Je me dis que dans toute l’Amérique on est encore ce qu’il y a de plus minable.
Beaucoup de Yakima âgés ou d’âge moyen, particulièrement ceux qui appartiennent à l’ancienne classe dirigeante, éprouvent la même aversion et la même suspicion envers l’homme blanc que celles qui animaient leurs pères lors du soulèvement de 1855. Le visage de cet homme exprime une profonde antipathie tribale envers la race blanche, coupable d’agressions et de cupidité.
Ce serait notre affaire, de les montrer transpercés comme par des javelots tombés des étoiles, et de montrer chacun criblé de ces javelots: mais c’est au-delà de mes capacités humaines de le faire. Le plus que je puisse faire – le plus que je puisse essayer de faire – c’est de rendre certaines propriétés observables, physiques, aussi claires et vivaces que possible, et de former quelques paris, quelques conjectures; et de vous laisser le fardeau de mettre au jour pour chacun d’eux ce que j’ai essayé de clarifier pour eux tous dans leur ensemble: comment chacun est lui-même, et construit ses formes.
Louons maintenant les grands hommes est tout le temps avec moi lors d’un long été à la campagne du début des années 2000. C’est un gros volume que je déplace de la chambre au jardin, il est surtout au jardin, dans l’herbe, sur un muret, sur une chaise longue. Les enfants sont tout petits, on regarde souvent les photos ensemble, six d’entre elles ont été griffonnées avec un feutre vert clair, on reconnaît les premiers tracés d’une main avant la possibilité du dessin – deux ans, peut-être ? Il est possible alors qu’un seul des enfants soit né cet été-là, possible que je fusse enceinte. La sensation à jamais restée est celle du bois dans toutes ses nuances, lumières, textures, températures et odeurs, des planches des maisons des trois familles de l’Alabama, puis le dénuement et la ferveur, les corps dans leur sommeil, leur saleté et leur fragilité, les tissus qui les habillent cousus et recousus, l’architecture magistrale du livre, sa démesure splendide, son amour. Qu’est-ce que c’est que ce livre ? Monsieur Agee, vous êtes fou, personne ne montre la voie unique et impossible de l’écriture comme vous. On pourrait recopier Agee pendant des heures, comme si la main vous aidait à suivre le cours spirituel et sensuel de ses phrases, comme si on cueillait et enfouissait le nez dans un bouquet d’odeurs, paupières fermées, ébloui par la lumière de l’été. Certaines phrases se poursuivent sur trois pages.
Le texte fut écrit dans la pensée d’une lecture à haute voix. Voilà qui ne peut pas être recommandé; mais il est fait cette suggestion, que le lecteur accorde son oreille à ce qui pour lui décolle de la page: car sans ce que l’oreille percevra – des variations de tonalité et de rythme, ou dans la coupe ou dans le souffle de l’élan – une bonne part de la signification lui échappera.
On tombe à genoux devant la qualité de la traduction en français, l’œuvre de qui ? Jean Queval, écrivain, journaliste, traducteur, critique de cinéma et l’un des membres fondateurs de l’Oulipo, 1913-1990. Dans la longue liste de ses traductions de l’anglais on trouve Louons maintenant les grands hommes, de James Agee, collection Terre humaine, 1972, rien de plus, on voudrait voir des prix, des hommages, on se demande combien de mois ou d’années de travail, on essaie d’imaginer comment c’était, vivre au quotidien dans le texte d’Agee, on se dit que certains des plus magistraux travaux littéraires demeurent obscurs.
La plus grande partie de la terre qui s’étend autour de nous a été prise en charge par des êtres humains, qui s’abusaient, et peut-être s’abuseront toujours, à s’en croire les propriétaires.
The North American Indian a eu une très faible diffusion, cette somme de documentation n’a pas atteint les hommes blancs auprès desquels Curtis voulait rendre compte des premiers habitants du territoire dont ils avaient presque fait table rase. Le voulait-il ? Pourquoi a-t-il souhaité que sa folle retranscription d’un monde qui disparaissait se fasse sur les supports les plus sophistiqués, les plus magnifiques, au prix de la technique la plus coûteuse ? Vertige d’un artisan obsessionnel ? Hommage à ces hommes qu’il aimait, dans lesquels la plupart de ses contemporains ne voyaient que des misérables, sales et paresseux, au mieux des êtres déchus ? de telle sorte que l’on puisse presque voir les pores de la peau des Indiens dans mes portraits. On dit qu’aussitôt son travail achevé il a fait a nervous and physical breakdown, qu’il a vécu les vingt dernières années de sa vie pauvre et inconnu, se consacrant à l’écriture d’un livre qui n’est jamais paru, au titre étrange : Le Leurre de l’or.
Qui êtes-vous qui lirez ces mots et étudierez ces photographies, et par quelle médiation quel hasard à quelle fin, et à cela quelle qualité avez-vous, et que ferez-vous de cette lecture; et la question, Pourquoi nous faisons ce livre, et le répandons, et de quel droit et dans quel but, et à quelle fin heureuse, ou à aucune fin.
On dit que c’est d’avoir assisté à la Sun Dance Ceremony des Blackfeet, dans le Montana, en 1900, à l’invitation d’un autre Blanc vivant en grande proximité avec cette tribu depuis vingt ans, qui fit basculer la vie de Curtis. Quelques semaines après son retour, il part pour son premier voyage, en Arizona, chez les Navajos, les Apaches, les Hopis.
Si je m’étais clairement exprimé, vous vous rendriez maintenant compte qu’à travers cette vision non ‹ artistique ›, dans cet effort pour suspendre ou détruire l’imagination, s’ouvre devant l’état de conscience et en lui un univers lumineux, spacieux, riche incalculablement et dans tout détail magnifique, aussi détendu et ouvert et naturel au nageur humain, et aussi tout imprégné de gloire, que sa respiration: et qu’il est possible de capter et restituer cet univers, non pas assurément aussi bien que l’art, mais en termes aussi transparents que ci-après je m’y efforce.
C’est bien plus tard dans le siècle, et de façon posthume pour leurs auteurs – à l’exception de Walker Evans – que leurs ouvrages nous rencontrent enfin, deviennent des références, se révèlent inépuisables.
Ne vous y trompez pas, pourtant: je n’ai aucunement l’illusion de parvenir à traiter ce fragment d’expérience jusqu’à en tirer le dernier mot, la dernière goutte. Ni, de fait, n’ai-je l’intention de l’essorer.
Dissemblables dans leur entreprise : la durée de la saisie – quelques semaines, trente ans – ; les méthodes et intentions de l’enregistrement et de la restitution, malgré les outils communs de la photographie et de l’écriture – Curtis se réclame de l’art et de la science, est encore empreint d’un enthousiasme d’explorateur, quand la démarche d’Agee est résolument anti-artistic, anti-scientific, et sans cesse critique d’elle-même ; Evans photographie frontalement le présent le plus nu quand Curtis choisit de faire poser le passé, ou ce qui est en train de le devenir.
Semblables dans le fait d’avoir documenté dans ses moindres détails la vie quotidienne de groupes humains sans avoir en rien fait de l’ethnologie, d’avoir saisi le réel avec ferveur, l’élevant à la poésie sans l’enchanter ni le dénaturer, d’avoir frayé avec amour avec des personnes absolument pas fréquentables, déshéritées de cette société et de ce pays qu’ils habitent pourtant en commun. De semer le trouble chez nous qui recevons ceci :
une médiation, une tentative de compte rendu, celui de vos vies humaines, de leur étrangeté, et de leur chaleur néanmoins, chacune rapportée à son monde propre.
Le présent du texte d’Agee, comme celui des photographies d’Evans, est inaltérable. Mrs Ricketts continue de triturer avec honte devant l’objectif les plis de sa pauvre jupe, les maisons de planches continuent de se tenir sous le soleil dru des champs de coton, les familles reposent sur le porche, mangent, travaillent, transpirent, dorment, avec leurs pauvres objets. Au contraire les yeux des portraits de Curtis nous fixent depuis un monde révolu ou sur le point de l’être, un monde dont ils attestent la grandeur passée, posant dans leurs plus beaux atours, accomplissant des gestes rituels ou quotidiens qui bientôt ne seront plus, ou rejouant des situations du passé. Et lorsque nous les découvrons nous n’en croyons pas nos yeux, car nous pensions que ces parures et ces menues occupations, ces tipis, ces chevauchées, ces pirogues, ces danses et ces fiançailles ne nous étaient accessibles que médiés par le cinéma, quelques récits et gravures dans des livres, des objets dans des musées, c’est-à-dire par la fiction ou par l’ethnographie. Nous tournons des dizaines de pages en écarquillant les yeux comme si devant l’objectif se tenaient des soldats de l’armée d’Agamemnon. Nous comprenons alors pourquoi Curtis désira que l’on puisse presque voir les pores de la peau des Indiens. Grâce lui soit rendue d’avoir procédé aux derniers enregistrements de ce monde sans ruines.
Et, passionnant et important, le fait central, autour duquel se ramifient mille autres qui sans cela n’auraient pas d’existence claire et valide; qui est: il en fut ainsi. Que pourrait-il y avoir de plus émouvant, de plus signifiant ou vrai: toute force et tout hasard caché dans l’univers, ainsi combinés, que d’une certaine chose il en fut ainsi.
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TITRE Cahier des charges AUTRICE Laura Boullic GENRE recherche TYPE restitution
Poète, j’ai essentiellement mené mes travaux de façon confidentielle jusqu’à maintenant, prenant soin d’abord de déconstruire la langue par l’exploration poétique à l’écrit – ou plutôt ce qu’il y a d’oralité dans l’écrit, ce qu’il y a d’écrit dans l’oralité – pour ensuite me pencher sur l’organisation de la parole, notamment en m’investissant beaucoup au DOC! (Paris 19e), où j’ai aussi bien tenu des soirées de discussions co-organisées avec d’autres poétesses*, que participé à la vie interne de ce lieu autogéré, construisant son histoire et son identité au cours d’assemblées générales mensuelles. Le travail bénévole a cependant eu un peu raison de mon année 2018-2019. J’ai aujourd’hui un job alimentaire à plein temps qui me laisse juste un peu de temps pour prendre des cours de chant et répéter avec Pays P., un projet de rock développé depuis 2016 avec Lucas Valero à la guitare et Pablo Valero à la batterie. * Poésie civile, plus d’infos sur: https://poesiecivile.wordpress.com
Je me suis intéressée au travail de retranscription quand j’ai eu l’impression de ne pas me faire comprendre, et peut-être de ne pas bien comprendre mes contemporain·e·s, l’impression d’un vaste problème de communication entre les personnes nourrissant un même territoire. J’ai eu envie de m’enregistrer et d’enregistrer les autres pour évaluer les échelles de discours, et pour étudier de près la langue et ses équivoques. J’avais envie de prêter attention à chaque mot prononcé par les personnes que je retranscrivais, sans réécriture, sans stigmatiser les ‹ fautes ›, en travaillant la matière brute. Je crois fort dans le fait qu’on doit absolument mener cet effort vers la compréhension de l’autre, s’éduquer aux expressions qui semblent laborieuses, ou maladroites, ou qui nous effraient car tellement différentes, si on veut parvenir à une forme de confiance, de tolérance et de bienveillance dans la vie de tous les jours. J’aime chercher des solutions vers une écriture inclusive, pour l’ouverture de la langue que cela procure, en me disant que chacun·e fera comme iel le sentira finalement. C’est une recherche particulièrement fluctuante, on le voit aux notices qui précèdent beaucoup d’ouvrages, de fanzines, de textes sur Internet. C’est dans l’une d’elles que je suis tombée sur le ‹ x ›, qui symbolise le genre neutre et que j’ai eu besoin d’inclure. À partir de l’écriture du XVIIIe et du XVIIIe siècles, où je me suis rendu compte que la ponctuation et l’orthographe faisaient sens d’une façon plus libre et plus posée, j’ai commencé à utiliser des lettres et des accents peu courants, comme dans ‹ le / la / læ › (je n’invente pas celui-là, je l’ai vu ailleurs) ou dans ‹ iellx sont arrivéëes ›. Je pense qu’elle y a des milliers de choses à trouver encore, du moment qu’on ne se vexe pas quand on lit ce genre de propositions linguistiques ! La Plaine est une place marseillaise connue pour sa convivialité, sa vie de rue et son marché. La ville a décidé de ‹ renouveler › la place selon les attentes d’une classe sociale aux revenus supérieurs, qui ne représente pas encore le cœur des habitantx de ce quartier, et sans consulter ou se soucier suffisamment des habitantx actuellx. L’année dernière, une entreprise mandatée par la mairie a entamé les travaux du jour au lendemain. Les habitantx se sont mobiliséëes avec beaucoup de force et de conviction. Pour seule réponse, la mairie a décidé de murer la place le temps des travaux (trois ou quatre ans) et de la faire garder par des vigiles particulièrement violents*. NOTES * https://mars-infos.org/menaces-de-viol-tabassages-3685 * https://mars-infos.org/la-plaine-un-an-apres-on-n-oublie-4348
https://revue.moltogone.fr/2/doc/CahierDesCharges1.pdf https://revue.moltogone.fr/2/doc/CahierDesCharges2.pdf
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TITRE Escales AUTEUR Auréliane Gillet GENRE photographie / écriture TYPE transposition
J’ai depuis quatre ans un petit Canon noir avec un zoom, un flash et quelques réglages prédéfinis. Cet appareil argentique, avec sa technique limitée et son format passe-partout, m’a forcée à redéfinir ma démarche photographique, construite jusqu’alors avec un reflex numérique Nikon. J’ai commencé à photographier avec la seule intention de capturer une forme, une lumière, une intensité. Ni ligne journalistique, ni volonté de partage: je ne chasse que la justesse de l’instant, je travaille ma spontanéité de photographe. L’écriture a souvent été pour moi une excuse pour m’inventer des vies. Je m’en sers comme exutoire pour transformer le réel, adopter de nouvelles perspectives ou simplement délier quelques nœuds cérébraux. Elle est aussi une façon de garder la mémoire du monde qui défile sous nos yeux. En écrivant par-dessus ces images, je me suis amusée à déplier, exacerber, voire imaginer le moment de la photographie. J’ai choisi d’écrire librement, de la même manière qu’en photographiant. Regarder mes photos et me laisser porter, c’était selon moi la meilleure façon de transmettre l’éphémère et la singularité de ces instants, qui ne sont que des fractions de seconde au sein du réel. Les différents styles, perspectives narratives, jeux sur la typographie, ne sont que le fruit de ce laisser-aller.
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Rochers. Son des vagues qui s’esclaffent sur les rochers. Ciel incandescent du soleil qui vient de se coucher. Lampadaires blafards. Il fait moins noir qu’on ne le pense. jojo putain on a l’air con là tous debout alignés comme des suricates auré c’est toi le suricate mec jerem moi les gens qui boivent… théo c’est pour pas en perdre une miette jerem du pastis ? théo du soleil {…} jojo ah ça c’est un bel anniversaire, ça mon pote, du henry bardouin dès quatorze heures, des pétards, un coucher de soleil, c’est parfait ça théo et patti mec, patti auré mais quelle chance jojo auré faut que tu chopes des places j’te dis moi j’ai appelé le théâtre auré ouais mais soixante balles ça fait chier théo les gars je suis éclaté jerem oui un samedi soir comme un autre quoi théo oui enfin il est dix-huit heures jojo ouais mais un coucher de soleil en février quand même la chance théo c’est grand jerem les gars le soleil il se couche tous les soirs hein c’est pas non plus un événement auré la conversation de bourrés la vache jerem ça n’a pas de sens {…} jojo bon on voit plus rien on s’arrache ? théo tu rigoles mec t’as vu le ciel jojo mais on n’a plus rien à boire théo ouais allez ok on se casse auré ben on reste un peu ? ben oui on peut jojo les voyous auré eh vous trouvez pas que la lumière là on dirait le soleil ? {…}
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et puis en reposant le regard à l’intérieur il y a cette lumière blafarde qui fuse jusque dans le fond de la profondeur, elle explose tellement aux yeux qu’on croirait qu’elle donne sa vitesse au train, qu’elle en est la veine jaune, la veine acide, qui charrie son liquide vital jusque dans la locomotive, le cerveau du mouvement, tout ça est si bien ordonné, mais quand même ce rideau rouge à côté c’est audacieux, normalement ils sont vert d’eau, changement de style, autre époque, erreur de casting, on ne saura jamais, une chose est sûre ça ferait une belle image, les lignes de fuite sont en place ; et la question de la place de la fuite dans ce train qui trace jusque dans la Drôme, je me la pose, se rapprocher de là pour éviter d’être ici, ouvrir encore une nouvelle fenêtre au lieu de mieux être au monde qui existe déjà, partir toujours sans jamais habiter vraiment, la vitesse et son mouvement plutôt que l’ancrage et son immobilisme, le vent contre les racines, bouger versus rester, merde, qu’est-ce qu’on fout tous dans ce train, et alors quoi est-ce qu’au final la vie c’est pas juste aller traîner dans les champs de patates douces avec son amoureux ? Et pourtant
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NOTRE-DAME-DE-LA-PLAINE Vendredi 26 octobre 2019 Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance. Peu avant 19 heures, une trentaine de personnes s’attroupent place Jean Jaurès. Des chaises et des bancs de fortune sont rassemblés en arc de cercle sur le terrain vague au centre de la place. On s’assied, on s’organise, on distribue des bières : c’est l’heure de l’assemblée. Depuis dix jours, la place Jean Jaurès, qui porte fièrement le surnom de ‹ La Plaine ›, est le théâtre brûlant d’une lutte qui a pris racine dans ce quartier du centre de Marseille il y a trois ans : celle de la rénovation urbaine et de ses enjeux. 13 millions d’euros de gentrification… En 2015, la majorité municipale de la ville (LR) annonce qu’elle a de grandes ambitions pour La Plaine : deux ans et demi de travaux, un budget de 13 millions d’euros, pour donner à la place une nouvelle envergure. Le projet, porté par la Soleam (Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine), a tout de suite suscité une levée de boucliers de la part des associations, collectifs et personnalités publiques du quartier. Quand les uns prônaient l’aménagement du territoire marseillais et la montée en gamme du quartier, les autres criaient à la gentrification et à la mort de l’identité populaire du centre-ville. ‹ La Plaine, c’est un quartier qui accueille, les gens qui viennent faire la fête comme les gens pauvres qui viennent pour le marché populaire. Le projet de la mairie, c’est d’en faire un quartier résidentiel avec des gens qui ont des moyens ›, a déclaré une habitante interrogée sur place. L’Assemblée de la Plaine, collectif emblématique du mouvement, a longtemps réclamé la mise en place d’une concertation autour du projet de rénovation. … contre une ville vivante et populaire Les travaux, qui devaient commencer début octobre, ont été d’emblée freinés par les habitants du quartier, qui ont stoppé l’installation des barrières du chantier et sont montés dans les arbres de la place pour empêcher les bûcherons de les couper. Les chefs de chantier de la Soleam se sont alors accompagnés d’une marée de camions de CRS pour mener à bien le début des travaux. Ont suivi dix jours d’intense présence policière, où parfois une centaine de casqués ont encerclé la place, cristallisant trois années de tensions entre les représentants des pouvoirs publics et les habitants du quartier. Le 20 octobre, après la coupe des arbres, entre 2 000 et 6 000 personnes (selon les sources) ont marché du Vieux-Port à La Plaine pour défendre les ‹ villes vivantes et populaires ›. Et ce soir, lors de l’assemblée générale, qui se tient depuis une semaine sous les auspices d’une cabane offerte par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, c’est de nouveaux mondes dont il s’agit. Les questions se posent et les réponses fusent à bâtons rompus. Quelle réaction face aux mauvais augures de la violence d’État désormais explicite ? Comment se battre pour que survive l’âme du quartier ? Comment refaire fleurir l’espace public bétonné et minéralisé ? Et surtout, comment s’organiser collectivement pour transmettre l’espoir de nouveaux mondes possibles à nos enfants ? Le micro passe de main en main, les regards s’illuminent, alors qu’aux abords de l’assemblée, des minots jouent au foot sur le parking désert de La Plaine, et ponctuent avec leur ballon les phrases de cette petite troupe venue d’ici et d’ailleurs, mais résolument marseillaise.
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Tu vois là il y a ma main et elle ne répond plus à rien. La seule chose qu’elle veut c’est ton poignet, enfin plus que ça, c’est entourer ton poignet sentir l’os rond creuser ma peau comme les météorites creusent des cratères à jamais. Elle veut descendre sur le dos de ta main et s’entortiller avec tes doigts, ne plus avoir d’âge ; elle veut que nous dansions sur les rochers à nous en lacérer les pieds jusqu’au sang. Ma main veut conduire ta main à mon cou, que tu emmêles mes cheveux. Elle veut que tu approches ton visage de mes cheveux et renifles leur odeur, que tu fasses redescendre ton nez le long de la courbe de ma mâchoire jusqu’à mon menton, que tu remontes à mes lèvres et que ta bouche rencontre la mienne. Tu m’embrasses à devenir sourd, à ne plus jamais rouvrir les yeux. Ton corps tout entier contre mon corps des fourmis dans les pieds, l’envie d’incendier mon corps puis le tien à en brûler la mer de disparaître en cendres de hurler aussi fort que le feu de te griffer oui enfoncer mes ongles dans ta peau pour avoir ta peau sous mes ongles lécher le sel sous tes aisselles et puis embrasser tes paupières tes épaules tes pommettes poser ma main sur ton ventre, pour que plus jamais tu n’aies peur. Tu crois qu’il mesure combien d’années-lumière l’espace entre nous ?
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L’année passée, à l’heure où se couchait le soleil dans les toiles d’araignée déposées en hamac dans le bosquet, à l’heure où le repas cliquetait dans les casseroles et les réchauds rouillés, à l’heure où l’on s’effondrait enfin dans les canapés de ce salon à l’état de nature, une photographie m’a échappé.
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TITRE A ship loads at bordeaux (extrait) AUTEUR Sam O’Hana GENRE poésie TYPE transposition
The following is a four-page extract from a longer project called A Ship Loads at Bordeaux. The original text is the Rôles d’Oléron, a set of early maritime laws written in Occitan-Gascon language by Aliénor d’Aquitaine in 1160 AD, and its translation to modern French. My retranscription is the third paragraph on each page. It is an attempt to provide a contemporary interpretation of the original. Sam O’Hana is a writer who can be found at http://samohana.com/ and on Instagram at @samohana1. He is currently a doctoral student at the CUNY Graduate Center.
1 Ceo est la copie de la chartre Doleroun des jugementz de la meer. Premierement len fet un homme mestre dune nef. La nef est a deus hommes ou a trois. La nef sen part du pays dont ele est et vient a Burdeux, ou a la Rochele ou ailours, et se freite a aler en pais estraunge. Le mestre ne poet pas vendre la nef sil nad comaundment ou procuracioun des seigneurs, mes si il ad mestier de despenses, il pout bien mettre ascunes des apparailes en gage par counseil des compaignouns de la nef, et ceo est le jugement en ceo cas. Premièrement, on nomme un homme maître d’une nef. Une neuf appartient à deux ou trois hommes. La nef part de son port d’attache et vient à Bordeaux, La Rochelle ou ailleurs, se frétant pour aller en pays étranger. Le maître ne peut vendre la nef sans ordre ou procuration des propriétaires. Mais s’il a besoin d’argent pour la nef, il peut mettre en gage un accessoire de la nef après avoir pris le conseil des propriétaires de la nef. Et c’est le jugement dans ce cas. What is built for an exchange? Same-day couriers, fibre-optic cables, privately-owned satellites. The high stakes trading of the early-Modern period established a bedrock of exchange networks. A wild animal stays on its own continent, silicon is brought to every harbour. No country is strange to trade. Shipping containers, colourful as spice, as flowers, steel glyphs and phonemes of a newer language, the tongue of harbour, port and passage. We each expend our bodies in service of exchange—this morning I woke to Alexandra’s shoulder, partially covered in a sheet and turned away from me. This is the judgement in this case.
3 Une nef se part de Burdeux ou ailours, il avient ascune foiz qele sempire, lem sauve le plus qu lem peut, des vins et des autres derrees, (les merchaunz et le mestre) sount en graunt debat, et demaundent les marchaunz de mestre avoir lour deniers, ils les deyvent bien aver, paiaunt lur fret de taunt come la nef ad fet de veyage, sil plest al mestre. Et si le mestre voet, il poet bien adubber sa nef, sil est en cas qil la puisse adubber prestement, et si noun il poet lower un autre nef a fere le veiage, et aura le mestre soun fret de taunt come il aura des darres sauvez par ascune manere. Et ceo est le jugement in ceo cas. Un bateau appareille Bordeaux ou ailleurs ; il advient parfois qu’il fasse naufrage et que l’on sauve une grande partie des vins et des marchandises qui sont dedans. Les marchands réclament au capitaine leurs marchandises. Ils peuvent bien les réclamer, payant leur fret pour la partie du voyage qui a été faite. Et si le capitaine le souhaite, il peut réparer correctement le navire si cela peut être fait rapidement. Si ce n’est pas le cas, il peut affréter un autre bateau pour achever le voyage et le capitaine se fera payer son fret pour la cargaison qui aura été sauvée. Flights to Hong Kong from Western Europe connect at Dubai or else India. While in line for security checks at Manchester airport for a flight to JFK, I watched a border patrol officer open one rucksack, pick out a bottle of Chanel No. 5 the size of a grenade and hand it to a young woman, pointing at a series of boxes lined with black trash bags. She was of course protesting, and given that she did not speak English, she was not told to mail it separately to her destination. When landing in New York, my arrival home in Greenpoint was delayed by needing to de-ice planes on the runway before we could disembark, and then queues at passport control for those with nonimmigrant visas. Sometimes an airline will offer to deliver your checked baggage to your home address if there are delays unloading it, due, perhaps, to a strike. Opening the bedroom door slowly at 1:47 a.m., I told you all this as you woke, and even then you didn’t judge me for taking the subway and not a taxi.
6 Mariners se lowent ou lour mestre, et acuns deux qui sen issent saunz counge hors, et senyveront et found contekes, et en y ha acuns qi sount naufres, le mestre nest pas tenuz a eux fere garir, ne a les pourveier de ren, einz les poet ben mettre hors, et lower autre en lieu de li, et sil couste plus qe celui, il le deit paier, si le mestre troeve ren de soen. Mes si (le mestre) lenvoye en ascune service de la nef par soun comaundement, et sil se blessat ou le naueste, il deit estre garries et sauvez sus le coustes de la nef. Et ceo est le jugement in ceo cas. Les marins se louent à leur maître. Si certains quittent le navire sans permission, s’enivrent et se bagarrent, et que l’un d’eux est blessé, le capitaine n’est pas tenu de les soigner, ni de les aider. Il peut les licencier et louer quelqu’un d’autre. Et si le remplaçant coûte plus cher que celui qui est licencié, c’est ce dernier qui paiera en plus la différence. Mais si c’est au service du bateau et sur ordre du maître que le marin se blesse, ce dernier doit être soigné et payé aux frais du navire. Et c’est le jugement dans ce cas. New York is a city of private drinking. Unlike Western Europe, where an evening of drinking spills out into the street, with shouting, songs or simply wicker chairs on a well-placed terrace, New York’s drinkers slink into dive bars and underground bistros like derelicts into a peep show. Drinking New Yorkers drag themselves into offices for another day of the administrative tug-of-war before softening their memory of it with several martinis a night, most nights a week. Their salaries permit it, and their employers are implicated in it. This is a stereotype, but it represents a true experience for many, whether it’s drinking, smoking, television, food, or another numbing experience. New York is full of pain, but not for lack of painkillers.
18 Une nef arive a sa charge a Burdeux ou ailours, le mestre est tenuz a dire a ses compagnouns ‹ Seignurs, fretez vous a marrees ou lieveres a fret de la nef › ; ilz sount tenuz a respoundre le quel ilz ferount, et silz elysent al fret de la nef, tel fret come la nef aura ilz auront, et silz volent fretter par eux, ilz deyvent fretter en tele manere qe la nef ne soit demoraunte, et sil aviegne qil ne troevent fret, le mestre nad nule blasme, et lour doit le mestre monstrer lour rives et lour leire, et chacun mariner y puet mettre le poissant de son mareage, et sils volent mettre tonel deaue ils le puent bien mettre. Et si geteissont se fet et leur tonel deaue soit gette en la meer, il doit estre counte pur vin ou pur autre darres livere a livere, si les mariners se peussant deffendre raizonnablement en la meer. Et si ansi est qilz se fretegent as merchaunz, tiels franchises come les mariners auront, doit estre as merchaunz. Et cest le jugement en ceo cas. Un navire arrive à Bordeaux ou ailleurs pour charger. Le capitaine est tenu de dire à ses compagnons : ‹ Messieurs, vous payez-vous vos salaires avec votre fret ou les laissez-vous au fret du navire ? › Ils sont tenus de répondre ce qu’ils choisissent. S’ils choisissent de les laisser au fret du navire, ils seront payés en proportion du fret pris par le navire. S’ils souhaitent se payer sur leur propre fret, ils devront trouver ce fret sans retarder le navire. Et s’il arrive qu’ils ne trouvent pas de fret, le capitaine n’est pas à blâmer. Le capitaine doit leur dire leurs salaires et leur montrer leurs couchettes et chacun doit avoir la place pour mettre son fret. Et s’ils veulent mettre un tonneau d’eau, ils peuvent le faire. Et s’il doit y avoir jet à la mer du tonneau d’eau, il doit être reconnu comme équivalent au vin ou autre denrée, au prorata du poids, si les marins ont déployé des efforts raisonnables en mer. Et s’ils ont affrété leurs salaires à des marchands, les franchises que les marins auront devront aussi être versées aux marchands. Et c’est le jugement dans ce cas. There are on average 5,000 planes flying over the US at any one time. A faraway destination is posted on social media: Seoul, Lagos, Brisbane, Dubai, and a hastily-taken JPEG with a high-contrast, bleaching adjustment of colour profile. Three quarters of a million people suspended in the sky: the population of the City of Lonely Traders scattered like an ant colony in crisis, or rice grains on a subwoofer. Only the richest in the world regularly travel by plane, an incarceration caused by accelerating appetites for connection. If the carbon dioxide output of combustion engines at current rates will precipitate irreversible environmental damage, what will global connectivity consist of when a ‹ green › solution is as necessary as airport tax? So much complaining is made of the demands of modernity in daily life: that we must keep running to stand still, that our tasks repeat themselves, that our identities are atomized. Industrial competition exhausts the body in a similar way to pre-industrial labour, but with an exception: our work is no longer seasonal. The accountant does not have the fallow periods of the farmer. That said, who can tell whether the administrative headaches of tax season has dominance over the mind-numbing chills of winter in February daily life?
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TITRE La retranscription, outil démocratique AUTEUR Elsa Novelli GENRE philosophie TYPE sujet
Si la retranscription permet de mener une réflexion approfondie, ou du moins une analyse du monde, de diverses manières, une telle entreprise prend du temps. Aussi, il m’a semblé primordial de comprendre comment la retranscription pouvait se réaliser dans notre société accélérée, et quels étaient les dangers qui pesaient sur elle. Il est ainsi apparu que l’immédiateté (le monde numérique, l’appel à la vigilance, la publicité, etc.) représentait une menace non négligeable pour la retranscription. Or si la retranscription est menacée, il s’ensuit que la démocratie peut l’être aussi: car la démocratie vise la réunion de tous les discours, de tous les citoyens. Elle cherche à écouter la parole de tous pour ensuite prendre les meilleures décisions pour le collectif. Mais comment la démocratie peut-elle s’épanouir si la retranscription de ces paroles est empêchée par l’immédiateté? Elsa Novelli étudie en tant qu’agrégative à l’université Lyon 3, où elle prépare un projet de thèse à propos des effets du néolibéralisme sur l’attention.
La retranscription permet de créer un récit. Elle transforme un matériau immédiat, c’est-à-dire un vécu brut, en objet. Lorsque je retranscris une conversation, celle-ci n’est plus en train de se produire : elle est par exemple re-produite sur papier. Elle s’est matérialisée dans l’espace par mon action, et possède désormais un support. Elle est ainsi fixée sur quelque chose, et n’appartient plus au simple moment immédiat. En étant racontée, la discussion est mise en forme. Une distance a été prise. Par la retranscription, l’immédiateté perd quelque chose : elle perd précisément une partie de son essence, ce qui fait qu’elle est en train de se produire, à savoir son caractère immédiat. Elle perd en quelque sorte son hic et nunc. Car dès qu’on rapporte un événement, il n’est plus possible de le vivre : nous pouvons seulement nous l’approprier par l’imagination. Il perd donc son imminence, comme l’œuvre d’art son authenticité, dans les termes de Walter Benjamin (L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique). Avec le développement des techniques de reproduction, le hic et nunc caractéristique de l’œuvre d’art est arraché et remplacé par une valeur d’exposition ; ce qui constitue son aura devient un lointain qui nous échappe. Mais c’est ce remplacement, ces techniques qui nous permettent de constater avec nostalgie l’existence lointaine de cette aura. Nous pouvons considérer qu’il en va de même pour l’immédiateté de l’événement. Par la retranscription, cette immédiateté devient un horizon. La retranscription nous permet ainsi de mesurer la valeur de l’immédiateté : sans elle, aucune expérience spontanée ne serait possible. Nous ne pourrions vivre l’instant présent. Bien que le hic et nunc de l’événement soit perdu dans la retranscription, quelque chose est gagné : un récit, dans la mesure où un texte qui rapporte un événement est composé de mots et vise à émettre une pensée. L’événement peut enfin être dit, être re-transcrit. Cela signifie que la retranscription ajoute à ce qui est déjà. Elle ne crée pas à partir de rien, elle a besoin d’un précédent : une idée, une pensée, une intuition, une émotion, ou encore une action. Elle permet de construire une interprétation sur une situation, sur un matériau perçu. Si la retranscription ajoute, c’est en ce sens qu’elle permet de rendre clair son matériau. Elle nous permet de poser sur lui un autre regard et de prendre de la distance avec lui. La retranscription est donc un récit qui nous incite à la réflexion et à l’interprétation, et qui peut prendre une forme littéraire ou artistique. Si la retranscription correspond à un récit, tout récit n’est pas retranscription. Par exemple, lorsque je commente une publication présente sur un réseau social, mon commentaire n’est qu’une simple réaction. Mais cette pensée n’est pas toujours le fruit d’une réflexion ; elle n’incite pas non plus à la réflexion. Il s’agit plutôt d’une pensée réflexe, d’une pulsion qui se matérialise par les mots, comme lorsque nous prononçons un juron sous le coup de la colère. Nous avons pourtant tendance à confondre ces deux modes de pensée que sont la pensée réfléchie, qui mène à la retranscription, et la pensée immédiate, qui est simplement pulsionnelle. Cette distinction devient floue, car notre société s’accélère et privilégie le second mode de pensée au détriment du premier, de la retranscription et donc de la réflexion. En effet, l’essence de la retranscription se perd dans la puissance de l’accélération. Si notre société s’accélère, c’est que nous assistons à un accroissement de la vitesse de développement de la technique et des changements sociaux. Cette accélération transforme notre rapport au discours. Nous sommes encouragés à dire, mais nous ne savons que dire. Alors nous réagissons, c’est-à-dire que nous dédions un espace à notre pensée immédiate : celle-ci s’exporte via le monde numérique. Sans filtre, elle se donne brutalement. L’accélération nous incite en effet à participer au débat social en usant de notre droit à la libre expression. Mais les informations sur lesquelles nous sommes amenés à réagir sont de plus en plus nombreuses et envahissent notre perception. Si tout s’accélère, il faut être en mesure de saisir toutes les nouveautés. Or nous ne pouvons y parvenir, car notre attention est par essence limitée : nous ne pouvons pas être attentifs plus que de raison. Nous parvenons seulement à être de plus en plus vigilants, ce qui nous permet de réagir vivement et instantanément, mais pas de prendre le temps d’analyser ce à quoi nous réagissons. Ce faisant, nous avons pourtant l’impression de retranscrire une pensée réfléchie, car pris dans l’accélération, nous confondons notre attention avec notre vigilance. Or, si nous croyons retranscrire alors qu’en réalité nous nous contentons de réagir, alors la retranscription même est perdue. En agissant de la sorte, nous prenons le risque d’annihiler tout récit réflexif, auquel nous substituons des réactions immédiates, qui ne sont pas capables de dire quelque chose de nous. Ce risque encouru soulève un problème démocratique crucial : car si nous avons l’impression de retranscrire une pensée originale et authentique au travers de nos réactions immédiates, et que ces réactions sont prônées au nom de la liberté d’expression, comment vivre ensemble et créer une réflexion collective ? Si ces réactions ne disent rien de soi ou de l’humanité, comment parvenir à construire dans le silence une société basée sur la cohésion sociale ? Ces réactions sont muettes, car elles ne disent rien de soi ou de l’humanité. Elles étalent un contenu vide d’interprétation et correspondent à des transcriptions de pensées immédiates. Le rapport au temps est ici primordial et permet de distinguer ces deux modes de pensée que sont la réaction et la retranscription. La réaction s’exécute immédiatement, sans décision préalable. Elle intervient instinctivement sans que soit posée la question des conséquences. Quand je commente rapidement un article de presse sur Internet, en utilisant des propos injurieux ou diffamatoires, il n’est pas dit que ma pensée soit réfléchie. Si elle l’avait été, mes propos auraient probablement été moins virulents : j’aurais mesuré la portée et les conséquences d’une telle réaction, j’aurais considéré la légalité de mes propos et leurs effets potentiels sur la personne visée. C’est en ce sens que la réaction est le fait de la vigilance. Si je m’apprête à traverser la route, je dois pouvoir réagir et être vigilant aux risques potentiels : il me faut percevoir immédiatement le danger que représente une voiture roulant à vive allure. L’attention n’est ici pas sollicitée car il n’y a pas besoin de prendre le temps d’analyser la vitesse à laquelle arrive le véhicule : ce serait inopportun et dangereux. Ce rapport au temps distingue donc considérablement la vigilance de l’attention, et en l’occurrence la réaction immédiate de la retranscription. Celle-ci met en jeu l’attention, et donc un rapport au temps ralenti, à l’opposé de l’accélération en cours. Elle exige un certain niveau d’attention, car elle nécessite une réflexion particulière pour pouvoir transformer l’immédiateté en récit. Une distance étant créée, cette mise en forme a besoin de patience pour se réaliser. Ce qui signifie que la retranscription est le résultat d’une distanciation rendue possible par la pensée. Elle vise la transformation d’une matière donnée immédiatement afin de lui donner du sens. Quand le peintre utilise des pigments avec de l’huile de lin, c’est en partie pour retranscrire une émotion, c’est-à-dire pour en proposer une interprétation. Ce faisant, le travail achevé ne le concerne pas que lui, mais tous les autres, dans la mesure où il fait écho à nos propres émotions. L’artiste utilise la retranscription pour donner du sens à la réalité communément perçue. Il nous aide à mieux appréhender l’immédiat et à prendre à notre tour de la distance avec les choses. En parlant de lui, l’artiste parle aussi des autres : en partant de sa propre expérience, il partage un point de vue réfléchi, issu d’une certaine attente, qui peut s’étendre à tous les hommes. Il se prend en quelque sorte comme point de départ pour comprendre l’humanité et ainsi rencontrer l’autre. Il partage son ressenti et ses analyses en vue d’aider les autres à faire de même. L’humanité peut alors se réunir avec ses disparités. La retranscription est bavarde de pensées réfléchies qui se partagent, car elle vise à travailler l’immédiat, qu’elle ne restitue pas tel qu’il est, quasiment sans filtre. Elle le véhicule sans le modifier dans son essence, mais en en proposant tout de même une interprétation, en le restituant au travers d’une analyse. Ce partage se caractérise par cette volonté de dire, par un effort de ne pas se contenter de l’immédiat. Une attention est accordée à la compréhension des faits auxquels il est question de donner du sens. Ce partage ne prétend pas connaître les choses : il est une proposition d’interprétation du monde. Il n’est ni dogmatique, ni lapidaire, mais dynamique et discursif. Cette pensée travaillée et attentive sait ce qu’elle dit car elle se l’est déjà dit à elle-même, ce qui n’est pas le cas d’une réaction immédiate et vigilante, qui reste silencieuse. Ce silence représente un danger pour la démocratie, car il engendre une confusion entre le partage d’une pensée travaillée et la dictature de l’immédiat. Nous pourrions croire que dire ce que nous voulons est l’essence même de la démocratie, en application du principe de liberté d’expression. Mais la réaction est-elle vraiment l’expression de ce que nous voulons dire ? Si la retranscription permet de dire une pensée construite, la réaction n’est qu’une pulsion qui n’a pas conscience de ce qu’elle dit. Cette pensée pulsionnelle semble écraser la retranscription. Un conflit s’installe entre les deux et l’immédiateté semble l’emporter dans l’accélération technique et sociale. Cette dernière, liée au fonctionnement du système, ne nous permet pas de ralentir la cadence. Le système capitaliste s’étend pour contrer toute décroissance, et un tel mouvement est par essence incompatible avec toute retranscription patiente. En effet, l’attente n’est pas favorable à son développement à court terme. Autrement dit, une retranscription lente et approfondie rapporte moins au marché qu’un florilège de réactions rapides et immédiates. Aucune réflexion n’est assez rapide pour suivre cette cadence imposée par le système. Ce qui signifie que la retranscription est dépassée par le réel qu’elle cherche à transformer. La pensée immédiate est plus productive que la pensée réfléchie grâce à sa vitesse. Par exemple, transmettre des photographies capturées dans l’instant prend beaucoup moins de temps que créer une photographie d’art. Aussi cette communication intempestive est-elle bénéfique au système, qui peut alors s’accroître et engendrer du capital. Car c’est par notre activité que le système s’étend, qu’il absorbe de nouvelles informations exploitables afin d’acquérir une puissance globale. Mais cette transmission d’images est-elle retranscription ? Lorsque je publie un selfie de moi devant la tour Eiffel, est-ce-que je cherche à partager une réflexion, ou est-ce que je cherche à me montrer ? Dans son utilisation générale, le selfie ne semble pas guidé par une volonté de partage : quel intérêt pour l’humanité de savoir devant quel monument je me situais hier matin ? Le selfie semble plutôt répondre aux exigences d’une compétition de l’image, qui pousse les individus à tenter d’obtenir de l’attention. Les plateformes numériques nous poussent à nous créer un réseau toujours plus grand, à éprouver de la satisfaction lorsque nos publications ont du succès. Une course affolante au capital attentionnel s’organise : chacun veut capter l’attention de l’autre. Pour ce faire, la publication journalière de notre immédiat s’impose. Je veux prouver que j’existe en laissant une trace de mon image. Je tente de figer l’immédiat, l’émotion, mais en agissant de la sorte, je ne parviens pas à investir le présent. Car cet immédiat n’est pas retravaillé : il est de l’ordre du réflexe, de la pulsion. Ce qui signifie que dans cette compétition, la réflexion est empêchée par l’immédiateté. Les approbations reçues nous permettent d’étoffer l’estime que nous nous portons pendant un court instant. Les réactions des autres devant nos publications confirment que nous existons. Grâce à la fixation d’un instant par l’image, nous parvenons à obtenir de l’autre qu’il nous voit. C’est ainsi que nous associons la visibilité et l’existence : si sommes visibles, cela signifie que nous existons, et cela grâce à notre image. Cette compétition engendre une dictature de l’immédiat dans la mesure où un véritable culte est voué à l’image. Les individus ne se rencontrent pas, ils se confrontent à travers leurs réactions. En voyant l’image montrée par l’autre, je vais réagir et me montrer aussi. En tant que membres d’une société, nous souhaitons prendre part aux mouvements qui s’opèrent. Mais ce faisant, nous ne prenons pas le temps d’analyser ; nous le perdons à montrer. Or montrer n’est pas synonyme de partager, contrairement à ce qu’affirment les plateformes numériques pour promouvoir leurs services. Montrer quelque chose n’est pas apposer un sens à ce quelque chose. Cette compétition nous invite à nous montrer en imposant notre image à l’autre. Ce rapport de force indique que le développement individuel l’emporte sur la construction collective. L’individu est sommé de se distinguer toujours davantage de l’autre : si j’existe, c’est parce que je me montre, et parce que ce que je montre est différent. Pourtant, nous sommes tous des autres et cette dictature de l’immédiat nous fait oublier ce que nous avons de commun avec autrui. Le selfie apparaît comme un réflexe qui me permet d’affirmer mon existence individuelle et de mettre en doute celle des autres. J’existe car je suis différent de vous. J’existe car mon image est présente sur cette photo et pas la vôtre. C’est moi qui suis devant la tour Eiffel. Dès lors, l’individu se construit contre l’autre, qui n’est plus un semblable mais un rival. L’autre nous apparaît comme un adversaire car nous ne prêtons pas attention à lui. Bien que nous tentions d’obtenir son attention en lui imposant notre image, nous n’avons à son égard que de la vigilance. Nous voulons remporter la guerre de l’image. Et dans cette compétition, l’autre représente autant une menace qu’un allié, car s’il ne gagne pas, il peut me fournir des likes. Un tel rapport de force ne peut correspondre à l’idée que nous nous faisons d’une démocratie dont le principe réside dans le collectif et dans l’universalité. Une société démocratique prône en effet la cohésion sociale par-delà les différences. Celles-ci sont réunies pour former le social : une cohésion est créée par la parole, c’est-à-dire que chacun peut donner son avis pour faire avancer le collectif. Grâce à la confrontation des avis, une retranscription collective peut avoir lieu. Chacun participe pour créer un récit commun et fournir une réflexion approfondie sur les fondements sociaux. Dans cette perspective, l’affirmation d’une existence individuelle ne se fait pas au détriment de celle de l’autre ; elle concourt aussi à l’affirmation de l’existence de la société. Alors que la démocratie est fondée sur une telle libre expression et sur le vivre-ensemble, la dictature de l’image impose la séparation, le silence, et représente alors un danger démocratique. Elle empêche le débat, la conciliation et la construction commune d’une société au sein de laquelle chacun pourrait participer, écouter et travailler avec l’autre. Plus encore, cette dictature de l’immédiat rompt les modalités contractuelles de la démocratie. Le réflexe de l’instantanéité fige du non-pensé, de l’émotion, sans prendre la peine d’aller au-delà de l’instant. L’attention n’est pas aiguisée, permettant à la vigilance de s’accroître plus que de raison. Dans une telle société, le lien social est menacé et la retranscription mise en échec par l’immédiateté. Car si ma vigilance est sans cesse happée par les panneaux publicitaires présents dans l’espace public, au détriment des besoins sociaux de mes semblables, mon attention n’est pas tournée vers le soin ; elle n’est pas tournée vers l’autre. L’enjeu à venir est donc de redonner une place forte à l’attention, afin de recréer du sens dans nos relations et ainsi préserver la démocratie du silence de la dictature de l’immédiat. Exister non par l’image, mais par l’action : tel serait l’un des moyens pour nous permettre de prendre du recul par rapport à l’accélération en cours, et d’enrichir véritablement notre discours. Il serait alors possible de partager nos réflexions, et de retrouver la parole en retranscrivant nos actions à venir.
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TITRE Moltopub AUTEUR Antoine Ormeaux GENRE montage TYPE copie
Au départ, ce texte devait être fait de remarques concernant le Règlement général sur la protection des données (RGPD), la transparence, et la recherche comme série de retranscriptions, alignement de ce qu’on appellerait inscriptions successives, autant de pas qui nous écartent de la donnée sensible. Et puis je me suis rendu compte que tout fonctionnait un peu comme ça, la peinture, la chanson, les violences policières... Et puis j’ai lu quelque part que le socius est inscripteur, se trouve où la représentation s’organise – surface. J’étais bien embêté parce qu’à ce moment-là j’ai été forcé de comprendre que la donnée immédiatement sensible c’était compliqué, que nous étions des machines. On trouve là-dessous un texte de Borges transcrit et retranscrit. Alors j’ai laissé tomber, j’ai repris des livres, des vrais, et je n’y ai plus pensé qu’en me faisant mal. Maintenant qu’on en est là, peut-être qu’il faut conclure en quelques mots cette histoire de RGPD. Il demande aux traiteurs de renseigner les objets du traitement – nous – sur les effets et les objectifs du traitement quand ils les traitent. Je crois que ça en dit beaucoup et que c’est impossible. Parce qu’on n’avoue jamais ce qu’on ignore.
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TITRE Un monde de retranscriptions La technique et le code dans les sociétés contemporaines AUTEUR Thomas Coster GENRE théorie du droit TYPE sujet
Cet article présente deux sociologues dont les travaux semblent décrire adéquatement le monde contemporain: Jacques Ellul et sa civilisation technicienne; Niklas Luhmann qui pense la différenciation fonctionnelle des champs sociaux. En prenant l’exemple de l’évolution du droit, l’auteur pose l’hypothèse qu’on assiste à un recul du sens et de la traduction au profit de la mécanique et de la standardisation: un monde de retranscriptions. Thomas Coster est doctorant en droit à l’université de Nanterre. Sa thèse porte sur la fragmentation du droit international, c’est-à-dire la difficulté croissante à ordonner et hiérarchiser les différentes structures productrices de normes internationales qui entrent en conflit les unes avec les autres (droit international des droits de l’homme, droit international du commerce, codes de déontologie des entreprises, soft law, etc.).
Une manière d’approcher le concept de transcription peut être de le comparer avec celui de traduction, faisant apparaître que l’action de transcrire ne s’intéresse guère au sens de ce qui est transcrit, et que les choix à opérer en matière de transcription sont, à l’opposé de la traduction, relativement négligeables. Par exemple, traduire d’une langue à une autre implique de cerner la signification précise des propositions, ainsi que l’extension des mots, et de rejeter ultimement certaines subtilités au profit d’une clarté générale de la langue de destination. C’est pourquoi il existe une traductologie animée par des controverses. Au contraire, la transcription est une activité plus mécanique, qui se passe aisément de cette forme de médiation. Transcrire signifie : mettre à l’écrit un discours exactement tel qu’il a été tenu (procès-verbal, minutes d’une assemblée), noter des mots d’une langue à l’aide d’un autre alphabet (transcription de noms russes en notation latine, formalisation des sons dans l’alphabet phonétique international, etc.), adapter une partition musicale pour un instrument autre que celui que lui destinait le compositeur (par exemple, arrangements pour piano de morceaux d’orchestre). Naturellement, on opère certains choix, en supprimant des notes injouables, ou en choisissant d’approcher ou non de l’accent d’une langue. Mais le sens est toujours écarté. En matière de décision, la distance entre traduction et transcription est si grande qu’elle légitime la distinction des deux concepts. C’est ce qui se passe lorsque l’on dit que le requiem de Mozart ‹ traduit › un sentiment religieux, par exemple. Certes, la notion de retranscription, outre qu’elle signifie répéter la transcription et donc reproduire, peut aussi viser parfois une activité séparée, plus souple en effet, consistant à adapter pour l’écrit. Les restitutions de mythes oraux contenues dans certains livres religieux nécessitent d’évacuer en partie l’oralité du récit. De même, un compte rendu de réunion ne contiendra pas les hésitations ou tics de langage des participants. Toutefois, l’élément déterminant reste que la retranscription désigne le passage d’une forme à une autre, et non pas véritablement une mutation de la nature ou du sens de ce qui est travaillé. On s’approche ici d’un troisième élément de la distinction entre transcription et traduction, qui est que la première est avant tout une opération de formalisation. * Tous ces préalables étant posés, on pourrait jouer à affirmer, par exemple, que nous habitons aujourd’hui un monde de retranscriptions bien davantage que de traductions. Une telle formule aurait l’avantage de sonner d’une manière confusément familière à l’oreille de qui est habitué à entendre les slogans consommés du militantisme radical ou de l’écologie politique. Or, s’il ne fait aucun doute que le XXe siècle a constitué un changement majeur dans l’histoire humaine, le critère essentiel du monde contemporain, son caractère absolument distinctif, s’il existe, me semble épouvantablement dissimulé et infiniment complexe à concevoir. Il ne saurait donc être éclairé par une sentence aussi grossière. Comme il me semble toutefois amusant d’opposer ces deux concepts, et d’essayer, par cette opposition, de dire quelque chose, je préciserai d’emblée qu’il s’agit d’une métaphore un peu gratuite, utile pour un article de cette facture. Gageons que la retranscription évoque autant au lecteur qu’à moi-même une forme de mécanisation, de standardisation, en bref, une forme de mal-être, et que le beau mot de traduction lui soit autant qu’à moi synonyme d’humanité, de pensée libre, et d’autonomie individuelle. Pour ce faire, je vais présenter et mobiliser deux auteurs qui m’intéressent particulièrement dans le cadre de la thèse que je prépare en théorie du droit : Jacques Ellul et Niklas Luhmann. En apparence, rien ne relie ces deux sociologues du second XXe siècle, si ce n’est leur préoccupation commune de tenter de circonscrire et de désigner l’essence de la modernité. Jacques Ellul est surtout connu pour sa trilogie sur la technique : La technique ou l’enjeu du siècle (1954), Le système technicien (1977), Le bluff technologique (1988), ainsi que pour ses ouvrages de théologie, conçus en liaison dialectique avec le versant sociologique de son œuvre. Niklas Luhmann, allemand, est l’un des penseurs du concept de ‹ système social ›, auquel il donne une définition originale, comme nous le verrons. Parmi ses ouvrages, mentionnons Systèmes sociaux : esquisse d’une théorie générale (1984), Amour comme passion : de la codification de l’intimité (1992) ou encore La société de la société (1997). Bien qu’elles soient excitées par un même objet, les deux analyses n’en demeurent pas moins profondément inconciliables. La thèse de la technicisation des sociétés comme symptôme d’une maladie civilisationnelle est étrangère à Luhmann, tandis que l’idée d’après laquelle la société ne se compose pas en dernière instance d’interactions entre individus, mais de systèmes sociaux agissant à leur insu, aurait peut-être semblé à Ellul être l’une des manifestations intellectuelles de l’empire de la technique. Pourtant, l’une et l’autre de ces analyses s’offrent comme des compréhensions du monde moderne dont le pouvoir explicatif est (aujourd’hui, et selon moi) bien plus puissant que beaucoup d’autres théories critiques, notamment marxisantes. * Max Weber, avant Niklas Luhmann, analysait notamment la rationalisation des sociétés occidentales comme une autonomisation des différentes sphères sociales, amenées à se constituer selon leurs logiques propres souvent incompatibles les unes avec les autres. Ainsi, alors que dans les sociétés traditionnelles, la plupart des champs de l’action sociale (économique, juridique, religieux et moral, esthétique, etc.) sont largement enchevêtrés, ils se distinguent au moment de la modernité et l’on voit se manifester entre eux des tensions résultant de l’incompatibilité de leurs logiques fonctionnelles. Par exemple, dans le champ du droit, le développement de la rationalité juridique et de l’administration bureaucratique, se traduisant par une forme de domination impersonnelle fondée sur la règle abstraite, entre en contradiction avec les formes traditionnelles de régulation sociale, fondées sur la piété et attachées à la ‹ prise en considération concrète et personnelle de cas particuliers ›. Similairement, la logique de la raison d’État propre à la politique moderne entre en tension avec une forme d’universalisme moral rattachée à la rationalisation de la sphère religieuse. De façon générale, cette différenciation sociale est en elle-même une caractéristique de la rationalisation des sociétés modernes. Luhmann affine l’analyse. Influencé par les travaux de Talcott Parsons sur la notion de système, il propose une théorie de la différenciation sociale fondée sur le concept d’autopoïèse (‹ création de soi-même ›). Le sociologue allemand avance l’idée selon laquelle l’histoire des sociétés modernes est marquée par une autonomisation des champs du social, conceptualisés chez lui (et en référence au vocabulaire de la biologie) comme des ‹ systèmes autopoïétiques ›. Il s’agit de souligner la tendance des systèmes sociaux (juridique, économique, politique, scientifique, etc.) à produire un discours autoréférentiel qui a pour fonction à la fois de les fonder comme systèmes (en les spécifiant et en leur posant des limites) et de permettre à ces systèmes de se perpétuer comme tels. Dans cette configuration de pensée, ce que l’on appelle ‹ droit › ou ‹ économie › est un ensemble d’éléments reliés entre eux et – dans le vocabulaire de la théorie des systèmes sociaux – ‹ programmés › pour répéter une fonction que le système s’assigne à lui-même. À cet égard, chaque système social se saisit du réel (dans le vocabulaire de Luhmann, de son ‹ environnement ›, soit l’ensemble des autres systèmes sociaux) à l’aide d’un code binaire, par lequel s’effectuent toutes les communications. Pour reprendre l’exemple du droit, ce code est le légal et l’illégal. Cette distinction, cette répartition de l’environnement selon le critère de la légalité, qui définit et justifie l’existence du système juridique, diffère sensiblement du code propre au système économique (pouvant ou ne pouvant pas faire l’objet d’un paiement), et de celui du système politique (gouverner ou être gouverné), par exemple. Pour Luhmann, la caractéristique de la modernité est précisément la différenciation croissante de ces systèmes, appelés à se constituer globalement. À cet égard, la sujétion du droit ou de l’économie à la figure de l’État souverain est une étape transitoire de la différenciation. Ces sphères s’entrechoquent, et il serait tout à fait impropre de parler au sujet de leurs relations d’une forme de communication. Pour en revenir au thème, l’on pourrait dire que chaque système social retranscrit pour lui-même son environnement d’après ses propres codes, mais se révèle incapable de traduire l’environnement (c’est-à-dire de comprendre les attentes et les besoins profonds auxquels répondent les autres systèmes sociaux, leur ‹ sens ›), car il n’en partage pas le langage, autrement dit le code. L’une des conclusions de la théorie de Luhmann est qu’il est illusoire d’espérer soumettre à une organisation juridico-politique mondiale l’ensemble des secteurs sociaux. Ce serait prétendre arbitrairement que le système politique possède une prééminence en quelque sorte naturelle à l’égard des autres systèmes. De ce point de vue, Luhmann s’oppose à Jürgen Habermas et à sa théorie de l’agir communicationnel : aucune communication n’a lieu entre les systèmes, et l’idée d’une éthique de la discussion n’a guère de sens dans le cadre de systèmes en collision permanente et croissante. * À rebours de ces considérations systématiques, Jacques Ellul s’attache d’abord à l’individu, et à l’étude de ce qui, aujourd’hui, constitue le facteur principal de son aliénation : la technique. L’auteur définit l’opération technique comme ‹ tout travail fait avec une certaine méthode pour atteindre un résultat ›. Dans les sociétés modernisées, la raison (capable de mesurer les résultats et de discriminer les moyens) et la prise de conscience (qui désigne chez Ellul le fait d’apprécier les avantages offerts par la technique et d’en constater les innombrables possibilités) ont conduit à une extension de la technique à toutes choses. L’accumulation des moyens (exponentielle à partir du XIXe siècle) donne lieu à une ‹ civilisation technique ›, au sein de laquelle prédomine ce qu’Ellul appelle le phénomène technicien : ‹ la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps, de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace ›. Le phénomène technique est pour Ellul le mouvement majeur à l’œuvre dans les sociétés occidentales, s’étendant à ‹ tous les domaines et [recouvrant] toute activité et toutes les activités humaines ›. Cette civilisation est prédatrice de la nature et des façons non techniques d’être au monde. Elle produit des effets dans l’ensemble des domaines collectifs : politique et administration, droit, économie, esthétique, morale, etc. Je m’en tiendrai dans la suite surtout à l’exemple du droit. La pensée juridique a longtemps été ‹ jusnaturaliste ›, c’est-à-dire attachée à l’idée d’un droit naturel, sorte de justice immanente ou transcendante que le juriste aurait pour tâche de révéler et de traduire dans des règles positives et des jugements individuels. Selon Ellul, l’activité juridique est alors caractérisée par un équilibre entre la recherche de justice (notion insaisissable, toujours appliquée aux cas concrets) et le recours nécessaire à une certaine technique juridique : aussi bien l’appareil d’expression des normes juridiques, de publication des lois, que le lieu de la justice qui est celui de la décision concrète, ou encore les outils favorisant la réalisation forcée ou volontaire des lois et décisions, au besoin par la police. Or, l’un des effets de la ‹ civilisation technique › est une révolution dans le droit, par laquelle la technique juridique devient l’horizon du juste et finit par s’identifier à lui. Ce changement se manifeste d’abord par la dissociation du juridique et du judiciaire (c’est-à-dire en quelque sorte de la règle et du juge). Le second n’est plus chargé de poursuivre la justice ou de créer le droit, mais seulement d’appliquer des textes, ce qui ne relève nullement d’un sens du juste, mais d’une technique d’interprétation. Et le juge ne juge pas non plus la règle, qui est l’émanation d’un appareil d’État bureaucratique et prolixe, et dont le tout premier des buts est le maintien de l’ordre. Singulièrement, la doctrine juridique évacue peu à peu elle-même l’idée du juste comme définition du droit, lui substituant l’idée d’ordre. On dit alors que la vocation du droit est d’assurer l’ordre. Or, l’ordre est ‹ en définitive, la même chose que l’efficacité ›. Cette mutation de la conception du droit trouve selon Ellul son apogée dans le positivisme juridique, c’est-à-dire la théorie selon laquelle (entre autres) le critère du juste n’est pas un élément nécessaire de la définition du droit. En effet, le juste ne peut être observé empiriquement et sa validité dépend d’un critère moral. Pour les positivistes, il s’agit donc plutôt d’une hypothèse à valeur scientifique – l’idée d’une norme fondamentale, ou d’une règle de reconnaissance, présupposée par tous les participants au système. La tâche du jusnaturaliste ne consistait pas en une formalisation, mais en une traduction sur le plan humain d’exigences supérieures, et Ellul insiste bien sur la nature pénible, toujours concrète et recommencée, de la fonction du jugement à l’époque prémoderne. De ce point de vue, le langage contemporain du droit et de la science juridique, autonome à l’égard des exigences morales ou de la tradition, semble davantage autoréférentiel, et ne traduit plus aucune exigence supérieure. Les nombreuses critiques adressées au positivisme (par l’économiste Friedrich Hayek ou le juriste français Léon Duguit par exemple) consistaient à accuser cette doctrine d’évacuer tout critère extérieur d’appréciation, et de dissimuler sous un vocabulaire scientifique une certaine vision prescriptive du social. L’analyse de Jacques Ellul peut être replacée dans cette veine, et l’on peut dire que la vocation qu’il attribue au droit dans la société technicienne correspond en une gigantesque opération de standardisation des comportements. Si le but de la technique juridique est en effet d’assurer la conformité des comportements à la règle, et que le droit s’identifie tout entier dans cette technique, alors le droit est tout ce qui augmente la puissance de l’administration. * J’écrivais plus haut que ces deux théories rapidement présentées, celle de Luhmann et celle d’Ellul, me semblaient porteuses d’une puissance explicative qui pourrait être fort utile aujourd’hui. En effet, les analyses habituelles de la société, celles qui sont politiquement représentées et reprises comme des lieux communs par de nombreux journalistes, ne me semblent pas à même de saisir les tendances complexes et contradictoires de la société contemporaine. Sans contradiction, on entend déplorer à la fois la fragmentation du monde social (fracture sociale, archipel français, individualisme, dissociété, etc.) et la croissante homogénéité du monde en une société de consommation planétaire. Par ailleurs, les critiques de gauche adressées à nos gouvernants européens et nationaux portent souvent sur leur projet ‹ libéral ›, et il est vrai que les politiques récentes ont donné lieu à l’affranchissement spectaculaire et obscène de certaines puissances économiques. D’un autre côté, il est également incontestable que les normes nationales et européennes régulent progressivement les aspects les plus accessoires de l’activité économique, et que jamais auparavant les modes d’intrusion et de nuisance de l’administration dans les vies individuelles n’ont été si raffinés. L’épithète libéral se révèle donc tout de même impropre, en tout cas inefficace du point de vue critique – et il est douteux à cet égard que parler d’ultralibéralisme corrige en quelque façon le défaut criant de l’analyse. Ces deux exemples illustrent selon moi la complexité des enjeux contemporains. En tous ces domaines et en bien d’autres, où nous serions preneurs d’une théorie englobante valide et à fort potentiel critique, les analyses de Luhmann ou d’Ellul me paraissent d’un secours inestimable.
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TITRE Un modèle économique AUTEUR Julien Pascal GENRE économie TYPE restitution
Julien Pascal est doctorant en économie. Il dévoile ici les équations de son modèle, censé représenter le lien entre coût des transports et emploi local. Là où les romanciers utilisent des mots, les économistes utilisent des équations pour se raconter des histoires. Retranscription en langage mathématique d’une réalité sous-jacente ou pur exercice stylistique? Probablement les deux. Face à un public néophyte, l’économiste mettra en avant le premier aspect; mais avec un adepte de sa discipline, les discussions porteront bien plus souvent sur les aspects esthétiques des théories en question.
https://revue.moltogone.fr/2/doc/SpatialEquilibriumAndTransportationCosts.pdf https://revue.moltogone.fr/2/doc/SpatialEquilibriumAndTransportationCosts.jpg
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TITRE Fichiers textes et formats de données AUTEUR Philippe Ngo GENRE informatique théorique TYPE sujet
Que se passe-t-il quand on écrit sur son ordinateur? Le texte visualisé à l’écran est encodé dans la mémoire selon des conventions propres à chaque format de fichier: docx, rtf, pdf, odt, etc. On parle de représentation machine. Qu’est-ce qu’un format, qu’est-ce qu’un fichier et quelles sont les différences entre ces formats de fichier? Cette contribution cherche à répondre à ces questions à travers un voyage didactique dans les profondeurs numériques, et jusqu’au domaine illisible, binaire, des 0 et des 1. L’objectif n’est pas d’être exact, mais de fournir quelques éclaircissements sur cet outil que l’on utilise de plus en plus massivement en le comprenant de moins en moins: l’ordinateur au sens large. Il est problématique que notre temps et notre énergie soient dédiés à l’utilisation d’outils opaques et obsolescents, dont nous ne maîtrisons pas le fonctionnement et qui nous laissent de moins en moins de possibilités d’usage créatif – en un mot, qui nous font devenir les outils de nos outils. Cette structure de l’outil, orientation contemporaine de la technique, est l’une des causes fondamentales de la situation déplorable où notre époque se trouve. Son renversement est une lutte à mener; c’est aussi l’un des projets de long terme de Moltogone. Philippe Ngo, formé aux sciences sociales, à la philosophie politique et à l’informatique, est le fondateur des éditions Moltogone.
NIVEAU 0: LES TRAITEMENTS DE TEXTE De nos jours, la majorité des textes informatisés circulent sous la forme de fichiers docx. Ce format, dont Microsoft est propriétaire, permet notamment de stocker du texte, et ce avec du style (italiques, tailles, alignements, etc.) et d’autres éléments de mise en pages, comme des notes ou des commentaires ; il peut être verrouillé ; l’auteur du texte et la date de création du fichier sont aussi encodés (métadonnées). Toutes ces informations sont contenues dans le fichier docx et doivent bien se trouver quelque part. Et pour cause : si l’on change l’extension .docx du fichier en .zip, on obtient une archive compressée que l’on peut ouvrir afin de révéler ce contenu – une opération qui s’avère pratique pour récupérer les images incluses dans un document Word. Le format docx est donc un système où des fichiers (majoritairement de type xml, voir le niveau suivant) sont rangés dans des dossiers et liés entre eux. L’un de ces fichiers contient effectivement le texte que nous avons tapé, et qui nous servira d’exemple tout au long de cet essai : https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes1.jpg Entre diverses balises (<w:p> et </w:p> par exemple, qui délimitent un paragraphe), on retrouve bien trois fois le mot ‹ moltogone ›. Les balises <w:b/> et <w:i/> représentent le gras et l’italique. Si l’on modifie ce fichier document.xml, remplaçant ‹ moltogone › par ‹ moltogoone › par exemple, avant de compresser le tout et de repasser en .docx, on visualise effectivement la modification dans notre traitement de texte. Autrement dit, le docx est un zip. Seule change l’extension du fichier, qui est un signal pour les logiciels ; mais le contenu, la donnée, est exactement le même. D’ailleurs, un logiciel de décompression comme The Unarchiver peut directement ‹ casser › des fichiers docx de même que des fichiers odt, le format libre développé par OpenOffice et qui fonctionne selon le même principe. Cependant, le format odt d’OpenOffice n’est pas une copie du docx de Microsoft. Au contraire, il a été créé du temps de l’ancien format de Microsoft, le doc. À l’inverse de ce dernier qui était totalement crypté (afin que seul le logiciel payant Word puisse le manipuler), le format odt est un système de fichiers en clair, libre ou open source, facilement pris en charge par tout type d’application. C’est cette interopérabilité qui a forcé Microsoft à abandonner son format opaque doc et à adopter le système de fichiers. Contrairement à un docx ou odt, un doc n’est donc pas un dossier compressé : c’est un seul fichier qui ne peut pas être séparé en plusieurs composants. NIVEAU –1: LES ÉDITEURS DE TEXTE Qu’est-ce qu’un fichier ? C’est un ensemble de données numériques, c’est-à-dire une séquence de 0 et de 1 (bits), avec un début et une fin, qui véhicule quelque chose : une image, un texte, une vidéo, un programme, etc. On l’a dit, un fichier peut contenir des métadonnées telles que la date de création ou, dans le cas des images, le modèle de l’appareil utilisé et ses réglages au moment de la prise de vue. L’important est de se rendre compte que toutes ces informations sont exprimées sur une seule ligne : l’ordinateur est comme la tête de lecture d’une platine vinyle, il avale et traite à tout moment un flux constant de 0 et de 1 à une dimension. Et certaines séquences indiquent à l’ordinateur comment interpréter la donnée : cette norme est appelée le format. Mais n’allons pas trop vite. Comment ‹ casser › un fichier texte comme le doc, c’est-à-dire le dérouler ‹ pour de vrai ›, exposer son contenu sans l’interpréter ? De la même manière qu’au niveau précédent on a ouvert le fichier document.xml : avec un éditeur de texte (tel que Sublime Text ou Notepad++). Outil incontournable pour qui s’intéresse à l’informatique, ce type de logiciel : - est capable d’ouvrir tout type de fichier ; - convertit et affiche la donnée en texte brut (c’est-à-dire sans gras ni aucun autre style, à la différence des traitements de texte comme Word), si c’est possible ; - dans le cas contraire, affiche simplement le contenu (illisible) du fichier ; - reconnaît plusieurs langages informatique et colore le texte pour aider les développeurs à se repérer en son sein. Il est temps d’introduire le format rtf (rich text format). Comme son nom l’indique, ce format de fichier très intéressant permet d’encoder des textes riches, avec de nombreuses fonctionnalités : style (polices, couleurs, gras, alignements, espacements), notes, commentaires, marges, etc. Également développé par Microsoft, le rtf est beaucoup plus simple que le doc, le docx ou le odt. Il est pris en charge par tous les systèmes d’exploitation, et notamment par les applications gratuites installées par défaut sur nos ordinateurs : WordPad pour les PC et TextEdit pour les Mac. Voici pourquoi : https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes2.jpg En informatique, la colonne de droite (le contenu réel du fichier) est considérée comme ‹ lisible ›. Disons que ce code est lisible au niveau –1. On reconnaît en effet : - le format du fichier, rtf1 ; - le nom de la police utilisée, AGaramondPro-Regular ; - la color de la police, qui est ici le noir ; - les dimensions de la page (paper) et les marges du document (marg) ; - un truc inconnu ; - un premier ‹ moltogone ›, où f0 fait référence à la police définie à la ligne 2, cf0 est la couleur du texte (fill color) définie en ligne 3 et fs24 représente le corps de police 12 ; - un second ‹ moltogone ›, où \b signifie qu’on passe en gras (bold) ; - un troisième ‹ moltogone ›, où \b0 désactive le gras et \i active les italiques. Ainsi le texte et le style se mêlent dans ce fichier rtf relativement clair, dont le code (1) peut être déchiffré par un œil humain, et partant, faire l’objet de traitements logiciels. Les premiers caractères constituent l’en-tête du fichier : grâce à la mention {rtf1…, le fichier indique à la machine que les données qui suivent sont à interpréter selon les normes du format rtf. Par convention, l’accolade fermante finale } signe la fin du flux de données. En plus de sa lisibilité et de son interopérabilité, le rtf a l’avantage d’être léger. Notre fichier moltogone.rtf ne pèse en effet que 369 octets, à comparer aux 28 Ko de son équivalent moltogone.docx. Dans ce cas précis, la même information nécessite 75 fois moins d’espace-disque dans le cas du rtf. Or, le contenu du fichier (voir le tableau précédent) comporte exactement 369 caractères. Cela signifie que l’expression d’un caractère (dans l’encodage, pas dans l’affichage) nécessite exactement un octet. Nous verrons pourquoi dans les niveaux inférieurs. Pour le moment, armés de notre éditeur de texte, passons rapidement quelques formats en revue. Le pdf est un format développé par Adobe et de plus en plus utilisé. Les fichiers pdf ont en effet l’avantage d’apparaître exactement de la même manière sur chaque écran. Cela est rendu possible par le fait que le pdf contient toutes les informations qui permettent de ‹ figer › l’affichage – format du document, police d’écriture et style du texte, données et placement des images –, qui sont ‹ encapsulées › au sein du fichier pdf. En contrepartie : le poids parfois important du fichier (qui n’est pas compressé), et le fait qu’il est difficile de modifier un pdf une fois qu’il est exporté comme tel. Malheureusement, ce type de fichier n’est qu’en partie lisible par les éditeurs de texte. Au milieu de certains mots reconnaissables, comme dans le cas du rtf, les séquences illisibles sont nombreuses – illisibles par l’éditeur de texte, qui affiche des choses telles que ‡€KŽ]介 º,ƒ(Ç=ÀŸ„ÕéÑXÿûПf[öóoÅ, ne sachant comment interpréter la donnée numérique qui lui parvient. Au niveau 0, nous avons vu que les formats docx et odt étaient en fait des dossiers compressés contenant des fichiers de type xml. Ces derniers sont entièrement lisibles par l’éditeur de texte. La spécificité du markup language est l’usage de balises qui viennent entourer le contenu proprement dit (texte ou image, par exemple) pour le mettre en forme, et qui prennent toujours la forme <balise> pour le début et </balise> pour la fin. Un autre format courant qui repose sur le balisage est le html, dédié aux pages Web. Les navigateurs Internet comme Chrome ou Opera affichent le contenu des pages html, mais permettent aussi de voir la source, c’est-à-dire la donnée réelle en quoi consiste le fichier html. Si nous reprenons notre exemple ‹ moltogone / moltogone / moltogone ›, le fichier moltogone.html minimal correspondant (2) est le suivant : https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes3.jpg Revenons maintenant au doc. Ce format n’est pas convertible en texte, comme le montre cet aperçu obtenu dans l’éditeur de texte : d0cf 11e0 a1b1 1ae1 0000 0000 0000 0000 0000 0000 0000 0000 3e00 0300 feff 0900 0100 0000 feff ffff 0000 0000 2600 0000 ffff ffff ffff ffff ffff ffff ffff ffff . . . Et cela continue sur 1 408 lignes. Une séquence illisible, mais moins chaotique que les parties non lisibles de moltogone.pdf. Il y a donc une logique sous-jacente, que nous pouvons percer en prenant l’escalier. NIVEAU –2: LES ÉDITEURS HEXADÉCIMAUX Un logiciel de type hex editor va rendre cela possible. 0xED et Hex Fiend en sont deux exemples, dont le logo annonce la couleur. En ouvrant moltogone.doc dans Hex Fiend, on obtient le même affichage bizarre que dans l’éditeur de texte, mais une colonne supplémentaire force la conversion en texte. En faisant une recherche sur ‹ moltogone ›, c’est-à-dire le texte initial stocké dans le document, on retrouve bien nos trois occurrences, bien plus bas dans le fichier. https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes4.jpg Première remarque : dans un fichier doc, on trouve tout le texte à la suite, en clair (à ce niveau) et sans le style. En effet, selon un code complexe qui participait à l’opacité du format, les styles (gras et italique dans notre cas) arrivent plus loin dans le fichier, et ‹ pointent › vers le texte concerné à l’aide des adresses, qui sont les numéros visibles dans la colonne la plus à gauche. Voilà une différence importante avec le docx, le odt et le html vus plus haut, où le style de chaque partie du texte encodé est précisé a priori (si besoin en faisant référence à un autre fichier dédié, de type style.xml ou style.css). Au lieu de dire en quelque sorte : ‹ Ce bout de texte qui vient, tu me le mets en mode « Citation » ›, on disait : ‹ Au fait, ça, c’était en gras, et ça aussi ; mais ça, ça, et ça, c’était centré, etc. › D’où des bugs importants sur les longs documents doc, qui expliquent aussi le passage du doc au docx (3). Seconde remarque : sur la capture ci-dessus, le surlignement permet de voir qu’au milieu d’un néant de 0, chaque mot ‹ moltogone › correspond à la séquence 6D 6F 6C 74 6F 67 6F 6E 65. Correspond, car c’est bien un encodage précis qui fait passer d’une colonne à l’autre : la table ASCII (American Standard Code for Information Interchange). Cette table qui date des années 1960 est encore fondamentale de nos jours (https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes5.jpg). Les cases laissées vides dans ce tableau représentent des caractères spéciaux, espaces et signaux divers. Chacun des 95 caractères imprimables de la table est codé par deux caractères hexadécimaux. Au contraire des caractères décimaux qui sont nos dix chiffres (0 1 2 3 4 5 6 7 8 9), les caractères hexadécimaux, comme leur nom l’indique, sont au nombre de seize : 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 A B C D E F. Pourquoi ce système numéral peu intuitif ? En fait, passer de 10 à 16 ajoute pas mal de combinaisons possibles ; de plus, 16 étant un multiple, et même une puissance de 2, la conversion vers le code binaire à deux signes (0 1) est bien plus facile. Dans le cas du fichier doc étudié ci-dessus, seule une toute petite partie du fichier est codée en ASCII : les trois ‹ moltogone ›, ainsi que d’autres informations comme le nom des feuilles de style, la version du logiciel utilisée, le nom de l’auteur, etc. Au contraire, dans le cas du rtf que nous avons vu au niveau –1, mais aussi du html et du xml, toutes les données du fichier sont interprétables grâce à la table ASCII, à raison de deux caractères hexadécimaux pour chaque chiffre, lettre ou ponctuation de l’alphabet anglais. On parle dans ce cas de fichier texte. NIVEAU –3: LE BINAIRE L’archétype du fichier texte est… le fichier txt. Ce dernier ne contient aucune information de style ou de formatage, pas même la police utilisée. À charge pour l’éditeur de texte de déterminer l’affichage – généralement en police à chasse fixe dite mono. On parle de texte brut (plain text). Dans sa version initiale, le format ne tolère que des caractères ASCII : il apparaît donc exactement tel qu’il est codé. Cela explique son poids très faible. Le fichier moltogone.txt ne contenant que 29 caractères (trois fois ‹ moltogone › et deux retours à la ligne), il ne pèse que 29 octets, soit environ mille fois moins que notre premier document originel sauvegardé en docx. Nous allons à présent, et pour finir cette descente, donner sens à cette notion d’octet. Le code hexadécimal n’est en fait qu’une représentation du binaire, introduite par l’humain afin de pouvoir interagir à très bas niveau avec la machine d’une façon ‹ commode ›. Les éditeurs hexadécimaux comme 0xED permettent cependant de visualiser, au plus bas niveau imaginable, le code binaire, c’est-à-dire la séquence de 0 et de 1 qu’est réellement tout fichier présent sur l’ordinateur. https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes6.jpg Comme on le voit, les bits (les 0 et les 1) sont réunis par paquets de huit, c’est-à-dire par octets (byte en anglais). Tout est lié ; on a une correspondance claire et univoque, c’est-à-dire une relation d’ordre, entre : - 1 symbole ASCII – par exemple m - 2 caractères hexadécimaux (6D) - 8 bits soit 1 octet (01101101) Cela revient à dire que chaque caractère hexadécimal correspond à 4 bits. C’est en effet le cas, selon la table ci-contre, qui omet volontairement les 0 initiaux pour faire apparaître la façon dont on compte en binaire. https://revue.moltogone.fr/2/doc/FichiersTextes7.jpg Nous voici au terme de ce rapide voyage dans les ‹ profondeurs › de la machine. Le terme n’est pas anodin, mais inspiré de la notion de ‹ niveau de langage › utilisée pour décrire les langages informatiques. Ce qui est proche de l’utilisateur final, visible, compréhensible et manipulable par l’humain, est dit de haut niveau ; ce qui est proche du fonctionnement réel de la machine, et qui nous est donc invisible et illisible, est dit de bas niveau. Il y a beaucoup de niveaux intermédiaires : c’est là que se trouvent les développeurs, qui agissent plus ou moins directement sur la donnée. Pour résumer, que se passe-t-il lorsque l’on écrit sur son ordinateur, disons sur Word au format docx ? Le logiciel affiche le document à l’écran, et le sauvegarde à partir d’un mélange de plusieurs fichiers de type xml (niveau 0), d’où toute mise en forme a disparu : le texte est conservé sous forme brute, tandis que le style (ainsi que les métadonnées) est réduit à du texte grâce aux balises de la syntaxe xml (niveau –1). On obtient donc des fichiers textes composés grosso modo seulement des 95 caractères ASCII. Chacun de ces caractères est obtenu par conversion de deux caractères hexadécimaux : 0-9, A-F (niveau –2). Ces derniers, au nombre de 16, représentent chacun, sous une forme compacte, 4 bits, c’est-à-dire un ‹ mot › composé de quatre fois 0 ou 1. Le code binaire est réellement ce en quoi consistent notre fichier et notre action informatique (niveau –3). Quand on compose un texte sur Word, en définitive, on ne fait qu’écrire des 0 et 1 au bon endroit : écrire ‹ B › plutôt que ‹ A ›, c’est écrire 42 plutôt que 41 (en hexadécimal), c’est donc remplacer 0100 0001 par 0100 0010 – en binaire, c’est réaliser l’opération ‹ + 1 ›. Reste à savoir à quel endroit. Plus nous descendions au contact de la machine, plus l’alphabet s’est réduit, et plus la longueur des mots a augmenté. On est ainsi passé de 128 signes (en tout) dans la table ASCII à 16 caractères hexadécimaux différents, puis à 2 bits possibles : 0 et 1. De ce fait, pour chaque lettre encodée, il faut un octet – un ‹ mot › de 8 bits. L’alphabet a donc été divisé par 64, et la longueur multipliée par 8. Tout cela sans compter la conversion des styles et des métadonnées en texte brut, qui nécessite des milliers de caractères (niveau 0). Sans compter non plus les nouveaux standards Unicode, qui étendent l’ASCII et permettent de stocker les caractères de toutes les langues du monde sur des ‹ mots › de 32 bits. Au niveau le plus fondamental de nos ordinateurs, l’énergie et la mémoire que l’on utilise pour nos travaux de base croissent selon une courbe exponentielle à mesure que nous réduisons la réalité pour la rendre manipulable par la machine. UN NIVEAU –4 ? LA MATIÈRE DE L’INFORMATIQUE Faute de place, je ne pourrai qu’évoquer ici le véritable terme de ce chemin : la fondation matérielle du langage binaire. En effet, le binaire relève encore de l’information abstraite. Ce qui se passe concrètement dans notre machine lors de l’écriture, de la lecture et du traitement de cette information, par exemple en tapant sur Word, c’est une circulation d’électrons dans des circuits imprimés. 0 est une tension nulle, et 1 une tension de 1,5 volt. De minuscules portes s’ouvrent et se ferment à des vitesses fulgurantes dans nos processeurs (des milliards de fois par seconde) afin de transmettre et traiter de longues séquences binaires du type 010110100… longues, dans le cas de notre simple fichier docx de 28 Ko, de 28 000 × 8 = 224 000 signes. Il n’en a pas toujours été ainsi. La binarité trouve son origine dans le système des cartes perforées qui servaient à programmer les premiers automates : les métiers à tisser Jacquard de 1801. Plus près de nous, les disquettes et disques durs matérialisent la binarité par le magnétisme : ils consistent en des segments alignés qui sont (ou non) magnétisés par une tête de lecture. Les CD relèvent quant à eux de l’optique numérique : c’est un laser qui est réfléchi sur une surface composée de creux et de bosses ; le temps que le faisceau met à revenir à sa source, sur un point précis du disque, sert à définir un 0 ou un 1. De ce point de vue, la comparaison avec le vinyle, et avant lui aux cylindres de cire d’Edison, est heuristique mais problématique. Le sillon du vinyle est en effet plus ou moins creusé ; c’est un continuum qui peut prendre une infinité de valeurs pour reproduire la vibration sonore. Dans le cas du CD et du disque dur, il n’y a que deux valeurs possibles : plus ou moins, oui ou non, 0 ou 1. L’encodage nécessaire à cette simplification, la perte essentielle qu’il impose au message mais aussi les traitements informatiques qu’il permet : c’est la différence fondamentale entre l’analogique et le numérique. NOTES 1 ↑ Le code du format rtf est publié intégralement en ligne à l’adresse: http://www.biblioscape.com/rtf15_spec.htm 2 ↑ Obsolète selon les standards actuels. 3 ↑ Pour les détails sur le format doc, qui reste peu documenté mais qui a fini par être craqué, voir: https://www.openoffice.org/sc/compdocfileformat.pdf
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TITRE Pluie AUTEUR Dimitri Toloton GENRE musique TYPE processus
J’ai composé ce morceau, Pluie, pendant ma dernière année d’école en vue d’un examen où l’on devait présenter un groupe avec des compos. À l’époque, on l’avait joué en quartet, avec basse, batterie, piano et guitare. Ce morceau est particulier pour moi, car il a suivi mes dernières évolutions. Je me suis mis à la ‹ prod › après l’école de musique: j’ai commencé à utiliser un ordinateur, à faire de la MAO, sous le nom de Le Dim. En gros, je me suis mis à m’enregistrer et à programmer d’autres instruments par l’informatique. J’ai alors décidé de reprendre ce morceau car j’avais d’autres envies pour lui. Finalement, ce n’est pas du tout ce que j’avais en tête qui est ressorti! Devant l’aspect contemplatif de cette composition, j’ai décidé d’ajouter des voix parlées: Brel, Brassens, Reggiani, François Morel… pour les faire discuter autour de nappes de guitare. Ce sont donc deux façons de représenter et de créer de la musique que je présente dans la suite, chacune correspondant à une version existante de Pluie. Ce morceau a quelques années maintenant, il correspond à mes débuts dans la production… mais je suis persuadé que je le ferai à nouveau un jour, sous une autre forme!
https://revue.moltogone.fr/2/doc/Pluie1.pdf Ce que vous voyez ici, c’est la ‹ partition générale › ou lead sheet du morceau, à savoir: les accords et la mélodie. Les musiciens de mon quartet avaient bien sûr des partitions différentes en fonction de leur instrument. Pour écouter le morceau tel qu’on l’a joué au conservatoire de Bourg-la-Reine, le 8 février 2016: https://revue.moltogone.fr/2/doc/pluie1.mp3
https://revue.moltogone.fr/2/doc/Pluie2.jpg Et voici une capture d’écran de mon logiciel de MAO. On y distingue des pistes, avec des sortes de puzzles dessinés dessus. Ce sont les différents éléments qui constituent le morceau: voix, guitares, claviers, éléments de la batterie, samples en tout genre, etc., comme indiqué sur la colonne de droite. Pour écouter le morceau Pluie, sorti au sein de mon EP Voices, en juin 2018: https://youtu.be/v7FfINe_T9Q
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TITRE Demain c’est trop tard AUTEUR MC Circulaire GENRE musique TYPE restitution
Originaire de Vendée, MC Circulaire pratique un hip-hop sans artifice, résolument éloigné des codes du rap des villes. Ce rat des champs évoque avec des termes crus la réalité mutilée de la France oubliée. Violemment critiques ou humoristiques, ses textes font entendre le parler, le quotidien et l’ennui d’une jeunesse décentralisée. Demain c’est trop tard est emblématique de ces intentions. Réponse à Demain c’est loin, le titre écrit par IAM dix ans plus tôt, ce morceau-fleuve de 5’40 n’a ni refrain ni couplet. Sur une instru mélancolique de Mobb Deep, MC Circulaire débite des rimes brutes, en flux tendu, là où l’on imaginerait le vide des grands espaces ralentir le temps. Il présente son ‹ bled › comme un désert, où le manque d’activité et de lieux de sociabilité (à part le Central Bar) mène à des relations appauvries, à l’ennui, à l’alcoolisme et au désespoir. La publication de ce texte dans la revue moltogone, avec l’aimable autorisation de MC Circulaire, est aussi une contribution à la retranscription typographique du rap. Déstructurés, les vers coulent sur la page comme le flow du rappeur. À raison de deux par mesure, les lignes sont composées en fonction de la caisse claire (trait vertical) et des pauses de la voix (retours à la ligne). Ce morceau peut être écouté à l’adresse: https://youtu.be/yjymIX9cpJc
assis sur un banc à l’arrêt d’car on boit de la Valstar on tripe sur des 103 custom de bâtard le Mob Chop sur les genoux on kiffe comme des fous en même temps dans l’bled gros y a rien d’autre à tre-fou tout est fermé y a rien d’ouvert et les seules lumières qu’y a c’est celles des lampadaires alors on fait les cailles t’sais on fait les gros on fait des gueutes au marqueur ou au blanco Aurélie est une salope comment tu sais ça parce qu’elle baise avec tout l’monde sauf avec moi ici les relations humaines c’est l’abîme ici pour s’marier on crache pas sur sa cousine ici tu comprends vite que tu baises ou tu t’fais baiser chaque bled a son instit ou son curé ici pas d’internet c’est le minitel 36-15 code mon cul et tu t’branles sur des pixels alors à quinze ans tu commences à fréquenter Mado trente ans d’carrière quinze syphilis douze blennos et si tu mets pas d’capote mon pote t’as vite compris putain ça brûle quand j’fais pipi Mado c’est une daronne mais elle sait t’faire darder l’dard et j’connais personne qui porte aussi bien l’léopard le code c’est une bougie allumée c’est occupé si y en a deux y en a un d’dans et l’autre sur l’bidet Mado c’est ni un canon ni un cageot c’est juste une pute de campagne avec deux trois chicots mais c’est la pute de notre bled et c’est comme ça tu sais ici-bas on ne choisit pas parce qu’ici-bas mon gars eh bah y a rien à choisir à part p’t-être l’état dans l’quel tu vas finir alors on a tout prévu pour la cuite on a chargé à mort les sacoches de la 88 Valstar Jenlain Picon et amer alsacien et s’il reste plus rien parce que t’as tout fini t’inquiète il reste la goutte à papi ici on picole pas on se saborde ici l’alcool c’est quand t’as pas les couilles pour la corde alors avoir une vie sobre j’en ai fait le deuil hardcore est la campagne froid sera mon cercueil je ne laisserai pas d’héritage il n’y aura rien à prendre je préfère m’achever plutôt que de me pendre t’façon tout l’monde s’en branle on est la France oubliée dans mon quartier y’a jamais eu de MJC pourtant la misère est là j’t’assure qu’elle est bien réelle elle s’cantonne pas qu’dans les banlieues elle est universelle combien d’familles au chômdu qui survivent grâce aux allocs y’a plus de darons alcooliques qu’en cure de désintox l’État nous laisse dans notre merde et on verra plus tard on n’est qu’une bande de crevards gouvernés par des bâtards on n’est pas la France qui squatte les halls mais les arrêts d’car et ici-bas on sait bien que demain c’est trop tard assis sur un banc au Central Bar on boit notre Ricard on jacte avec deux trois alcooliques notoires ça parle de tout ça parle de rien et surtout d’rien les discussions d’bar ça va jamais bien loin les relents d’cendars et d’latrines Jacky René Dédé Nanard c’est la dream team c’est quatre hommes pour faire vivre un bar je parle plus d’piliers mais d’colonnes de comptoir c’est par jour un litre de Ricard et ça vient t’traiter d’camé quand tu tires sur un pétard c’est la plus belle collection d’fraises que t’aies jamais vue y sont même plus cuits y baignent dans leur jus ils sont chez eux c’est des oufs quand ils débarquent dans l’rade y sont en pantoufles politiqu’ment correct y s’en battent les boules ici ça parle de négros et d’bougnoules y a des envies de meurtre et des claques qui s’perdent mais j’sais qu’ça éclabousse quand on frappe dans la merde alors je les méprise je les ignore y sont tout aussi cons qu’y s’ront rapid’ment morts et si tu veux pisser mon pote tu vas dehors ici c’est des porcs et les chiottes y sont hardcores ces putains d’gogues sans déc’ c’est l’Vietnam ça pue la merde et l’nuoc-mâm dans c’putain d’rade en formica gondolé où d’puis les années soixante-dix y a rien qui a bougé y a une photo d’Poulidor accrochée au mur et sur les verres de Jupiler y a des fissures y a pas d’billard ça coûte trop cher et puis l’tapis ça supporte mal la bière mais y a le babyfoot et ça c’est d’la dynamite j’ai fait gagner la France bien avant quatre-vingt-dix-huit dans c’putain d’rade j’ai acquis tous mes honneurs MC Circulaire dans l’top ten du flipper pour vous servir Lulu et René en trente ans d’carrière ils ont pas oublié d’picoler le fusil à portée d’main c’est des barjes engueulez pas la patronne le patron s’en charge temps en temps une baston c’est festif et quand y a les manouches ouh ça d’vient sportif et compte pas sur les pompiers pour t’soigner le temps qu’ils arrivent t’as cicatrisé l’décor est planté et il est triste à pleurer mais c’est notre lot quotidien et y a rien qui va changer dans mes yeux plus aucune lueur d’espoir car ici-bas on sait bien que demain c’est trop tard
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TITRE Poèmes parasites AUTEUR Natol Bisq GENRE poésie TYPE copie
Ces poèmes parasites ont été extraits de la nouvelle de Franz Kafka Le Terrier, dans la traduction de Marc Lizano publiée chez Mille et une nuits (2002). Plus précisément, de chaque page de sa version électronique. Dans cette nouvelle, le protagoniste détaille son existence souterraine, craignant tout au long du récit qu’une bête pénètre et grignote le terrier qu’il s’est creusé. Natol Bisq, lui, a rongé ce texte afin d’en obtenir des poèmes. Aucun ajout n’a été fait.
LE TERRIER
J'ai aménagé mon terrier, et le résultat semble être une réussite. De l'extérieur, on voit seulement un grand trou, mais en réalité, il ne mène nulle part, il suffit de faire quelques pas et on se heurte à de la bonne roche bien dure. Je ne veux pas me vanter d'avoir élaboré sciemment ce stratagème, c'est simplement le vestige d'un de mes nombreux essais de construction avortés, mais il m'a paru finalement avantageux de ne pas combler ce trou. Certes, il y a des ruses si subtiles qu'elles se détruisent elles-mêmes, je le sais mieux que quiconque, et il est certainement téméraire de laisser supposer par l'existence de ce trou qu'il puisse y avoir là quelque chose méritant investigation. Mais on se méprendrait sur mon compte si l'on croyait que je suis lâche et que je m'aménage un terrier par pure couardise. C'est à un millier de pas que se trouve, dissimulé sous une couche de mousse facile à déplacer, le véritable accès de mon terrier; il est aussi bien protégé qu'il est possible de l'être en ce monde; bien sûr, quelqu'un peut marcher sur la mousse ou la défoncer, et mon terrier se retrouve à découvert; et si on en a envie — il faut signaler toutefois que cela exige certaines aptitudes très peu répandues –, on peut y pénétrer et tout détruire à jamais. Je le sais fort bien, et même maintenant, à l'apogée de ma vie, je n'ai pas une minute de réelle tranquillité: à l'endroit où se trouve cette mousse sombre, je suis mortel, et je vois souvent dans mes rêves un museau qui ne cesse de renifler avidement alentour. J'aurais pu, pensera-t-on, boucher cette entrée avec, au-dessus, une mince couche de terre bien ferme, et au-dessous une terre plus molle, de sorte que je n'aurais jamais eu beaucoup de mal à me ménager une sortie chaque fois que nécessaire. Mais c'est impossible car la prudence veut justement que je puisse m'enfuir sur-le-champ; comme c'est hélas si souvent le cas, la prudence exige que l'on risque sa vie. Ce sont là des calculs bien pénibles, et seul le plaisir que l'esprit tire de sa propre sagacité explique parfois pourquoi on continue à s'y livrer.
Il faut que j'aie la possibilité de sortir immédiatement, car ne puis-je pas,
1 on voit seulement un grand trou, il ne mène nulle part je suis lâche par pure couardise il est possible de tout détruire à jamais. Je le sais fort bien, à l’apogée de ma vie, je suis mortel, et je ne cesse de renifler avidement alentour. 2 j’ai l’avantage d’être une victime très savoureuse Ah, que ne pourrait-il pas arriver ! je suis relié au monde extérieur par toutes sortes de bestioles que je dévore 3 ce silence que je fais taire immédiatement entre mes dents, qu’il est bon 4 je n’ai que mon front pour faire ce travail le front en sang bien mérité 5 alors je cours, alors je vole, et je n’ai plus le temps de réaliser un nouveau plan très précis je traîne soupire gémis, trébuche hume ce travail nocturne À quoi peuvent me servir les réserves , même si cela semble stupide, beaucoup de choses ne risquent-elles pas de se perdre ? 6 c’est là un défaut j’avoue mais le sentiment confus a bien mûri en moi jusqu’au moment où incapable de résister davantage, je me gave jusqu’à l’ivresse 7 j’ai coutume, pour me ressaisir, – un châtiment que je trouve moi-même trop dur – de terminer selon mes plans ce travail que je considère aujourd’hui comme un médiocre bricolage – voici l’entrée de ma maison 8 j’évite ce secteur lors de mes promenades habituelles sa vue m’est désagréable parfois je rêve que je l’ai transformée modifiée de fond en comble quand je fais ce rêve, je suis à la fois agacé et touché de ne pas bouger de chez moi pour me retrouver dans l’inconnu 9 un vagabond, quelqu’un, en quelque sorte, surveille l’accès de ma maison cela me procure une joie indicible 10 fantômes de la nuit personne que j’observe là qui plane sur moi dans le dehors ? 11 je ne suis pas pas complètement moi le maître de céans n’est pas à l’intérieur il est ingénument à l’affût dans les buissons voisins 12 la vie ordinaire. Certes serait une énorme sottise, provoquée par un trop long séjour dans un buisson d’épines Mais en fin de compte quand même ce que j’ai de plus précieux, n’est pas imaginaire pas forcément 13 vouloir jeter au moins un coup d’œil , donc dans un autre monde, c’est impossible. Toutefois je pense aux innombrables hasards de la vie 14 quelques jours et quelques nuits seulement me permettraient d’entrer et de sortir sans être vu je cherche comme un trou un trou destiné à me sauver la vie 15 Il est très douloureux de s’avouer une telle chose, mais c’est là à force de gratter et de mordre que mon sang s’écoulera dans le sens des heures heureuses 16 il ne tient qu’à moi que toute cette viande, le monde ma vieille demeure, la nécessité tout cela se transforme 17 pris dans cette abondance je pourrais très bien mourir Mais je pousse le butin , j’ai tout mon temps et je ris tout seul C’est à cause de vous 18 Vous faites partie de moi, je fais partie de vous peuple inlassable Il faudra que j’ que je me réadapte complètement 19 Il faudrait intervenir si la réalité correspond à mon hypothèse car je n’ai rien de concret un grain de sable un bruit 20 ce bruit parasite je pense parfois que personne d’autre que moi ne pourrait l’entendre un bruit infime Bizarre, trouble mes facultés 21 entre ses griffes, la vie serait une chose dont je suis complètement privé aujourd’hui : murmure du silence dans la place forte 22 partout où j’écoute partout, partout, le même bruit. mon territoire est un troupeau en migration qui ne fait que passer 23 je n’arrive pas à regarder le paysage dont je voulais arracher un morceau. 24 par stupidité, par entêtement, pour le plaisir je n’ai pas d’autre solution que m’abandonner à un sort incertain je veux laisser derrière moi la paix troublée 25 tout se fera tout se fait tout aussi chimérique car il suffit de s’arrêter à n’importe quel endroit et de tendre l’oreille c’est comme si on se souvient que l’on a rien mangé depuis longtemps en avalant la nourriture 26 Ce qu’il faudrait commencer par faire, c’est élaborer un plan un projet adapté, et commencer tout de suite les travaux mais je ne sais que me vouer de toutes mes forces, et sans défense, à la recherche 27 je ne sais plus tout ce que je cherche des choses lointaines suscitent mon intérêt. Silence total ; comme c’est beau ici je peux tendre l’oreille pendant des heures sans rien entendre on ne peut faire a priori aucune hypothèse, et il faut attendre 28 l’origine très brutale, serait en réalité un murmure. L’imagination est impossible à arrêter Beaucoup de choses se contredisent avec la même intensité l’ultime écho ne se dirige pas vers moi mon existence a sans doute déjà décrit plusieurs cercles 29 La nature me donne beaucoup à réfléchir. je n’arrive pas à comprendre sa capacité à travailler sans arrêt ; nuit et jour, la même force et la même vigueur Je ne pouvais pas m’attendre à un tel adversaire : ses blessures me font mal comme si c’étaient les miennes 30 Il est vrai qu’il ne s’est rien passé Dans ma vie Je suis peut-être dans le terrier d’un autre, pensais-je J’aurais quitté les lieux pour aller construire ailleurs Mais 31 La suite de cette aventure commença à diminuer, devint de plus en plus faible, peu à peu cessa complètement je me relève à toute allure 32 le temps ne compte pas le long chemin qui mène à bon endroit je pense à la bête inconnue qui se fraye son chemin au loin, en proie à la même folie et à une faim nouvelle 33 la bête creuse une bête tellement bizarre capable d’accomplir de grandes choses peut-être la bête, peut être moi
Retranscription(s) deuxième volume de la revue moltogone quatrième livre des éditions Moltogone ISBN 978-2-490565-04-7 Dépôt légal mars 2020 Achevé d’imprimer mars 2020 Premier tirage 110 exemplaires numérotés de 1 à 110 40 exemplaires d’auteur numérotés de I à XL Polices Adobe Garamond, Favorit Mono, Ogg Italic et Moltogone_2 (par David Bartolo) Impression Nord’imprim (Steenvoorde) en offset pour les pages de titre en Pantone 572U et en quadrichromie pour les photographies et dessins ; IEC Repro (Paris) pour certaines illustrations en noir et blanc ; atelier Moltogone (Paris) en laser monochrome pour le texte ; ASPPC au Paris Print Club en sérigraphie pour la couverture Papiers Munken Print Cream 18 90 g/m2, Curious Translucent Clear 92 g/m2 et papiers de récupération pour l’intérieur, Munken Pure 400 g/m2 pour la première de couverture, carton gris Hermet 1,5 mm pour la quatrième Façonnage atelier Moltogone Version Web composée en Courier au format HTML en septembre 2020